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prison

Ce que ça fait de perdre un proche quand on est en prison

En taule, personne ne vous entend pleurer.
DS
illustrations Dola Sun

Cet article a été publié en collaboration avec le Marshall Project.

J'ai été incarcéré à l'âge de 22 ans. Aujourd'hui, j'en ai 50. Durant toutes ces années, j'ai perdu tellement de membres de ma famille et de proches que j'ai du mal à me souvenir de toutes ces disparitions.

Ceci est l'histoire de l'un de ces décès, qui m'a fait longuement réfléchir à mes choix passés, à ma vie actuelle, et à ce qu'elle aurait pu être si je n'avais pas pris telle ou telle décision.

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Au matin du 26 septembre 2000, alors que je me réveillais péniblement entre les quatre murs de ma cellule de 9 mètres carrés, située dans l'aile C de la Great Meadow Correctional Facility de l'État de New York, j'ai eu une drôle de prémonition, comme si quelque chose de terrible était sur le point de m'arriver.

J'ai posé un pied au sol et me suis préparé mentalement à vivre une journée interminable. Ça faisait dix ans que j'étais derrière les barreaux, mais je n'avais toujours pas de photos de mes proches dans ma cellule – je refusais d'admettre que celle-ci était mon foyer sur le long terme. Je me contentais de fixer les murs orange sans les voir, dans l'attente du petit-déjeuner.

Lorsque ma cellule s'est ouverte, j'ai rejoint les autres détenus qui patientaient en file indienne devant la porte du réfectoire. Deux gardiens à l'air triste nous surveillaient du coin de l'œil, matraque à la main. J'entendais les détenus murmurer et évoquer la bagarre qui avait éclaté la veille dans la cour de promenade. Deux gangs s'étaient affrontés et du gaz lacrymogène avait permis de séparer tout ce petit monde.

D'un coup, alors que je descendais une volée de marches, j'ai été interpellé et mis sur le côté par un gardien. En prison, lorsqu'un détenu est intercepté de la sorte, les autres prisonniers ont tendance à s'arrêter pour vérifier qu'il n'est pas la cible d'une vengeance des matons. Mes camarades, immobiles, ont donc refusé de se rendre au réfectoire, exigeant de savoir pourquoi on m'empêchait d'y aller – et ce, malgré les menaces des gardes. Je leur en étais reconnaissant, même si je ne pouvais m'empêcher de stresser à l'idée que quelque chose de grave allait me tomber sur le nez.

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Là, un aumônier m'a rejoint et s'est mis à me parler à voix basse. Il était extrêmement empathique et ému – ce qui est plus que rare en prison –, et je l'ai écouté avec attention. Il m'a rapidement dit qu'il fallait que je téléphone chez moi. Un peu perdu, j'ai hoché la tête pour signifier aux autres détenus que c'était OK, et qu'il pouvait partir.

On m'a ensuite conduit au bureau du gardien en chef, et je me suis assis sans un mot, attendant qu'on me tende un téléphone. J'étais nerveux : je n'avais aucune idée de pourquoi on m'avait fait venir, mais je pressentais qu'il ne s'agissait pas d'une bonne nouvelle.

J'ai attendu patiemment, jusqu'à ce que l’aumônier compose un numéro que je ne connaissais pas, puis me tende le téléphone. Au bout du fil, il y avait ma tante Vicky. Lorsque je lui ai demandé ce qui se passait, elle a fondu en larmes.

La voix tremblante, elle m'a dit que mon grand-père – son père, donc – venait de mourir. Il était âgé de 82 ans. Sa femme, ma grand-mère, était morte trois ans auparavant, à 85 ans. Il avait été marié pendant plus de 50 ans.

Le décès de mon grand-père, long et pénible, semblait avoir choqué ma famille. Même si je n'avais jamais été vraiment proche de lui – je passais beaucoup de temps avec ma famille maternelle – je ne pouvais m'empêcher de partager la peine de ma tante, et de constater qu'une part de mon identité venait de disparaître – identité que la prison tendait à effacer au fil des années d'incarcération.

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Il s’appelait Noah Towns, comme mon défunt père. Né le 1er janvier 1918 dans l'Arkansas, fils de Robert et Fannie Towns, il avait toujours parlé de son histoire personnelle avec fierté. C'est en l'écoutant que j'ai appris qu'une partie de ma famille était originaire d'Afrique du Sud, et que mon arrière-grand-père avait rejoint les États-Unis via le Canada en affirmant qu'il était Antillais.

Une fois arrivé en Amérique, Robert Towns a acheté une petite parcelle de terre dans l'Arkansas, et a eu trois fils. Mon grand-père, lui, a travaillé comme vigile dans une banque pendant 25 ans. Avant cela, il avait été liftier dans un hôtel. C'est là qu'il avait reçu son premier costume, offert par la femme du propriétaire. Il en était très fier.

Assis sur la chaise métallique de la prison, au téléphone avec ma tante en pleurs, je me suis souvenu d'une photo en noir et blanc de mon grand-père, qu'il m'avait montrée quand j'avais 10 ans. Sur l'image, on le voyait en compagnie de ses deux frères, de son père et de sa mère. La photo datait des années 1920.

Je me souviens très bien du visage de mon arrière-grand-père, debout derrière sa famille, un fusil à la main. « Tu n'as pas intérêt à m'emmerder » – voilà en substance ce que ce visage signifiait.

D'un coup, je me suis senti épuisé – des larmes ont coulé le long de mes joues.

Pendant un long moment, je me suis laissé aller, avant de me rendre compte que j'étais là, à tenir le téléphone dans une main. J'ai raccroché sans même dire au revoir, me suis levé et ai demandé à sortir. J'avais honte d'avoir révélé ma faiblesse en présence de types qui passaient leurs journées à me contrôler.

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De retour dans ma cellule, je me suis assis sur le sol, le dos contre le mur froid et métallique. Je n'entendais plus rien, et me perdais dans des pensées sinistres. La perspective de sortir de prison en janvier 2020 me semblait irréelle – qui pourrait bien m'attendre à cette date ? Qui serait encore en vie ?

J'avais déjà perdu ma tante préférée, morte du sida après avoir consommé des quantités importantes de crack. Plus tard, je finirais par perdre mon oncle Joe, mort du diabète, et ma tante Irene, morte de vieillesse. J'ai perdu tout contact avec mon frère et ma sœur, ainsi que mon cousin Lionel – l'incarcération a fait ce qu'elle fait toujours, à savoir laminer les relations humaines.

Je suis resté assis sur le sol toute la matinée, pleurant mon grand-père et les autres disparus. La nuit suivante, j'ai tenté péniblement de dormir, mes rêves emplis des visages de mes proches disparus.

En prison, le plus dur n'est pas d'être incarcéré, mais de comprendre que l'on gaspille du temps que l'on pourrait utiliser à bon escient, auprès de ses proches. La mort de mon grand-père m'a poussé à me souvenir des conséquences de mes actes.

Dwayne Hurd, 50 ans, est incarcéré pour homicide volontaire non-prémédité.