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Perte de confiance, mensonges et Big Brother selon Patrick Lagacé

« Le SPVM comme institution, je ne lui fais plus confiance. Je sais que le SPVM peut mentir, et mentir même si tu présentes des faits pour montrer qu'il ment. »
Photo : VICE du jour

Patrick Lagacé a finalement été espionné par le Service de police de Montréal (SPVM) pour deux affaires distinctes : une fois cette année, l'autre deux ans plus tôt, pour une histoire de contravention délivrée à Denis Coderre, a-t-on appris la semaine dernière. Pour découvrir quels policiers avaient fait couler de l'information confidentielle, le SPVM s'est armé de mandats de perquisition auprès de juges.

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La semaine dernière, devant un bilan alarmant – au total, une dizaine de journalistes ont été épiés par le SPVM ou la Sûreté du Québec (SQ) – le gouvernement a déclenché une commission d'enquête sur l'espionnage des journalistes par la police la semaine dernière.

VICE a rencontré Patrick Lagacé pour discuter perte de confiance, mensonges et Big Brother.

Maintenant que tu as quelques jours de recul, es-tu encore étonné que ça se soit passé?
Oui, je suis toujours étonné. Je ne m'attendais pas à ça du tout. On m'a expliqué l'histoire du GPS qu'on pouvait activer à distance, l'accès à mes métadonnées. Au début c'était seulement ça. Plus tard on a appris que la police ne nous avait pas dit qu'ils avaient demandé et obtenu un mandat d'écoute, qu'ils disent ne pas avoir utilisé. Et après ça, on a su qu'il y avait une autre affaire distincte, celle de décembre 2014, liée à un courriel que j'ai envoyé pour avoir des détails sur une contravention remise à Denis Coderre, alors qu'il n'était même pas encore maire. Donc le choc était au début. Après ça, disons que depuis il y a plus grand-chose qui me surprenne.

Est-ce que tu faisais des efforts avant cet incident pour protéger tes informations?
Quand je savais que j'appelais quelqu'un et que c'était sensible, j'utilisais Télégramme. C'est gossant au début, parce que si j'ai l'application et que tu ne l'as pas, on ne peut pas communiquer. Ça semble stupide ce que je dis là, « c'était compliqué. » Maintenant je sais que c'est important, mais il y avait une naïveté. Je pensais que si des policiers se présentaient avec une telle demande chez des juges, les juges crouleraient de rire, et ils auraient même pas besoin de dire non que les policiers s'en iraient… mais il semble que ce n'est pas le cas.

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Une partie du choc pour moi, c'est un peu la banalité des choses qui ont enclenché cette opération de surveillance. Est-ce que ça méritait une enquête criminelle ou est-ce qu'on aurait dû traiter ça comme une question de manquement au code de déontologie policière?
Je pense que, dépendamment de comment on regarde ça, on peut déterminer que c'est du domaine de la déontologie ou du Code criminel. Dans un contexte de chasse aux sources journalistiques, dans un contexte où le service de police de Montréal est devenu paranoïaque, on peut facilement déterminer que c'est un comportement criminel. Tu peux alors aller chercher des moyens d'enquête criminelle comme de l'écoute, de l'interception de métadonnées, aller fouiller dans les registres téléphoniques…Si c'est simplement de la discipline, tu ne peux pas faire ça.

Dans les deux cas qui nous occupent, on n'a pas réussi à prouver qui avait parlé, mais on a pu savoir qui étaient les sources des journalistes. Je ne les crois pas une seconde, quand ils disent qu'ils n'ont pas noté les numéros de téléphone qui n'étaient pas pertinents à leur enquête. Ils mentent. Ce n'est pas comme ça que fonctionne leur enseignement policier. C'est sûr que tous les numéros de téléphone avec lesquels mon téléphone a interagi ont été mis dans une base de données, et ont été vérifiés. Ça va dans une petite filière quelque part, j'en suis convaincu.

C'est quoi la dynamique en ce moment entre les journalistes et la police, que ce soit au SPVM ou à la SQ? Est-ce que ça a changé dans les derniers jours?
La police est une institution portée sur le secret, par définition. Ce qui a changé, c'est que le SPVM, je ne les crois plus. Ils ont été épouvantables en termes d'opacité, en nous faisant croire il y a une dizaine de jours qu'ils venaient nous voir pour nous expliquer. Ils ne venaient pas nous voir pour nous expliquer, ils venaient nous voir pour voir ce qu'on savait. Quand ils ont compris qu'on ne savait pas qu'ils avaient demandé et obtenu un mandat d'écoute électronique, ils ne nous l'ont pas dit. Mis devant ce fait-là, quand on l'a appris par d'autres sources, ils se sont mis à jouer sur les mots et à dire que non, on n'était pas vraiment ciblés. On était ciblés comme d'autres.

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Donc il y avait un mandat d'écoute.
Oui. Le SPVM là-dessus n'a pas été honnête. Quand ils ont mentionné qu'un autre journaliste avait été espionné en 2014, sans le nommer, je me suis douté que c'était moi. Le prétexte pour ne pas le nommer était que le dossier était devant le procureur de la couronne, et qu'on ne savait pas s'il allait déposer des accusations. Au mois d'avril, le Directeur des poursuites criminelles et pénales a avisé le SPVM qu'il ne déposerait pas d'accusations. Avril. Ça fait 7 mois. Ils ont joué sur les mots encore une fois en disant, « On n'a pas eu la lettre officielle. » Le SPVM comme institution, je ne lui fais plus confiance. Je sais que le SPVM peut mentir, et mentir même si tu présentes des faits pour montrer qu'il mente.

Est-ce que tes sources ont réagi à cette histoire? As-tu eu des interactions avec elles depuis?
J'ai tellement dit souvent que j'utilisais l'application Signal depuis le début de cette affaire qu'on me contacte via Signal… Et je pense que c'est le futur des communications entre journalistes et sources, mais c'est aussi le futur des communications entre journalistes, point. J'ai eu vent des arguments qui ont été présentés auprès d'un juge par l'enquêteur Normand Borduas pour obtenir le mandat de perquisition. Il part sur des grandes théories du complot selon lesquelles je suis un conduit pour des coulages, parce que j'ai appelé un de mes collègues, Vincent Larouche, à La Presse. C'est un de mes amis. Il est fort possible que dans deux appels sur trois, je l'appelle juste pour niaiser. C'est extraordinaire de banalité, c'est extraordinaire aussi de potentiel épouvantable. À partir de maintenant, même avec mes collègues, j'essaie de communiquer le plus possible par une application cryptée.

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Est-ce que la facilité avec laquelle on peut espionner un journaliste est un problème technologique? En tant que journaliste, ça nous prend un téléphone mobile, avec un GPS. Tous mes appels sont inscrits sur mon téléphone.
C'est autant une histoire politique, policière, juridique, journalistique que technologique. Aujourd'hui, on a tous un Big Brother dans notre poche quand on traîne notre téléphone. Je me suis renseigné auprès de compagnies de téléphone. Si je veux savoir qui est allé fouiller dans mes données, je ne peux pas le savoir. C'est une information protégée.

On a un problème juridique aussi dans le fond.
On a beaucoup parlé de la protection des sources, de la réaction de la classe politique, mais la technologie, et nos données, c'est un aspect qui a été négligé. Mes données m'appartiennent. Est-ce qu'il peut pas y avoir un système où, après 60 jours, on est mis au courant? Si la police intercepte mes conversations, elle est obligée de m'avertir dans les 90 jours. Par contre, les Telus, Rogers, Vidéotron et Bell de ce monde ne sont pas obligés de me dire qui est allé fouiller dans mes données. Dans 20 ans, on va regarder ça avec le même air ahuri que lorsqu'on regarde dans le passé et que les médecins faisaient des pubs de cigarettes.

As-tu confiance que la commission d'enquête qui a été lancée là-dessus va faire la lumière et améliorer les choses?
Selon les échos que j'ai eus, c'est que le gouvernement était épouvantablement horrifié par ce qui s'est passé. Je trouve que le premier ministre Couillard a eu les bons mots, les bons gestes. Après ça, il va falloir voir comment le mandat va être écrit, quels seront les pouvoirs des commissaires, mais je trouve que c'est un pas dans la bonne direction. Même s'il n'y a pas une loi qui change, au moins le bon qu'il y a eu dans tout ça, c'est que cette conversation est devenue grand public.

As-tu gardé le téléphone qui était au centre de l'affaire Lagacé?
Oui je l'ai gardé. Mais j'y ai pensé. Je me dis que peut-être je changerais de téléphone pour rien, mais ça se peut que je le change quand même, au cas où il aurait été buggé.

Est-ce que tu paranoïes en le regardant?
Non. Je peux pas dire ça. Mais je peux comprendre à quel point ça peut être un mouchard. J'ai perdu ma naïveté là-dessus.

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