Voici pourquoi Bombardier est dans la merde
Crédit photo : Yan Gouger/Wikimedia

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Les grandes questions

Voici pourquoi Bombardier est dans la merde

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Hier était somme toute une journée de merde pour Bombardier, pour deux raisons majeures. D'un côté, les autorités américaines ont décidé d'imposer une très grosse taxe sur certains de leurs avions. D'un autre côté, il y a deux acteurs de l'industrie ferroviaire qui ont fusionné pour en devenir un très gros géant, ce qui représente beaucoup de compétition pour les trains Bombardier.

On va y revenir. Commençons par les avions.

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Bombardier fait affaire avec Delta, une grosse compagnie d'aviation américaine. En avril 2016, on annonçait fièrement le plus gros contrat de Bombardier à ce jour : Delta allait acheter au moins 75 avions de la C Series, avec une possibilité de s'en procurer 50 autres.

Bombardier estimait la valeur du contrat à 7,1 milliards de dollars. C'est à peu près les fonds que ça prendrait pour construire sept stades et y loger sept équipes des Expos - une pour chaque jour de la semaine. Denis Coderre exploserait de joie.

Bombardier devait commencer à livrer les avions à Delta au printemps 2018. Or, c'est plus vraiment sûr que le contrat va se donner. Et ça, c'est à cause de la mauvaise nouvelle que Bombardier a apprise mardi.

Le U.S. Commerce Department, soit l'équivalent d'un ministère du Commerce, a décidé d'imposer une taxe compensatoire de 220 % sur les avions C Series de Bombardier. Delta devrait donc payer trois fois plus cher pour le même avion.

Ça peut donner envie à une compagnie d'aviation d'aller voir ailleurs. Reste que c'est une décision préliminaire de la part des Américains, ça pourrait changer.

Pourquoi une aussi grosse taxe?

Tout a commencé avec le géant américain de l'aviation Boeing, qui a déposé une plainte au U.S. Commerce Department et à la Commission du commerce international des États-Unis (ITC), en avril dernier.

Boeing demandait une enquête. Elle pointait du doigt l'argent que les gouvernements fédéral et provincial ont accordé à Bombardier, ce qui lui aurait permis de vendre ses avions à rabais aux États-Unis.

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Parce que vendre aux Américains des avions moins cher que tu les vendrais au Canada, ou les vendre en dessous du prix de fabrication, c'est du dumping, et le dumping, c'est à la fois déloyal et interdit dans ce contexte de libre échange.

Boeing est convaincu qu'un avion C Series, ça coûte 33 millions $ US à produire, et qu'ils sont vendus à 22 millions $ US à Delta (même si Bombardier et Delta ne sont pas d'accord avec cette estimation). Et que tout ça, c'est grâce à des subventions fournies par le gouvernement.

Rappelons que le fédéral a prêté 372,5 millions $ à Bombardier en février, en partie pour financer la C Series, ce qui devrait lui prendre 15 ans à rembourser.

La Caisse de dépôt et placement du Québec a pour sa part investi 1,5 milliard $ US dans Bombardier Transport en novembre 2015. Et rappelons que quelques semaines plus tôt, par l'entremise d'Investissement Québec, le gouvernement Couillard avait annoncé l'injection de 1 milliard $ US pour financer le développement et la commercialisation de la C Series, en échange de quoi il détient 49,5 % des parts de cette sous-division de Bombardier.

C'est une entente fort avantageuse pour Bombardier. Le deal a été fait alors que le développement de la C Series prenait du retard, qu'il n'y avait pas le gros contrat avec Delta, et que les récents états financiers de Bombardier enregistraient une perte nette de 4,9 milliards US pour le troisième trimestre de 2015. Tout ça sans compter qu'un avion C Series, ça coûte vraiment cher à produire.

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Je n'ai pas étudié aux HEC, mais si regarder Shark Tank m'a appris une chose, c'est qu'aucun des requins n'aurait accepté cette affaire, parce que la rentabilité de l'investissement était loin d'être assurée. À un milliard, c'est cher le risque.

Simulation approximative d'un épisode de Shark Tank.

À noter que Kevin O'Leary, requin notoire, a même déjà dit que Bombardier est « probablement une des compagnies aérospatiales les moins bien gérées au monde. »

C'est la guerre

Donc on a une compagnie américaine qui dit « Heille, c'est pas juste, t'as pas le droit de subventionner une compagnie pour qu'elle vienne ensuite vendre tout en rabais dans un contexte de commerce international! ».

Et un gouvernement québécois qui dit « Eh, non, calme-toi, c'est pas une subvention, c'est un investissement. C'est pas pareil, j'ai l'doua ». Le gouvernement fédéral canadien pourrait dire quelque chose de semblable; il a le droit de faire un prêt, mais pas un don.

(Reste que le Globe and Mail rapportait en 2015 que Bombardier est allé en cour de multiples fois pour bloquer des demandes d'accès à l'information au sujet du remboursement des prêts gouvernementaux.)

On a aussi relevé que Boeing accuse Bombardier de concurrence déloyale, mais au final, on remarque que la commande de Delta ne correspond pas à ce que produit Boeing. Bombardier ne fait pas tout à fait concurrence à Boeing dans ce cas-ci, parce qu'ils n'offrent pas le même type d'avions. Peut-on alors parler de concurrence déloyale? Ce n'est pas tout le monde qui est d'accord.

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Que faire pour sauver Bombardier?

Avant que la décision préliminaire soit rendue au sujet de la taxe de 220 %, Justin Trudeau avait laissé entendre qu'Ottawa n'achèterait pas comme prévu les 18 avions de chasse de Boeing si la compagnie s'attaquait toujours à Bombardier. Philippe Couillard a dit quelque chose de semblable ce matin, exhortant le Canada à n'acheter aucune pièce ni avion de Boeing « tant que ce conflit n'est pas réglé ».

Londres aussi menace la compagnie de représailles, avançant que l'attaque de Boeing pourrait compromettre de futurs contrats de défense. À noter que Bombardier est une des pierres angulaires de l'économie de l'Irlande du Nord, où 4200 personnes travaillent pour sa division d'aéronautique.

Il reste à voir si de telles pressions sauront avoir un effet sur la décision des Américains.

Le train non plus, ça ne vole pas haut

C'est pas juste l'aviation de Bombardier qui va mal. On anticipe aussi des temps difficiles pour sa division ferroviaire.

Hier, on apprenait que la compagnie française Alstom et l'allemande Siemens fusionnaient pour devenir un géant de l'industrie ferroviaire, ce qui lui permettrait de se dresser contre les géants chinois et japonais.

Bombardier demeure seule devant ces mêmes géants, alors qu'elle-même avait entretenu des discussions durant des mois avec Siemens.

Or, ça ne va pas tout à fait bien pour Bombardier. L'entreprise a perdu un contrat de 100 millions de dollars avec l'AMT en 2016, en raison de trop longs délais de livraison des trains.

Un autre contrat de 3,2 milliards de dollars avec New York lui a filé entre les doigts; la ville n'a pas considéré sa candidature à l'appel d'offres à cause de sa faible performance et de ses retards dans d'autres dossiers.

Bombardier a notamment accumulé des mois de retard dans la production de tramways Metrolinx à Toronto, que la ville a compensé en achetant 61 trains légers à Alstom. Les trains montréalais Azur, une collaboration Bombardier-Alstom, sont de leur côté entrés en service avec un an et demi de retard.

Au train où vont les choses (si vous avez lu jusqu'ici, je m'excuse sincèrement du jeu de mots), Bombardier a pas mal de chemin à faire pour redresser à la fois son fonctionnement et son image.