FYI.

This story is over 5 years old.

Crime

Décryptage de LuxLeaks, épisode II : « On est à la frontière avec la légalité »

Skype, Disney, 35 compagnies sont citées dans une nouvelle vague de révélations de documents qui détaillent le fonctionnement de l'optimisation fiscale au Luxembourg.
image via Flickr

Un mois après la révélation d'accords fiscaux secrets entre le Luxembourg et plus de 340 multinationales, dont Ikea, FedEx ou Amazon, une nouvelle vague de documents révélés par le Consortium international des journalistes d'investigation (ICIJ) implique 35 nouvelles entreprises étrangères.

Skype et Walt Disney figurent dans la liste de ces multinationales qui ont bénéficié de déductions fiscales colossales qui ne sont pas illégales pour autant.

Publicité

Selon des calculs réalisés par l'ICIJ à partir des documents qu'on lui a fait parvenir anonymement, dans le cas de Skype il s'agit de déduction fiscale à hauteur de 95% de ses revenus. Pour Walt Disney, il s'agit d'un taux d'imposition inférieur à 1%.

Ces entreprises ont recours à des montages financiers pour réduire leurs charges d'impôts aux États-Unis et ailleurs en Europe. Disney, par exemple, s'est divisé en pas moins de 24 filiales qui se prêtent de l'argent entre elles, ce qui leur permet d'absorber les profits des filiales situées dans des pays à fiscalité normale ou élevée (comme en France et en Allemagne) pour les rapatrier au Luxembourg où ils seront très peu imposés.

À lire : Luxleaks : « Juncker doit agir ou partir » pour Eva Joly.

Dans un long entretien accordé au quotidien Libération, Jean-Claude Junker, actuel président de la Commission européenne et ancien Premier ministre du Luxembourg à l'époque pendant laquelle ces accords ont été passés, reconnaît qu'il est affaibli par ces révélations, mais estime qu'il n'est pas le seul responsable. Sa ligne de défense c'est que tout le monde est aussi fautif que lui puisque personne ne s'est manifesté pour contester l'écart qui se creusait entre les différentes normes fiscales relatives aux différents membres de l'Union européenne, ce que Juncker appelle dans Libération « une chambre noire. »

Afin de mieux comprendre la composition et la fonction de « cette chambre noire », VICE News s'est entretenu avec le spécialiste Gabriel Zucman, professeur à la London School of Economics et auteur du livre La Richesse cachée des nations. Enquête sur les paradis fiscaux.

Publicité

Que nous apprennent ces nouvelles révélations?

Ce sont de nouveaux documents qui montrent qu'il y a encore d'autres compagnies qui ont procédé à ces montages fiscaux au Luxembourg et ce sont des fuites qui viennent d'autres cabinets d'audit. Pour ce qui est du fond, c'est la même chose que la première vague de révélations.

Que faut-il retenir de ces « Luxleaks »?

Les Luxleaks mettent en lumière le fait qu'un grand nombre de ces multinationales font tout ce qu'elles peuvent pour profiter du système fiscal international et faire apparaître le plus de profits possible au Luxembourg, en Irlande, aux Bermudes, où elles sont très peu taxées. C'est quelque chose qui était connu dans les chiffres macroéconomiques, mais de façon un peu abstraite. Ce genre de révélation permet de mettre des noms concrets d'entreprises connues de tout le monde, par exemple comme Skype, sur ces mécanismes. Ça rend plus concrète et palpable l'optimisation fiscale agressive de certaines entreprises.

Qu'entendez-vous par "optimisation fiscale agressive" ?

Ces entreprises multinationales essaient en général de respecter la lettre de la loi mais pas l'esprit de la loi. C'est pour ça qu'on peut qualifier ça d'optimisation et pas de fraude, mais c'est agressif parce que ça va contre l'esprit du législateur.

Comment ça marche ?

La grande technique pour payer moins d'impôts consiste à faire apparaître les profits dans les territoires où les taux d'imposition sont faibles ou de l'ordre de zéro, comme aux Bermudes où il n'y a pas d'impôt sur les sociétés. En revanche, on fait apparaitre les pertes dans les pays où il y a des impôts sur les sociétés élevés comme en France, ou en Allemagne. Tous les montages sont des variations autour de cette idée simple. Il y a deux grands moyens d'y arriver. Le premier, c'est le prêt d'argent entre filiales. Une filiale par exemple, située dans un paradis fiscal va prêter de l'argent à des taux très élevés à une filiale située dans un pays comme la France. Le résultat, c'est qu'il y a beaucoup d'intérêts payés à la filiale située dans un paradis fiscal, et des pertes dans le pays où l'impôt est plus élevé. Le deuxième moyen, c'est la manipulation des prix de transfert. L'idée est la même : faire apparaître les profits là où ils sont le moins taxés.

Publicité

Si c'est légal, pourquoi est-ce que ces documents sont gardés secrets ?

Ces montages sont souvent à la frontière de la légalité, plus exactement on peut dire qu'ils sont en contravention avec l'esprit des lois fiscales domestiques. Ce que les multinationales essaient d'avoir ce sont des garanties que les administrations fiscales vont accepter le montage. Avant de faire un montage, une société comme Skype demande validation à une société luxembourgeoise. Ces advanced pricing agreement sont tenus secrets parce qu'il n'y a pas d'obligation de rendre ces informations publiques à l'heure actuelle.

Est-ce qu'il y a des entreprises qui pratiquent ces montages plus que d'autres ?

Ce qui est clair c'est qu'il y a certains secteurs de l'économie où il est plus facile de manipuler ses profits pour payer moins d'impôts, typiquement le secteur numérique où une grande partie des profits viennent des brevets, des algorithmes. Ce sont des formes de capital immatériel, qui n'ont pas de prix observable, et donc c'est assez facile de manipuler les prix de transfert. C'est plus compliqué pour une société qui vend des fruits et légumes.

Follow Mélodie Bouchaud on Twitter @meloboucho

Image via Flickr / Francisco Anzola