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Abandonner votre iPhone sera la meilleure décision de votre vie

Pas de notifications, pas de travail à rendre « dès que possible », pas d'égocentrisme – pas de problème.

C'est une question plutôt absurde à poser, mais existe-t-il un outil technologique qui, depuis l'avènement de la télévision, ait changé nos vies autant qu'un iPhone ? Sur le papier, les « trois révolutions en une » de Steve Jobs semblaient être une simple réinvention de quelques autres produits déjà sur le marché : un niveau au-dessus du Blackberry, un mini-ordinateur portable et une version plus sexy d'un Nokia avec le protocole WAP, imaginé par Apple. En pratique, il est devenu le gadget qui définit notre époque ; il est arrivé encore plus vite qu'Internet et s'est normalisé encore plus rapidement que le porno dans notre société.

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L'iPhone a changé notre manière de communiquer, comme Jobs avait déclaré vouloir le faire lors de son lancement en 2007 – mais aussi notre comportement, notre manière de penser et notre vision du monde. En moins de dix ans, les iPhones sont devenus nos portails vers l'extérieur. Pour « bien vivre » en 2016, il vous en faut un. Les gens qui possèdent encore un Blackberry sont aussi mal perçus que ceux qui utilisent encore Internet Explorer. L'iPhone est la Ford T du début de ce siècle : la norme et la fiabilité. L'unique.

Je ne possède plus d'iPhone. C'est d'ailleurs une décision dont je suis plutôt satisfait. Tout a commencé par une malheureuse rencontre il y a deux ans (ils étaient deux, j'étais seul, avec un gadget à 400 € facile à attraper dans la main et personne pour jouer au héros dans les parages), et ça n'est pas près de changer. Ce n'est pas par conviction que je n'ai rien fait pour remplacer mon iPhone – plutôt par paresse et par crainte du bordel administratif auquel j'aurais à faire face ; 1/ rentrer dans un magasin pour résoudre le problème, 2 / refuser plusieurs mises à jour et de payer une somme aberrante, 3/ demander simplement la même chose que ce que j'avais avant et 4/ être traité comme ce type qui commande une entrecôte dans un restaurant « cuisine du monde ». Non merci. Du coup, je n'ai rien fait. Je me suis dit que je m'en occuperais le lendemain. Puis, demain est devenu la semaine prochaine. Puis, le mois prochain. Puis, jamais.

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Au début, c'était difficile et globalement très chiant : on m'a posé pas mal de faux plans, je me suis souvent senti exclu et certaines personnes ont même carrément oublié mon existence. En revanche, j'ai vite noté un changement dans ma manière de voir le monde. Les problèmes des autres ne me minaient plus dès le réveil. Je commençais à être capable de séparer le jour et la nuit, la vie du travail, l'important du trivial. Il n'y a plus eu de « Salut les mecs, on doit vraiment se mettre sur cette mise en page aujourd'hui », pas de demande pour commencer quoi que ce soit en rapport au boulot « dès que possible ». Les gens ont commencé à faire plus d'efforts pour s'adapter à mon choix de vie, et en échange, je vivais en harmonie avec le monde, pas selon mon bon vouloir. J'ai commencé à regarder par la fenêtre dans le bus, à lire et à regarder plus de trucs et à moins m'intéresser à moi-même.

J'avais l'impression d'avoir en quelque sorte réussi à tromper le système. En refusant d'avoir un téléphone, en refusant d'être disponible à la demande des autres, j'étais dispensé de leur connerie. Parfois, je vois des gens avoir des conversations par e-mails à des heures impossibles, et j'ai l'impression d'assister à une étrange tradition que je ne comprendrai jamais. L'iPhone n'est vraiment plus mon truc.

Avant qu'on me jette cette pierre, sachez que je ne suis pas un luddite, un seigneur du temps où un type qui se considère comme « rétro ». Mon travail et mon appréhension de la culture n'ont presque qu'Internet comme source. Comme la plupart des gens de ma génération, j'aime les baskets, la techno, Twitter, les vidéos de baston et les streamings pirates de matchs de foot. Je crois sincèrement au pouvoir de la technologie.

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Pendant longtemps, j'ai trouvé ça difficile de justifier cette contradiction : comment peut-on passer la majeure partie de son temps sur un ordinateur, immergé dans le capitalisme d'internet tout en se targuant de ne pas avoir d'iPhone ? Cela semble absurde, hypocrite et hautement prétentieux. Pourtant, j'ai su instinctivement que je n'en voulais pas et que ma vie s'était considérablement améliorée depuis que je n'en avais plus.

Puis un jour, je suis tombé sur une interview d'Aphex Twin sur Noyzelab (ne cherchez pas, elle n'existe plus aujourd'hui). Dans une section, l'intervieweur nous informe que malgré sa collection d'outils technologiques, sa fascination et sa connaissance des synthés, des ordinateurs et de toutes sortes de logiciels, Richard D. James n'a pas de téléphone. « Ils n'améliorent tout simplement pas votre vie », explique-t-il.

Malgré son amour pour la weed, les baskets et Bob Dylan, Steve Jobs était un capitaliste espiègle qui savait que créer un objet fait simplement pour s'amuser ne changerait jamais le monde.

J'ai eu une sorte de déclic. J'ai commencé à me renseigner sur les gens qui n'avaient pas de portable. Kanye prétend ne pas en avoir depuis trois ans (mais Google n'a pas l'air d'accord), Werner Herzog n'en possède pas et Mark Fisher les a décrits comme des « centres de commande individualisés ». Plus inquiétant encore, de nombreuses recherches tendent à montrer l'impact qu'ils ont sur nous : une étude récente suggère que 58 % des Britanniques se sentent tristes ou stressés quand ils n'ont pas leur téléphone. Putain.

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Ces téléphones ont eu un effet indéniable sur notre capacité de concentration. Regardez autour de vous quand un train est en retard, ou lorsque vous voyagez, ou même quand vous êtes au bar, et vous verrez que les gens sont obsédés par leur téléphone. C'en est devenu terriblement pathétique. Ils regardent l'écran à la recherche de réponses, mais n'en ont aucune à trouver ; certains trouvent même cela convenable de tenir des conversations entières avec les yeux rivés vers leur téléphone. Nous en sommes complètement dépendants, au point de ne plus pouvoir nous orienter,parler aux gens ou vivre sans téléphone. Même la menace de le perdre nous met mal à l'aise.

Le vieux cliché des êtres humains esclaves des intelligences artificielles n'a jamais été réalisé. Personne n'est vraiment amoureux de son ordinateur. Ce sont uniquement des outils que l'on utilise pour travailler ou pour regarder des sitcoms américaines à moitié drôles. Les iPhones sont différents. Ils sont des outils du système, les doigts du long bras qu'est le capitalisme, s'allongeant jusqu'à pouvoir toucher nos vies – ils nous tapotent l'épaule pour nous rappeler qu'il y a toujours un peu plus de travail à faire.

Malgré son amour pour la weed, les baskets et Bob Dylan, Steve Jobs était un capitaliste espiègle et savait que créer un objet fait simplement pour s'amuser ne changerait jamais le monde. Pour qu'une invention domine vraiment notre culture, elle devrait – comme le moteur à combustion ou la télévision – faire partie intégrante de l'industrie.

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L'iPhone est une machine à fric, un marché lucratif. Vous pouvez dépenser votre argent pour en obtenir un et gagner de l'argent grâce à celui qui se trouve dans votre poche. Même les aspects les plus cool sont monnayables ; vous pouvez acheter des applications ; vous pouvez vendre des choses, faire de la pub ou investir. Toutes ces choses font partie intégrante d'une industrie, complètement dépendante des rectangles totémiques de Jobs.

Ne vous méprenez pas. On peut faire beaucoup de choses excitantes avec un iPhone, tel que tourner un film comme Tangerine. D'une certaine manière, j'admire leur pragmatisme et facilité d'utilisation, mais je me demande ce qu'il adviendrait si nous étions subitement privés de leur existence. Je m'inquiète de ce qui est en train de se produire dans la manière dont nous nous voyons ; je me demande si le mec qui est devenu accro aux selfies n'est que le début d'un truc qui nous dépasse. Je m'inquiète de voir apparaître une culture où les gens n'ont pas le temps de regarder une vidéo plus longue qu'une Vine et où naissent des maladies mentales dans lesquelles les gens sont prisonniers d'eux-mêmes.

Cela m'attriste que – malgré les merveilles de la science, les choses incroyables que la technologie a faites pour le monde, tous ces rêves qui ont été réalisés avant ma naissance, et ceux avec lesquels j'ai grandi en pensant que je les verrai se réaliser – la technologie d'aujourd'hui se contente de vous aider à organiser vos e-mails plus facilement. La perspective de skateboards volants semble s'éloigner de plus en plus, tandis que celle de votre patron utilisant son iPhone pour traquer vos allées et venues afin de savoir pourquoi vous n'avez toujours pas rendu votre rapport se rapproche inéluctablement.

Parce que cela me permet notamment de me distancier d'un capitalisme néolibéral que j'ai du mal à accepter, parce que je me sens mieux et parce qu'ils ne m'inspirent pas grand-chose, je suis content de ne pas avoir d'iPhone. Peut-être qu'un jour, je finirai pas résilier même le contrat pour lequel je paye encore.

@thugclive