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Des manifestants libyens ont pris d'assaut le Parlement et abattu deux députés

Plus de deux ans après la chute de Kadhafi, le pays s'enfonce dans la violence.

Photo via Anadolu Agency

La colère contre le gouvernement de transition libyen a atteint de nouveaux sommets. Dimanche soir, des dizaines de manifestants armés ont envahi le siège du parlement libyen (le Congrès général national ou CGN), à Tripoli. Ils ont saccagé le mobilier, incendié le bâtiment, réclamé sa dissolution et pris à partie plusieurs députés. Deux d'entre eux ont été blessés par balles alors que les protestataires quittaient les lieux.

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D'après l'AFP, armés de bâtons et de couteaux, ils ont scandé « Démission ! Démission ! » à l'adresse des législateurs du pays tout en réclamant des élections anticipées. Selon la télévision libyenne, deux membres du parlement ont été blessés par balles et d’autres ont été tabassés. Au même moment, à Benghazi, un ingénieur français de 49 ans s'est fait tuer par balles dans un incident distinct. La direction de son entreprise a aussitôt évacué son personnel comptant une dizaine d'expatriés – dont deux Français – de Libye.

Lundi, M. Abou Sahmein, le président du CGN, a confirmé que deux membres avaient été « touchés par des tirs alors qu'ils tentaient de s'échapper en voiture » et a promis de « poursuivre le processus démocratique ». Mais, plus de deux ans après la chute de Mouammar Kadhafi, la transition politique du pays a bel et bien atteint une impasse.

« Nous assistons actuellement à la chute de notre nation, a déclaré le blogueur Rawan Radwan à VICE News. La crise sécuritaire empire de jour en jour et le gouvernement ne prend aucune mesure sérieuse. »

Après le vote de l'extension de son mandat – qui devait au départ s'achever le 7 février 2014 – jusqu'à la fin de l'année, le Parlement intérimaire, élu en juillet 2012, est de plus en plus impopulaire au sein de la population. Alors que de nombreuses factions du pays s’entre-déchirent, un grand nombre de Libyens reprochent aux gouvernants de n'avoir toujours pas adopté de Constitution et de n'avoir fixé aucune date pour les prochaines élections législatives et présidentielle.

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Dimanche, le Comité de Février, un groupe de plusieurs députés formé au début du mois, a recommandé au CGN de séparer les élections législatives de l’élection présidentielle. Le Parlement a alors déclaré qu'il allait examiner la proposition et qu'il prendrait une décision concernant les nouvelles lois électorales dans le courant du mois.

Sans justifier son geste, Nouri al-Abaar, le président de la Commission électorale de Libye, a démissionné dimanche, soit un jour après les résultats de l'élection du mois dernier conçue pour désigner les membres de la Commission constituante chargée de rédiger la future Constitution. En raison de l'insécurité et des tensions régnant en Libye, certains habitants de l'est et du sud du pays n'ont pas pu participer à l'élection. Ainsi, sur les 60 sièges, seuls 47 ont été remportés.

En pleine impasse politique, le gouvernement a du mal à contenir la violence croissante contre ses fonctionnaires, ses citoyens chrétiens et les étrangers. Sans grand succès, les autorités tentent aussi de contrôler les luttes intestines entre milices rebelles. La transition démocratique en Libye fait ainsi face à des défis encore plus nombreux qu'en Tunisie – qui a adopté avec succès une nouvelle Constitution – et qu'en Égypte – où l'armée a repris le pouvoir.

Les principales institutions et forces politiques libyennes – qui vont des islamistes soutenant le CGN à ses opposants – sont plus faibles et moins organisées que leurs homologues présentes dans les provinces du pays. Contrairement à l'Égypte et son armée, la Libye ne dispose pas d'une institution sur laquelle il lui est possible de s'appuyer en cas de troubles politiques. Les forces militaires du pays ne sont pas aussi puissantes que celles d'Égypte et, contrairement aux islamistes égyptiens qui peuvent compter sur les Frères musulmans, les islamistes libyens n'ont pas de grand parti politique les représentant ; ils disposent plutôt de leurs propres milices. Ni le Premier ministre Ali Zeidan, ni les militaires n'ont été en mesure de s'opposer aux rebelles qui bloquent des raffineries de pétrole depuis juillet dernier.

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« Aucun groupe – que ce soit les islamistes ou leurs opposants – ne peut actuellement diriger la Libye par lui-même », a affirmé Mohammed Eljarh, un blogueur du site Foreign Policy. « Ils sont néanmoins tous assez puissants pour s'opposer les uns aux autres. »

Les islamistes libyens – qui soutiennent le CGN – sont de plus en plus menacés. Selon eux, les opposants du CGN, et notamment l'ancien général Khalifa Haftar, essaient actuellement de reproduire le scénario égyptien en fomentant un coup d'État visant à l’éviction du leadership islamiste.

« Les islamistes de Libye ne reculeront pas et vont faire en sorte de conserver leur influence », a déclaré Eljarh.

Les ressources pétrolières du pays compliquent encore un peu plus la transition. Les luttes politiques intestines n'ont pas seulement pour but de déterminer qui représentera le peuple libyen au CGN, mais aussi de savoir qui contrôlera les importantes ressources du pays.

L'industrie pétrolière est l'épine dorsale de l'économie libyenne et s'est vue durement touchée par l'insécurité. Des groupes toujours plus nombreux d'insurgés et de criminels ont entravé le commerce du pétrole et ainsi déstabilisé le pays.

« Le pétrole est une malédiction : on ne sait toujours pas comment utiliser à bon escient les revenus tirés de nos ressources naturels », a déclaré Amr Farkash, manager d'OEA Capital basé à Tripoli. « Notre problème vient du fait que le pays n'a ni stratégie, ni perspectives d'avenir. »

Relancer l'économie de la Libye impliquerait une plus forte répression et une reprise du contrôle des raffineries de pétrole.

Mais, suite aux nombreux challenges auxquels le pays se trouve confronté, certains Libyens se sont lassés de la démocratie et aspirent désormais plus à la stabilité du pays qu'à autre chose.

« Je vois le peuple libyen délaisser la démocratie et soutenir Khalifa Haftar dans son souhait d'un retour à un régime militaire, nous a confié Radwan. Il est très difficile pour moi d’être témoin de ce mouvement, après que le pays a tant progressé vers la démocratie et la liberté. »