Non, je ne me « calmerai pas le mouton »
Image tirée de la vidéo publiée sur Facebook par Félix Brouillet

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Racisme

Non, je ne me « calmerai pas le mouton »

Encore une fois, c'est nous le problème, les gens offusqués par la maladresse des autres.

Je refuse de rester calme et de faire comme si ce qui s'est passé au défilé de la Saint-Jean à Montréal était déjà une vielle histoire. Vous l'avez sûrement vue, la vidéo, qui a déjà été vue plus d'un million de fois. Si vous avez été scandalisé à son visionnement, s'il vous plaît, ne tombez pas dans le piège de Mario Girard, qui voudrait que ses lecteurs passent l'éponge sans formuler le moindre reproche. Vos premières impressions enflammées sont légitimes et heureusement que nous avons les réseaux sociaux pour porter notre indignation.

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Bien sûr, M. Girard n'a pas été le seul à vouloir balayer le tout sous le tapis. Il n'était même pas le premier. Comme ça se fait à chaque bourde au Québec, les justifications boiteuses se sont manifestées rapidement.

Le premier reportage sur lequel je suis tombée après avoir vu la vidéo m'a fait tomber de ma chaise. C'était à RDI, à moins de 30 secondes du début, on nous rapporte que « les festivités se sont quelque peu assombries par une controverse ».

« Assombries » par une controverse? Mon identité est-elle une controverse? C'est nous qui aurions fait ça? Les Noirs-pas-contents auraient assombri la Saint-Jean? Pourtant, j'aime la Saint-Jean. J'aime la parade et je n'ai pas envie de casser le party. C'est le fun, la Fête nationale!

Il m'a fallu prendre un moment de réflexion. J'ai appuyé sur pause pour prendre le temps de m'attarder comme il faut au pouvoir des images que je venais d'absorber. Un sujet si important couvert avec autant de désinvolture, ça fesse.

Hop, un verre d'eau. On continue.

J'appuie sur lecture. Le reportage se poursuit. Apparaissent les Blancs vêtus en blanc, symbole de pureté, d'innocence et de lumière. Ils portent des chapeaux, font des mouvements de danse. Ils sont heureux et saluent la foulent. Puis, il y a les Noirs. De jeunes hommes. Ils sont costumés avec un accoutrement qui évoque immédiatement chez moi le souvenir des uniformes de prison ou d'esclaves. Ils poussent un char. Visiblement, ils ont chaud. Ce premier segment de la parade a pour thème… l'histoire! (Parlant d'histoire, saviez-vous que la fin de la parade avait lieu non loin de l'endroit où l'esclave Angélique, accusée d'avoir incendié Montréal, fut torturée, pendue et brûlée par les autorités?)

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Le reportage enchaîne ensuite avec l'intervention de Maxime Laporte, président de la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal, qui organise la Fête nationale. « J'aimerais appeler au calme, dit-il. Je pense que c'est malhonnête de vouloir nous prêter des intentions mauvaises alors que l'on fait tous les efforts — tous les efforts légitimes — pour représenter la diversité québécoise. »

Encore une fois, c'est nous le problème, les gens offusqués par les images de jeunes Noirs qui poussent un char transportant des Blancs. Mais ils ont fait des efforts d'inclusion! Laissez-moi vous dire quelque chose, Monsieur Laporte : peu importe vos intentions, l'énorme malaise que vous avez provoqué n'est pas moins légitime que vos « efforts de représenter la diversité québécoise ».

Il a été important pour M. Laporte et les médias de mettre l'accent sur le hasard et le contexte de la parade verte qui a mené à la scène en question. Mais qu'en est-il du contexte historique à travers lequel je navigue chaque jour en tant que Montréalaise noire?

C'est sans parler des commentaires de monsieur et madame Tout-le-monde sous la vidéo. Des dialogues qui me piquent et me confirment ma perception des conditions de vie qui me sont propres, en tant que femme noire. Or, ma couleur, dont je suis tant fière, et le poids qu'elle me fait porter quotidiennement deviennent invisibles aux yeux de mes confrères québécois blancs lorsque je manifeste mon désaccord avec les inattentions commises à mon endroit.

Mes deux souhaits pour les futures maladresses signées Québec sont les suivants. J'espère d'une part que les médias arrêteront d'appeler instinctivement au calme et qu'ils présentent les deux côtés d'un enjeu d'une si grande portée. Ensuite, j'aimerais que tout un chacun reconnaisse que le Québec ne serait pas ce qu'il est si les Québécois étaient restés calmes devant les insultes à leur identité. Le Québec s'est bâti grâce aux « casseurs de party », comme nous, qui n'ont jamais accepté qu'on empiète sur leur dignité.


Gabriella Kinté est libraire chez Racines, une librairie de Montréal-Nord qui a pour mandat de mettre de l'avant l'histoire et les contributions des personnes racisées.