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J’ai gagné ma vie en faisant les devoirs des autres étudiants

Et aujourd’hui je suis professeur au lycée.
Sandra  Proutry-Skrzypek
Paris, FR
Allie Conti
propos rapportés par Allie Conti
un homme avec un t-shirt de fraternité
Illustration : Lia Kantrowitz

J'ai 31 ans et je suis professeur au lycée. Avant ça, j’ai étudié dans une grande université de la SEC. À l’époque, mes priorités n'étaient pas les mêmes qu’aujourd’hui. J'étais membre d’une fraternité et je suivais une formation en journalisme – une combinaison qui m'a appris à écrire décemment et rapidement. Très vite, j’ai commencé à faire les devoirs des autres pour de l'argent. Non pas que j’aie tenu un livre de compte ou quoi, mais au cours de ces quatre années, j’estime que j’ai dû gagner 10 000 dollars au total, ce qui, dans une ville étudiante, est comme un million de dollars.

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Les gens savaient que s'ils ne se sentaient pas capables de faire quelque chose – ou s'ils étaient simplement paresseux, ce qui était souvent le cas – ils pouvaient venir me voir et je le ferais pour eux. Tout a commencé lorsqu’une fille de première année, qui vivait dans la même résidence et au même étage que moi, a réalisé qu'elle avait un devoir à rendre pour le lendemain et qu'elle avait complètement oublié. Elle était déjà bourrée et incapable de le faire. Je lui ai dit que si elle me donnait 50 dollars, je le ferais à sa place. La machine était lancée.

« Il y a eu pas mal d’Adderall impliqué dans le processus »

Mon système de prix était basé sur différents facteurs. Si vous me préveniez assez tôt et qu’il n’y avait que quelques pages, je pouvais le faire pour 25 dollars. Mais si je devais lire un livre ou au moins faire semblant de l'avoir lu, le prix grimpait. Le désespoir jouait aussi : si je savais que, quoi qu’il arrive, vous ne le feriez pas vous-même, alors je facturais beaucoup plus cher, plus de 100 dollars par exemple.

Ma mission préférée a été pour un ami, qui encore aujourd’hui est probablement la personne la plus défoncée de la Terre. C'était pour un cours de management sportif. Ce n'était pas difficile du tout, et c'était à rendre quelques jours plus tard, mais je savais qu’il n'y avait aucune chance qu'il le fasse, ou du moins qu’il le ferait mal. Je lui ai dit : « Donne-moi 60 dollars d'avance, et quelle que soit ma note, ce sera le coût total. » Il a eu la meilleure note. La meilleure paie que j’ai eue, c'était 400 dollars pour un devoir de dix pages à rendre le lendemain et qui nécessitait une bibliographie etc. J’ai aussi demandé au mec un Adderall, pour que je puisse le faire à la bibliothèque. Il y a eu pas mal d’Adderall impliqué dans le processus.

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« Quand vous êtes dans une fraternité, vous côtoyez beaucoup de gamins paresseux et friqués »

Parfois, je devenais paranoïaque et j’arrêtais pendant quelques mois. Mais ça a vraiment décollé en deuxième année, quand j'ai emménagé dans la fraternité. Les affaires marchaient bien. Quand vous êtes dans une fraternité, vous côtoyez beaucoup de gamins paresseux et friqués.

Il y avait aussi ce qu’on appelait des « fichiers de tests », qui se trouvaient souvent dans les sororités, parce que les filles étaient tout simplement mieux organisées que les mecs. Il y avait des dossiers avec le nom de la classe et de l'enseignant, et les gens y mettaient leurs vieux trucs à la fin du semestre. Parfois, il y avait des documents et parfois, il y avait des tests – si vous étiez dans une grande école, vous saviez que les enseignants recyclent généralement leurs cours année après année. Il y avait un cours de droit des médias qui était assez costaud. Quelqu'un a mis tout son carnet de notes, et l'année suivante, les notes étaient exactement les mêmes.

« Pour certains, c'était la seule chance d’avoir leur diplôme »

En tant que professeur au lycée, je sais que mes élèves trichent parfois. Pendant les vacances de Thanksgiving, je leur ai donné un QCM. Trois d'entre eux sont revenus avec les mêmes trois réponses erronées. Et je sais qu'ils sont amis. Il est clair qu'ils ont tous les trois partagé leurs réponses, mais il faut parfois décider si cela vaut la peine de les interpeller à ce sujet. J'ai décidé de ne pas les pénaliser, même si je leur en ai parlé. C’est avant tout une question de coûts-avantages. Vous êtes ici pour recevoir une éducation, et si vous choisissez de ne pas le faire, c'est de votre faute.

Quand je repense aux gens que j'ai aidés à tricher à l'université, je me dis que c'était leur faute. Mais pour certains, c'était la seule chance d’avoir leur diplôme. S'ils n'avaient pas rendu ce devoir, ils auraient dû suivre un autre semestre de cours et payer de nouveaux frais de scolarité. Parfois, une personne m'a payé 100 dollars pour en faire économiser 10 000 à ses parents. C'était probablement la bonne décision à prendre à ce moment-là. Je me dis aussi que si je ne l'avais pas fait, quelqu'un d'autre l'aurait fait pour eux. Je ne me sens pas mal à ce sujet. Mais alors vraiment pas.

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