Je fais le plus beau métier du monde : je suis créateur d’écussons pour la police

Selon un classement on ne peut plus subjectif et mongoloïde mis au point par le site lifestyle Merci Alfred, on trouve sur le podium des « métiers les plus cool » les pilotes de ligne, les dentistes (!) et les comédiens – soit trois occupations objectivement chiantes, auxquelles mes futurs enfants ne s'adonneront jamais sous peine de déshéritage. Aujourd'hui, alors que les bourgeois bohèmes se languissent de « faire quelque chose de leurs mains » et se pâment devant les bouchers en oubliant qu'ils ne tiendraient pas deux minutes chez un équarrisseur, les métiers qui ont la cote semblent tous être plus chiants les uns que les autres. C'est un enfer pour les gens qui, comme moi, passent leur dimanche à mater des films d'Yves Boisset tout en customisant leur Harrington.

Sauf que notre société n'est pas encore définitivement condamnée à sombrer dans les flammes entourant le Pandémonium – du moins, tant qu'elle sera susceptible de donner du travail à des mecs dont la passion est de créer des écussons pour les forces de l'ordre, flics, gendarmes, et autres.

Pascal Genest est de ceux-là. Après une carrière passée au sein de la Police nationale, ce collectionneur d'écussons s'est retiré dans le sud de la France pour s'adonner à son passe-temps favori : la fabrication desdits écussons. Aujourd'hui, il bosse pour différentes unités de maintien de l'ordre et de nombreux services de secours en France et en Europe. J'ai passé un coup de fil à ce créateur de polices pour la Police, en mode polar.

VICE : Comment vous est venue l'idée de fabriquer des écussons ?
Pascal Genest : Depuis l'âge de 12 ans, je collectionne les écussons. Pendant mon activité de policier, la passion n'a pas diminué – bien au contraire. Un jour, pendant mon service, en arrivant dans un commissariat, le chef de poste m'a demandé si par hasard je connaissais quelqu'un qui pouvait fabriquer des écussons pour son service. Je me suis donc aperçu qu'il y avait une demande et peu d'offre, et ça a commencé comme ça.

Au niveau des règlements, les différents groupes ou unités ont-ils le droit de personnaliser leur écusson ?
Officiellement, non. On est en France, donc tout est très réglementé. Officieusement, par contre, ils ont tous le droit de personnaliser ces écussons. Comme dans n'importe quelle administration, on respecte les notes de service quand on le souhaite.

Chaque brigade peut donc personnaliser son écusson – comme les BAC de la Police nationale, les polices municipales, qui sont très demandeuses, etc. Ces dernières modifient leur écusson pour se différencier de la ville voisine. Récemment, depuis le passage de la Gendarmerie nationale sous la tutelle du ministère de l'Intérieur, les différentes unités de gendarmes personnalisent leurs écussons pour leurs tenues civiles, leurs gilets tactiques et leurs uniformes.

Concrètement, comment se passent la fabrication des écussons et le choix des motifs ?
Certains services ne savent pas vraiment ce qu'ils veulent lorsqu'ils me demandent de créer leur écusson. Dans ce cas-là, j'ai carte blanche. D'autres par contre arrivent avec des idées bien précises en tête, voire une ébauche. Ils cherchent simplement à finaliser le logo. Au niveau du choix des motifs et des personnages, c'est au cas par cas. Ça peut être un clin d'œil à une intervention ou un motif qui symbolise au mieux l'état d'esprit de la brigade.

Une fois l'idée en tête, je travaille la maquette sur mon ordinateur. Quand la brigade donne son feu vert, je transmets à un brodeur, qui confectionne à peu près 50 pièces pour chaque groupe. Une fois cette pièce reçue, chaque policier ou gendarme la coud – sur la manche de son blouson ou de son uniforme.

Quelques écussons m'ont bien frappé, notamment l'utilisation du personnage de Taz des Looney Tunes. Pourquoi ce diable ?
En effet, ça, c'était pour la brigade J2 de Champigny-sur-Marne. C'est tout simplement le surnom de l'un des collègues de la brigade, que tout le monde appelle Taz. Apparemment, il est comme le personnage du dessin animé, une vraie tornade au boulot.

Le Sanglier d'Étampes, c'est aussi pour un collègue ?
Non, non. Pour Étampes, c'est parce que c'est une brigade de nuit, qui intervient très souvent en rase campagne, sur des accidents de la route avec des sangliers. Les flics n'adorent pas ça, mais ça fait aussi partie du boulot, et avoir un sanglier sur le blouson les faisait rigoler.

Le logo de la section d'intervention de la Police nationale à Grenoble est quand même bien perché. C'était votre idée ?
Non, ça vient d'eux. Ils voulaient absolument un chevalier casqué en armure, un truc qui renvoie directement à leur tenue d'intervention – quand ils sortent équipés pour les interventions musclées. Le château et le téléphérique derrière représentent la ville de Grenoble.

J'imagine que le taureau pour la troisième brigade de la Police nationale à Béziers, c'est pour conserver l'ambiance locale ?
Absolument. La troisième brigade de la ville a souhaité ce clin d'œil à la tauromachie locale. Ils voulaient bien faire comprendre, via l'écusson, que comme l'animal, ils représentent la force, sont sans peur et toujours prêts à foncer dans le tas.

Après, il faut que vous sachiez que je ne m'occupe pas que de la police, je conçois aussi des logos pour l'administration pénitentiaire. Par exemple, avec le groupe antiémeute de l'ERIS, où le cobra laisse clairement entendre que la brigade est prête à mordre sans chercher à comprendre et à faire rentrer tout le monde de force dans les cellules.

Est-ce que ces logos sont bien vus par l'administration et les supérieurs ?
Oui, il n'y a jamais vraiment eu de problème. Sauf une fois, avec le logo de Noisiel. Il représente un loup-garou avec des menottes qui sort du A de BAC – dans la même typo que le RAID. La polémique vient du fait qu'il a été repris et diffamé sur des sites ouvertement anti-flics et anarchistes. Les mecs l'avaient pris au premier degré et pensaient vraiment que les flics de la BAC se comportaient comme des animaux en intervention.

Mais, en règle générale, tout se passe bien. La hiérarchie et les commissaires donnent toujours le feu vert pour les personnalisations, après avoir vérifié que le nouveau logo ne met pas en danger la brigade, notamment au niveau éthique.

Et sinon, pour le futur, vous avez quoi en tête ?
Eh bien, je dois dire que j'attends avec impatience les prochaines élections. En effet, à chaque turn-over politique, les noms des différents groupes d'interventions et des brigades changent très souvent. J'espère que j'aurai pas mal de boulot !

VICE France est aussi sur Twitter, Instagram, Facebook et sur Flipboard.