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LE NUMÉRO REPRÉSAILLES

Distant Planet

Je me promenais tranquillement à Chambourcy, dans le désert de Retz, en compagnie de ma fidèle amie Blue Mystic et d'une playlist concoctée pour l'occasion, lorsqu'une intuition saugrenue m'est venue à l'esprit. Je l'attribuai dans un premier temps...

  Je me promenais tranquillement à Chambourcy, dans le désert de Retz, en compagnie de ma fidèle amie Blue Mystic et d’une playlist concoctée pour l’occasion, lorsqu’une intuition saugrenue m’est venue à l’esprit. Je l’attribuai dans un premier temps à l’influence douteuse de mon amie et rentrai chez moi en ingurgitant des litres de jus d’orange. Mais, à la vue de la pochette du premier EP de B.H.F.V. dans ma boîte aux lettres, tout fit soudainement sens. Les signes ne mentent jamais.

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B.H.F.V. n’est pas seulement l’acronyme du quartier de la gare de Francfort, c’est aussi la moitié d’Arto Mwambé (CB Funk, sans H.R. Lauer) associée à Oliver Hafenbauer (le manager de Live at Robert Johnson). Aux dire d’Hafenbauer, ce projet vise à créer un son « sci-fi » qui leur soit propre. L’ennui, c’est que les conventions qui régissent ce type de son né avec Louis et Bebe Barron (compositeurs de la B.O. de

Planète interdite

, première du genre entièrement électronique), se sont progressivement figées et n’ont plus évolué depuis les années quatre-vingt-dix. Aussi, il est probable qu’après la prochaine catastrophe planétaire, les survivants aient des difficultés à concevoir le fait que ce maxi date d’après l’an 2000 – d’autant plus qu’en ce nouveau millénaire la science-fiction a perdu de sa superbe, puisqu’en guise de voiture volante à propulsion nucléaire et de colonies martiennes, on s’est vu proposer la Smart hybride et la pompe à chaleur. Mais avant cela, la critique musicale, restée sourde aux annonces de l’apocalypse à venir, se servira probablement de ce disque pour alimenter d’interminables débats sur l’état de la musique électronique aujourd’hui. Les nostalgiques y verront l’un des derniers remparts du goût face à des productions contemporaines décevantes, alors que leurs adversaires y dénonceront un passéisme fatiguant.

Ce qu’aucun des deux camps ne semble avoir envisagé faute de psychotropes éclairants et d’escapades extra-urbaines, c’est que ces tracks house conjugués au futur du passé qui se multiplient depuis quelques années sont à l’image du monstre de Bomarzo qui orne la pochette de ce 12” : de magnifiques fabriques de jardins, pas de vaines tentatives de parachever les édifications mythiques qui ont vu le jour à Detroit ou Chicago. La porte des Enfers du parc des monstres de ce village italien est l’une de ces petites constructions à vocation ornementale que l’on retrouve dans de nombreuses compositions paysagères, parcs et jardins, à partir du XVIe siècle, et qui prennent souvent la forme de fausses ruines antiques, médiévales ou préhistoriques. En parsemant le jardin du Désert de ce genre de bâtiments à la fin du XVIIIe siècle, François de Monville ne s’est pas contenté de fantasmer des périodes révolues par un simple jeu de références. En associant les motifs de l’égarement et de la ruine à un certain idéal futuriste, il est parvenu à lier le goût du mystère à l’éveil scientifique.

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Rapprocher mon goût pour les productions downgrade ou simplement inspirées de techniques et sonorités d’un autre âge et mon intérêt pour les pierres recouvertes de mousse n’a peut-être aucun sens. Pourtant, au-delà de leur thématique, « Ancient Ritual » de Sir Stephen (sur le maxi intitulé

Pagan Future

) et le temple au dieu Pan du désert de Retz ont en commun d’être des œuvres anachroniques, que l’on ne peut pourtant réduire à des copies désuètes. Allez donc écouter Bastard Prince en contemplant la tente tartare qui servait de salle d’armes sur l’île du Bonheur et vous comprendrez mieux l’analogie que mon cerveau fatigué et embrumé essaie péniblement d’expliquer.

Au-delà de leur intérêt dans le cadre de ma démonstration, ces deux EP ne sont malheureusement pas des meilleurs*. Dans ce même registre « ésotérisme contemporain fait de collisions temporelles », préférez le dernier Protect-U sur le label Future Times. Malheureusement, la maison chinoise qui aurait accompagné à merveille le titre « World Music » s’est effondrée au début des années soixante-dix. À défaut, vous pourrez toujours faire un tour du côté du temple du Repos en écoutant « U-Uno », le meilleur morceau du maxi. Puis, si vous avez déjà la compile

Futur Times Vibe 1

(sortie en 2009), enchaînez sur leur chef-d’œuvre, « Protection », et rendez-vous à la glacière pyramide (ce bâtiment incroyable qui ressemble plus au cénotaphe pyramidal de l’architecte visionnaire Étienne-Louis Boullée qu’aux polyèdres millénaires). « Arena » de Tevo Howard sur l’EP

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The Drum Machine

devrait permettre de redonner un peu d’éclat au théâtre découvert sous un berceau de grands ormes, désormais privé de son ombrage. « Systematic Journey » est également un excellent track, mais je ne suis pas sûr qu’il soit le plus approprié à la découverte de la colonne détruite, l’habitation utopico-futuriste de M. de Monville. Deux ou trois morceaux du premier album de June,

Cytheria

, s’y prêtent peut-être plus. Je vous laisse le soin de déterminer la playlist idéale sur Godspill, Rush-Hour, Clone, etc. Ces disquaires hollandais sont comme le désert de Retz : vous n’y trouverez pas plus de chefs-d’œuvre fondamentaux nés de la désindustrialisation du Midwest (à l’exception de quelques rééditions ou inédits d’époque) que vous ne rencontrerez de vestiges de grandes civilisations disparues à côté de l’autoroute A13, et pourtant, ça défonce.

*Sir Stephen est exceptionnellement pardonné car lors de la réalisation de Pagan Future, il a eu la drôle d’idée d’inviter dans sa maison de la Nouvelle-Orléans le soi-disant manager d’un groupe de rap inconnu (Stephen Breaux produit aussi du rap et d’autres trucs comme les Jonas Brothers). Puis, probablement pour impressionner son hôte, il lui a montré les 15 000 dollars en liquide qu’il gardait chez lui. Bien évidemment Stephen et sa copine ont fini bâillonnés et menottés au scotch, un flingue sur la tempe.

B.H.F.V. – ET 01-06 (Playrjc 010), Live at Robert Johnson (Francfort)

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Sir Stephen – Pagan Future (WT05), W.T. Records (New-York)

Protect-U – World Music (FT008), Future Times (Washington)

Various – Vibe 1 (FT004), Future Times (Washington)

Tevo Howard – The Drum Machine Man (TTHR 001), Tevo Howard Recordings (Chicago)

June – Cytheria (TD10), These days (Berlin)