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LE NUMÉRO DES GENS QUI EXPLOSENT

Tobe Hooper

Tobe Hooper était l'invité d'honneur de l'Étrange Festival en septembre dernier. Il venait y présenter ses films préférés mais surtout Eggshells, son premier film sorti dans la confidence absolue en 1969 et qui avait depuis disparu. Il s'agit d...

Tobe Hooper était l’invité d’honneur de l’Étrange Festival en septembre dernier. Il venait y présenter ses films préférés mais surtout

Eggshells

, son premier film sorti dans la confidence absolue en 1969 et qui avait depuis disparu. Il s’agit d’un faux documentaire sur une communauté de hippies qui sert de catalogue à tout ce qui pouvait se faire comme cinéma expérimental à l’époque. Un film psychédélique blindé de fulgurances baisées comme la visite d’une baraque en pixellation ou encore un combat à l’épée dans lequel un mec se bat contre lui-même en champ/contre-champ, dans un même plan. OK, c’est cryptique à expliquer mais parfaitement sidérant à voir.

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J’étais content de réaliser que le générique de

Massacre à la tronçonneuse

, qu’il a tourné en réaction à l’insuccès d’

Eggshells

, n’était pas un hasard : c’est le plus beau plan d’un des plus grands films du monde qui surclasse largement sa réputation de film gore et dégueulasse et même de film à sous-texte politique engagé. Si

Massacre à la tronçonneuse

est engagé, c’est cinématographiquement. De ce point de vue, je n’ai aucun mal à le comparer à

Citizen Kane

. Ouais,

Massacre à la tronçonneuse

dépasse à ce point sa réputation finalement terne. D’autant que Tobe Hooper a eu beau réaliser

Poltergeist

(dont la rumeur le dépossède à la ­faveur de Spielberg), personne n’est capable de citer d’autres titres à brûle-pourpoint.

C’est le problème de Tobe Hooper. Il n’est connu que pour un film surpuissant qui efface le reste d’une filmographie un peu morne. Et si cette interview avec celui qu’on considère comme un des plus grands réalisateurs de films d’horreur de l’histoire pour un seul film m’a servi à quelque chose, c’est bien à me convaincre que comme tous les vieux mecs barbus, Tobe Hooper est sacrément cool et qu’heureusement,

Massacre

n’était vraiment pas un hasard.

Vice : J’ai interviewé Eli Roth hier, il vous envoie plein de bisous et m’a dit qu’on pourrait comparer nos barbes.

Tobe Hooper :

Ah ! Très bien. Bah, la mienne est d’une couleur différente…

Et plus courte, aussi.

Ouais, j’ai fini par la couper un peu. Ah, j’adore Eli.

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D’ailleurs à son propos et celui de tous ces jeunes réalisateurs de films d’horreur qui vous vénèrent, j’ai toujours trouvé que vous étiez victime d’un énorme malentendu et que vos films étaient beaucoup plus drôles que ce qu’on veut bien nous faire croire.

Ça me convient parfaitement. À la base, je voulais faire des comédies. J’ai un certain sens de l’humour, et j’aime l’ironie. J’aime l’humour décalé mais honnête. Comme « Regarde ce que ton frère a fait à la porte » [

ndlr : une réplique de

Massacre à la tronçonneuse

, quand le seul frère de la famille capable d’aligner deux mots découvre que Leatherface a niqué la porte de leur baraque

]. Et c’est ce qu’il dirait parce que même s’il y a des morts partout, il ne pense qu’au mec qui a abîmé sa putain de baraque. Et ça me plaît parce que quand le film est sorti, le public était tellement choqué que personne n’a percuté. Ils étaient étourdis par l’énergie et il a fallu cinq ou six ans pour qu’ils commencent à voir qu’en fait, c’était drôle.

Comment Eggshells a disparu puis réapparu ?

Il y avait une copie qui traînait et il n’y en a pas eu tellement, à peine une quinzaine. C’était un peu mon film perdu, mais c’était aussi mon premier long-métrage. Il a été restauré – et il est encore en phase de restauration à partir d’une copie 35 mm.

C’est un film qui vous plaît toujours ou vous espériez qu’il ne referait plus jamais surface ?

Oh non ! Je l’aime beaucoup. Il y a toujours des trucs intéressants dedans. Il y a des moments où les hallucinations sont un peu longues, c’est vrai. J’ai été tenté d’en couper des bouts mais finalement, je ne l’ai pas fait. Le film a 40 ans aujourd’hui, et j’en suis content. Il a encore quelques qualités.

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Je suis super impatient de le voir.

Mais ce n’est pas un film d’horreur…

Je sais ! Kim Henkel joue dedans. Comment vous êtes-vous lancés dans Massacre à la tronçonneuse ?

J’ai rencontré Kim sur

Eggshells

. On est devenus les meilleurs amis du monde. On voyait les choses de la même manière. J’avais commencé à bosser sur un récit, une structure. Vous devez être au courant de cette histoire qui m’est arrivée dans un grand magasin – je me suis retrouvé face à des tronçonneuses, coincé dans la foule. Le temps que je rentre chez moi, j’avais déjà ­imaginé cette histoire. Le point central c’était l’impossibilité de s’échapper. Une bande d’étudiants qui tombent en panne. Leur isolement. Ils ne trouvent pas de pompe à essence. À l’époque aux États-Unis, il y avait une crise pétrolière – ou bien on l’avait inventée, qui sait ? C’était une ­période étrange, très politisée. On était dans un genre de ­récession. Bref, l’histoire m’est venue après une mauvaise expérience de courses de Noël – et en plus j’avais rien acheté –, j’ai ­branché

Goodbye Yellow Brick Road

d’Elton John et ça m’est venu comme ça.

En écoutant Elton John ?

Oui. C’est étrange, n’est-ce pas ?

Étrange, c’est le mot.

Alors j’ai appelé Kim et je lui ai raconté l’histoire du film. J’ai rajouté : « Voyons-nous, écrivons ce film, faisons-le. » Il s’est pointé vingt minutes plus tard avec sa machine à écrire. Il était assis dans la cuisine, moi j’étais dans mon petit bureau et entre-temps j’avais mis

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Berlin

de Lou Reed. On a écrit le scénario comme ça. Ça nous a pris trois ou quatre semaines, je dirais. Et c’était tellement effrayant sur le papier… C’était bien. Et les personnages étaient bien, aussi. Il fallait qu’on le fasse. Et c’était peut-être ça mon cadeau de Noël. Puis il a fallu trouver l’argent, trouver les comédiens, etc.

L’ouverture du film est un des trucs les plus beaux que j’aie vus au cinéma. Ça me tue à chaque fois. Cette matière qui brûle et ce cadavre… Vous pouvez m’en dire un peu plus sur ces visions et ces sons ?

C’est moi qui suis responsable de toutes ces images. On commence dans le noir, c’est ça ? Puis on entend le son d’un Polaroïd ? Des bruits stressants. Puis des morceaux du cadavre apparaissent. Et enfin il se montre, empalé sur une tombe.

Oui, et je me souviens aussi de ces espèces d’éruptions solaires.

Oui, ce sont des images d’éruptions solaires que j’ai récupérées de la NASA. À l’époque, beaucoup de gens ne savaient pas ce que c’était, ces explosions de magma en fusion. Maintenant ils ont des images beaucoup plus nettes, ça paraît moins abstrait. Dans le film, la Terre est frappée par une tempête solaire. Les filles lisent des trucs à propos de Mercure et de leur horoscope, et tout ce qui leur arrive fait partie d’un tout qui fait lui-même partie de la nature et est connecté avec cette espèce de tatou étripé. Tout ça pour dire que c’est une mauvaise journée pour tout le monde. Et une très mauvaise ­journée pour Leatherface. Je veux dire, si on se met à la place de Leatherface, il ne sait pas d’où viennent ces gamins. Ils n’arrêtent pas de se pointer, l’emmerdent de plus en plus, et à force ça commence à l’énerver.

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Et la bande-son du film est incroyable. Vous y avez participé ?

Oui. Ça vient de mes années hippies. J’avais aussi composé un morceau pour

Eggshells

. Mais en fait on s’asseyait en rond, puis on faisait ce qu’on appelait « de la musique » avec des instruments cassés. On avait un koto sur lequel quelqu’un avait marché. Un archet de violon. Et on s’est mis à acheter des instruments africains, des kalimbas, des hochets qu’on enregistrait à différentes vitesses et qu’on rejouait, des hurlements aussi. Les hurlements qu’on entend dans la musique du film, c’est moi qui criais dans un tube en carton avec un micro au bout. J’avais ces deux magnétos Sony que je branchais l’un derrière l’autre pour obtenir un écho. Mais ce n’était pas vraiment un écho en fait… Je n’ai jamais trop su ce que c’était.

Ça donne au film une patine « art & essai ». C’était ce que vous cherchiez ou vous teniez à faire un vrai film d’horreur ?

Non. Je tenais à faire un film d’horreur parce que

Eggshells

n’avait pas trouvé beaucoup de distributeurs. On l’avait passé dans moins de cinquante salles, des salles de campus pour la plupart. Et on avait fini par l’oublier. Ça n’avait pas lancé ma carrière, je me disais qu’un film d’horreur était un bon tremplin pour ça. Au moins je pouvais le distribuer dans les drive-in. Mais je savais ce que je faisais, et je savais que je faisais un truc différent de tout ce qui existait. Parce que j’avais les moyens de le faire. J’avais déjà réalisé une soixantaine de documentaires, je savais filmer, j’étais mon propre chef opérateur, je montais moi-même, je posais mes gaffers, j’étais mon maquilleur. Tout ça, je savais faire. J’étais déjà fan de films d’horreur et je savais à l’avance que celui-ci serait particulier.

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Vous aimiez quel genre de réalisateurs à l’époque ?

Oh. Fellini…

La Dolce Vita

.

Alors c’est à La Dolce Vita qu’on doit Massacre à la tronçonneuse ?

Oui, et à

. Et

Orange Mécanique

aussi. Cet aspect étrange, et cet humour bizarre. C’est franchement drôle quand Alex chante

Singing in the Rain

en filant des coups de pied au clochard. Et il y a ce film de John Frankenheimer,

L’Opération diabolique

. Quand Will Geer parle à Rock Hudson – on sait que Hudson va se faire buter – comme un coach qui va devoir virer un gamin de l’équipe de football, genre, « je pensais que tu y arriverais, petit » mais là on parle de vie et de mort. Et il y a Jeff Corey qui en parle en mangeant du poulet. Je ne sais pas comment ça lui a traversé l’esprit.

En continuant sur l’humour sous-jacent dans Massacre, j’ai toujours vu le film comme un épisode de Scooby-Doo qui tournerait mal. Le méchant masqué, le Mystery Van, tout ça. Vous êtes d’accord ?

En tout cas je ne m’oppose pas à l’idée. En fait c’est assez génial, effectivement. C’est de toute façon l’histoire d’une journée qui tourne mal, ça c’est sûr.

Est-ce que vous diriez que le sérieux du film venait plus de Henkel finalement ?

On l’a écrit ensemble, vraiment. Mais non. Pour moi, il fallait que le film soit sérieux. Il a été écrit sérieusement. Mais je ne peux pas m’en empêcher. Cet humour, c’était essentiel. Et en l’écrivant, en le montant, en le montrant, plus ça faisait peur, plus je riais. Parce que je savais que ça fonctionnait. Mais, c’était ma perception bizarre des choses.

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Vous avez regretté toutes les conséquences que le film a entraînées ? Je veux dire, la censure, les interdictions. C’est une bonne promo mais ça doit être super fatigant.

Ça l’a été, mais comme la boîte de distribution nous avait déjà censurés elle aussi, c’était pas si grave. Et puis tout le monde parlait du film. Ç’aurait été génial si ça s’était passé plus en douceur, sans tous ces problèmes de censure. En Angleterre, le film a été interdit pendant vingt-trois ans, et longtemps, c’est resté comme le prototype même du

video nasty

. Il a lancé un genre de mouvement, on l’a catalogué comme étant ultra-violent. Avec d’autres de mes films, genre

Massacres dans le train fantôme. Le Crocodile de la mort

encore, je veux bien. Mais le

Train fantôme

Je me suis demandé si c’étaient toutes ces histoires qui vous avaient dissuadé de refaire un film aussi violent.

J’ai déménagé à Los Angeles juste après. William ­Friedkin était mon mentor. Il m’a pris sous son aile et m’a obtenu un contrat. C’était un monde différent. Si j’étais resté à Austin, mes films auraient été différents. Mais où qu’on aille tourner un film, il y a quelque chose dans le sol, dans l’équipe, c’est comme une danse de guerre indienne. On commence à faire des cercles avec l’équipe, le cast et rapidement, le film se fait tout seul. Il y a comme un esprit, une force tangible qui fait en sorte que les choses restent en place.

Vous évoquez Massacres dans le train fantôme, ça c’est VRAIMENT un épisode de Scooby-Doo !

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Alors là, complètement !

On en arrive à Poltergeist. Beaucoup d’encre a coulé à propos de ce film. On dit que Steven Spielberg l’a réalisé. Qu’est-ce qui vous ennuie le plus : qu’on vous parle de ça ou de Massacre à la tronçonneuse ?

Ah, j’en ai beaucoup plus marre de parler de cette histoire de

Poltergeist

parce que ça m’a vraiment fait du mal.

À ce point ?

Ça m’a fait botter en touche. C’est horrible ce qui s’est passé. On tournait la séquence de l’enterrement du petit oiseau. J’étais en retard sur le plan de travail parce qu’on n’avait eu que dix jours pour tourner les extérieurs, et j’ai demandé à Steven de gérer la seconde équipe, celle qui devait tourner le plan de la voiture télécommandée – et plus particulièrement le plan au-dessus de Dirk Blocker sur son vélo, quand les voitures lui coupent la route. Le temps que je finisse, je reviens tourner la chute. Mais quelqu’un du

Los Angeles Times

était venu ce jour-là, m’avait vu derrière la maison pendant que Steven filmait les voitures dans la rue. Le mec avait fini par écrire un truc, genre, « on voit bien qui réalise le film ». Ça m’a poursuivi toute ma vie. Ça n’aurait pas dû à cause de trucs merveilleux qui ont entouré le film comme mon amitié pour Steven avec qui j’ai continué de travailler au fil des années. Et pourtant ça a eu un impact très négatif. Même quand Steven a fait passer une page entière dans

Variety

disant que rien de tout ça n’était vrai. Et puis j’ai tellement appris sur les effets spéciaux grâce à ILM [

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ndlr : Industrial Light & Magic

]. C’était une expérience merveilleuse. Alors oui, ça me soûle toujours de parler de ça.

N’en parlons plus. Mais n’est-ce pas votre expérience à la Cannon avec Golan et Globus qui a fini de vous ruiner, comme pas mal de réalisateurs ?

J’ai fait trois films d’affilée avec eux. Après le troisième,

Massacre 2

, dans lequel il y a beaucoup d’humour, j’étais prêt à me poser, fumer des cigares et repenser à tout ça. Je voulais retrouver une certaine innocence. Je voulais regarder des films, les apprécier à nouveau, réapprendre, me recentrer parce que cette expérience m’avait fait perdre ma place auprès du public. Il fallait que je m’y retrouve de nouveau.

Il n’y a pas eu que du mauvais, alors.

Non. Et au moins, ils faisaient des films. S’ils ne gagnaient pas d’argent, ils s’en moquaient. Ils tournaient les talons. Ils m’aimaient, je les aimais aussi.

Je voulais aussi évoquer Life Force qui a été un éveil sexuel pour pas mal de gamins, dont moi. Est-ce que vous pouvez nous parler de Mathilda May ?

Oh Mathilda… J’adorais Mathilda, elle était géniale. J’ai tourné à Londres et j’ai eu du mal à trouver une comédienne anglaise. J’ai commencé à faire des screen tests avec celles qui voulaient bien se déshabiller devant la caméra mais ça ne marchait pas. Alors j’ai fait ­venir des filles d’Italie, d’Allemagne, ne serait-ce que pour voir si elles pouvaient gérer. Mais je cherchais cette ­vampire spatiale parfaite. Bref. Et j’ai entendu parler d’une jeune danseuse à Paris. J’ai exigé qu’on la fasse venir à Londres. Elle est arrivée, j’ai fait les screen tests, discuté deux minutes avec elle et elle n’est pas repartie. Elle est restée là les 117 jours de tournage et elle a marqué le film. Il ne serait pas ce qu’il est sans elle. C’était la ­trouvaille parfaite.

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Quand on revoit le film aujourd’hui, elle est toujours assez incroyable.

Oui, elle est toujours bien.

Et il y a eu le retour de Massacre à la tronçonneuse.

Avant il y a eu

Invaders from Mars

.

Oui, d’ailleurs c’est une de mes plus grandes frustrations d’enfant de ne pas l’avoir vu à l’époque parce qu’il était interdit aux moins de 13 ans.

Ah bon ? C’est fou ! C’est pourtant le seul film que j’ai fait qui, à ma connaissance, n’a pas été interdit.

Ah ? En France il me semble qu’il l’était. Ou peut-être qu’il était juste interdit par ma mère.

C’est dommage, parce que je l’ai vraiment fait pour les enfants, celui-là. Mais il est sorti au mauvais moment. Et donc oui, après j’ai fait

Massacre 2

.

Qui est un peu Massacre à la tronçonneuse en n’importe comment.

Exactement. Et ça m’a permis de me rattraper vis-à-vis du public qui n’avait pas perçu l’humour du premier. C’est à ce moment que l’on est passés du film d’horreur au slasher. Avec beaucoup de sang. C’est un des films les plus sanglants que j’aie faits. Le sang me fait marrer. C’est tellement « trop ».

Comment est-ce que les fans l’ont perçu ?

Les fans s’attendaient au même truc. Et j’ai retenu la leçon. Ils s’en tapaient que

Massacre 2

soit adapté à la génération

Breakfast Club

, à la frivolité des

eighties

, les dépenses, l’opulence, etc.

Les jingles MTV, aussi.

Oui. Ils s’en foutaient. Ils voulaient toujours la même chose. Ils avaient arrêté de voir les films comme du cinéma. Ils étaient devenus « autre chose ».

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Des produits ?

Des produits. Ce n’était plus un art, ou au mieux un art commercial. Et ils ne s’y retrouvaient pas. Ils ne voyaient pas le lien. Un film devait faire partie de l’époque, des ­infos, de ce qui se passait dans le monde à ce moment-là.

Comment vous percevez le remake de Kim Henkel ? Il vous a consulté avant de le faire ?

Non. Il y avait des trucs assez fous dedans mais cinématographiquement, ça manquait de fluidité. Il n’y avait pas ce côté opératique que j’aime bien mettre dans mes films. La musique, l’attitude des personnages. J’essaie de transformer ça en un opéra étrange qui s’installe dans la tête du spectateur.

Les années 1990 n’ont pas été super fructueuses pour vous. Vous avez bossé pour la télé.

Oui, j’ai fait pas mal de télé. Des trucs qui ont eu beaucoup de succès. J’ai écrit trois pilotes à la suite qui ont tous été pris. Puis j’ai signé avec Disney. Je roulais jusqu’au bureau, j’essayais de proposer des trucs originaux mais ils n’en voulaient pas. Alors j’ai acheté une maison à Austin. C’était la belle vie mais j’y passais deux, trois semaines, et je retournais systématiquement à Los Angeles. Donc bon, j’ai revendu ma maison et je suis resté à L.A.

Quand vous dites que les projets originaux ne les intéressaient pas, vous pensez que c’est encore le cas aujourd’hui ?

Je pense que c’est bien pire aujourd’hui. C’est terrible. Quand j’assiste à des réunions, il faut tout leur expliquer. Que tout soit facile à assimiler. Que le public puisse tout comprendre. Et si on le laisse comprendre, alors on revient à l’époque de

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Massacre à la tronçonneuse

. Personne n’y évoque le cannibalisme. On n’en parle pas, on ne le montre pas, mais il y a pourtant une grande partie du récit qui le sous-entend.

C’est en filigrane.

Oui mais il faut entrer en interaction avec le film – comme avec un jeu vidéo – pour en arriver là. Encore que… Est-ce qu’il s’agit vraiment de cannibalisme ? Bon c’est le cas, mais il faut interagir pour le comprendre. Alors pourquoi est-ce que je devrais l’expliquer aujourd’hui ? Alors qu’on joue à des jeux interactifs ? C’est comme un train sans ­pilote. Pourquoi l’expliquer au public ? Ils se marreront bien plus s’ils le comprennent par eux-mêmes !

Votre prochain projet c’est From a Buick 8, tiré d’un ­roman de Stephen King, non ?

Oui. Mais je ne peux pas trop en parler. C’est encore en développement. Je ne sais pas si on le fera.

Vous considérez que c’est un projet original ? Je vous avoue que je n’ai pas lu le livre.

C’est une histoire touchante, très émouvante. Et en même temps ça file les chocottes. Le bouquin est sidérant mais il est dur à adapter, on ne peut pas savoir à l’avance ce qui fera peur dans le film. Mais comme toujours, je dis : « J’espère que je vais faire ça », et un autre projet pointe son nez.

Vous avez commencé à écrire un livre vous aussi, non ?

Oui, en collaboration avec Alan Goldsher. Ça parle de Tobe Hooper en tant que personnage.

Oh… Du postmodernisme.

Oui ! C’est l’idée de Goldsher, dont le dernier bouquin

Paul is Undead

met en scène Mick Jagger en tueur de zombies et les Beatles sont des zombies. C’est très cool.

C’est de la littérature bizarro.

C’est exactement ça. Je suis le personnage auquel les gens s’attendent et en fait…

Vous êtes consultant sur le projet ? Vous avez le droit de dire, « oui ça, ça pourrait m’arriver, oui, je réagirais comme ça » ?

Non, non, on l’écrit ensemble, tous les deux. Il a quelques idées brillantes et j’en ai d’autres qui sont pas mal non plus. Ça devrait sortir l’année prochaine.

J’ai une dernière question. Une question piège. En 1989 en France, on a rassemblé un aréopage de critiques, ­auteurs, cinéastes émérites pour dresser un « palmarès des dix films les plus violents de l’histoire ». Sans ­surprise, Massacre à la tronçonneuse est arrivé dans le tiercé gagnant, suivi de pas si loin par Shoah. Vous avez un commentaire ?

Comment vous voulez que je réponde à ça ? C’est impossible. Il y a la réalité « vraie » et une réalité inventée. On ne peut pas mettre les deux films dans le même sac. Il y a l’amusement, le fun, et l’horreur à un autre niveau… ­Enfin… Il y a…

Ne vous embêtez pas, je vous ai prévenu que c’était un piège.