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Pourquoi des gens croient-ils encore que la Terre est plate ?

Le pétage de plombs de B.o.B. sur Twitter valait bien une petite enquête.
Rachel Pick
New York, US

A priori, vous avez déjà entendu parler, cette semaine, du pétage de plombs du rappeur B.o.B. sur Twitter, lors duquel il a tenté de démontrer que la Terre était en réalité plate et que la NASA nous mentait depuis des dizaines d'années en s'appuyant sur des images retouchées. Vous savez sans doute aussi que Neil DeGrasse Tyson, l'astrophysicien le plus célèbre et le plus cool du monde, lui a répondu. Suite à cela, B.o.B., de son vrai nom Bobby Ray Simmons, a diffusé une chanson pour clasher Tyson (dont le neveu a répondu à son tour avec son propre morceau), cette histoire entrant progressivement dans des sphères inexplorées du surréalisme.

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B.o.BJanuary 25, 2016

Suite aux déclarations de Simmons, il semble que le monde se soit aperçu, avec effroi, que des gens pensent toujours que la Terre est plate en 2016. Après tout, il est vrai que l'on sait que la Terre est ronde depuis l'Antiquité grecque, Pythagore ayant a priori été le premier à avancer cette idée, laquelle est depuis généralement acceptée comme vraie partout dans le monde. Le tour du monde en bateau réalisé par Magellan en 1552 a même apporté une preuve concrète que notre planète est ronde.

Malgré cela, certains s'entêtent à tenter de prouver qu'elle est plate. Ces convaincus, baptisés « flat-earthers » existent au moins depuis le 19ème siècle, quand le Britannique Samuel Rowbotham a publié son livre Astronomie zététique : la Terre n'est pas un globe.

Pour prouver ses dires, Rowbotham utilisait souvent l'exemple d'un canal long de 10 kilomètres proche de l'Old Bedford River. Si la Terre n'était pas plate, disait-il, on ne pourrait pas voir les bateaux situés à l'autre bout du canal, puisque ceux-ci seraient masqués par la courbure du globe.

Les affirmations de Rowbotham furent démenties par un arpenteur-géomètre, Alfred Russel Wallace, qui, alléché par la récompense de 500 livres promise par les flat-earthers à quiconque prouverait que la Terre est ronde, s'attela à la démonstration.

Il utilisa comme cadre de son expérience le canal auquel se référait volontiers Rowbotham. Son matériel consistait en un télescope, un pan de tissu, et deux disques rouges destinés à servir de points de référence, comme le relate Scientific American. Son expérience fut un succès, mais cela ne changea rien pour les flat-earthers les plus irréductibles, qui estimèrent au contraire que les résultats leur donnaient raison. Wallace qualifia après coup son expérience d' « incident le plus regrettable de [sa] vie. »

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Après la mort de Rowbotham, une femme nommée Lady Elizabeth Blount prit la tête du mouvement et fonda la Société Universelle de Zététique (« zététique » vient du mot grec qui signifie « rechercher » ou « enquêter »). La Société était en quelque sorte un club de gens persuadés que la Terre était plate, et publiait de nombreux textes et ouvrages sur le sujet pour tenter de convaincre un maximum de personnes.

Si Simmons était la seule personne au monde à croire que la Terre est plate, alors les psychiatres le considèreraient certainement comme délirant. Mais il n'est pas le seul.

Après Lady Blount, le mouvement se fit discret pendant quelque temps, avant d'être en quelque sorte ressuscité au milieu du vingtième siècle par l'Anglais Samuel Shenton et l'Américain Charles K. Johnson. Rebaptisé Flat Earth Society, le mouvement existe toujours sous cette forme aujourd'hui. Selon le site de la Flat Earth Society, Johnson était un chef particulièrement charismatique, et c'est grâce à lui que le groupe a atteint les 3000 membres (à l'heure actuelle, on dénombre 554 noms sur le registre du groupe).

Alors, pourquoi cette croyance est-elle si tenace ? Quand VICE a interviewé quelques-uns de ces flat-earthers en 2014, ils ont simplement expliqué se fier davantage à « l'observation par les sens » qu'à une quelconque théorie scientifique. Mais ce n'est pas aussi simple.

Ce qui est vraiment intéressant chez les partisans de cette théorie, qui valent mieux que notre mépris, c'est que leur croyance ne peut être simplement imputée à leur bêtise ou à leur ignorance. Vous pourriez très bien n'avoir jamais mis les pieds à l'école, et pourtant accepter sans broncher l'idée que la Terre est ronde si quelqu'un vous le disait.

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Pour mieux comprendre pourquoi des gens s'accrochent encore à une croyance aussi absurde, j'ai appelé le Dr. Joel Gold, professeur de psychiatrie à l'École de médecine de l'université de New York. Depuis 2003, Gold et son frère Ian (lui aussi docteur) ont identifié plusieurs patients qui souffrent d'une nouvelle forme de délire : ils sont persuadés d'être les sujets d'un reality show et donc d'être filmés à tout moment. Les deux frères ont baptisé ce trouble « syndrome du Truman Show », d'après le film de 1998 avec Jim Carrey. Ils ont également écrit un livre sur leur travail auprès de ces patients et sur les délires paranoïaques, ce qui faisait selon moi de Gold un interlocuteur de choix pour discuter des gens qui croient aux complots.

Mais il a immédiatement tenu à faire la distinction entre les patients souffrant de maladies mentales et les tenants des théories du complot. « Les personnes qui croient que la Terre est en réalité plate ne souffrent pas vraiment d'une forme de délire, explique Gold. L'une des définitions du délire… c'est que des personnes continuent à croire quelque chose malgré la preuve absolue du contraire. Mais l'idée, c'est aussi que si suffisamment de gens croient quelque chose, si une communauté entière y croit, ce n'est pas du délire. Si ce rappeur était la seule personne au monde à croire que la Terre est plate, alors les psychiatres le considèreraient certainement comme délirant. »

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Mais Simmons n'est pas le seul, et Gold semble en être aussi troublé que le reste du monde.

Dans leurs travaux, lui et son frère émettent l'hypothèse que les délires naissent d'une déficience à l'intérieur du cerveau. « Notre théorie, c'est qu'il existe une région du cerveau que l'on pourrait baptiser "système suspicieux", que nous possédons tous, et qui est nécessaire pour notre survie. Mais qu'il existe aussi un système dit "réflexif" qui supervise le système de la suspicion. »

Gold me donne un exemple : vous vous trouvez dans les bois, quand soudain vous entendez une branche craquer. Votre système suspicieux se met alors en alerte – serait-ce un prédateur ? – mais rapidement, votre système réflexif vous aide à rationaliser et à réaliser que vous n'êtes probablement pas menacé. « Quand le système suspicieux prend le pas sur le système réflexif, ou qu'ils se déconnectent en quelque sorte, cette peur irrationnelle devient soudain très réelle. »

Mais faute d'événement déclencheur, tel que le craquement d'une branche, la croyance que la Terre est plate n'entre pas dans le modèle de Gold. Des événements comme les premiers pas de l'homme sur la Lune, l'assassinat de JFK ou le 11 septembre ont suscité des centaines de théories du complot, mais « il n'y a rien de nouveau », explique Gold, qui puisse subitement convaincre des gens de croire que la Terre est plate.

Quand Molly Osberg a écrit un article sur la psychologie des conspirationnistes pour Motherboard en octobre dernier, elle a interviewé Rob Brotherton, un journaliste scientifique qui a publié un livre expliquant pourquoi les gens croient aux théories du complot.

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Selon lui, c'est une question de biais « enfouis dans notre cerveau », comme par exemple le biais d'intentionnalité (une tendance à voir des motifs précis derrière des actions non-motivées) ou notre capacité naturelle à percevoir des modèles, un talent qui ne nous entraîne pas toujours dans la bonne direction et peut nous pousser à prendre de simples coïncidences pour des signes d'apocalypse. Selon Brotherton, « il n'y a pas beaucoup de différences entre les conspirationnistes et les gens normaux » (un avis partagé par Gold, qui a beaucoup insisté sur le fait qu'il n'avait aucun mépris pour les gens qui croient aux théories du complot).

Une étude néerlandaise citée par Osberg a aussi révélé que les individus étaient plus susceptibles de croire aux théories du complot lorsqu'ils se sentaient impuissants et insignifiants dans leur propre vie. D'une certaine façon, il est plus réconfortant pour un Américain de croire que le 11 septembre a été orchestré par son propre gouvernement que par des terroristes étrangers ; cela donne l'illusion d'une sécurité intacte.

Mais croire que la Terre est plate n'a aucun avantage évident. Que gagnerait la NASA à nous faire croire que notre planète est ronde ? « Le monde est tellement complexe que les théories du complot apaisent nos esprits », me dit Gold. Mais en quoi est-il si réconfortant de croire que la Terre est plate ?

Je vois toujours assez mal ce qui peut pousser quelqu'un à devenir
flat-earther

Après avoir lu les tweets de Simmons, m'être intéressée à la Flat Earth Society et avoir parlé à un spécialiste de la paranoïa, je vois toujours assez mal ce qui peut pousser quelqu'un à devenir flat-earther. Même si ça m'agace un peu, je comprends les mécanismes mentaux qui alimentent les théories du complot autour des attentats de Paris ou du 11 septembre. La violence gratuite est tout douloureuse à comprendre ; les théories du complot tentent d'y trouver un sens pour apaiser la colère.

Mais la théorie de la Terre plate défie tous les modèles existants. Le fait que la Terre est ronde est établi depuis des générations, dans toutes les civilisations. Ce n'est pas quelque chose dont on peut accuser Obama, Hollande ou le FBI. Mais qui sait ? Si ça se trouve, Pythagore était déjà dans le coup.