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Sports

​Le luxe de l'adrénaline : la vie secrète des commissaires de course

Ils sont les héros de l'ombre des circuits. Des plus petites courses aux Grands Prix de F1, les commissaires de course sont aussi importants que les voitures elles-mêmes.
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La vision d'un commissaire de course éreinté, avachi contre une benne à ordures à quatorze heures en cette fraîche après-midi de juillet, les yeux fermés, la tête lourde, reste le souvenir le plus marquant de mon passage aux dernières 24 heures de Spa, une course automobile qui se déroule en Belgique.

Alors que je le prenais en photo, sur le chemin de l'espace presse, l'homme n'a même pas levé la tête. A ce moment, je ne vais pas le lui reprocher. Là depuis 22 heures, après avoir passé son samedi après-midi sous le déluge, attendu de longues heures toute la nuit, et vu la brume matinale retarder encore la levée du jour, sa première pause (mais peut-on vraiment parler de pause quand des dizaines de moteurs vrombissent en permanence ?) était tout à fait méritée.

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Mais qu'est-ce qui pousse ces héros méconnus à enfiler leur costume orange et à passer leur week-end à sécuriser les circuits de course automobile, quelle que soit la météo et malgré les risques qu'ils encourent, eux qui ne touchent aucune rémunération financière ? D'une certaine manière, c'est comme être bénévole pour un festival – sauf que la musique y est très différente.

« Je peux me rapprocher au plus près, de sorte à ce qu'il n'y ait rien entre moi et les voitures, explique Matt Dolan, 40 ans, qui travaille dans l'industrie pharmaceutique. Quand un spectateur se trouve à deux mètres de la barrière de sécurité, donc à 6 mètres du bord de la piste, lors des 24h du Mans, on se retrouve à seulement deux mètres des bolides lancés à 300 km/h. Ce n'est pas possible d'avoir autant d'adrénaline que celui qui se trouve derrière le volant, mais là on a 20% de cette adrénaline gratuitement. »

En vrai, ça a l'air fou, et ça l'est parfois. Les commissaires de course sont les premiers mobilisés en cas d'incident. De fait, ils doivent pouvoir faire face à de nombreuses éventualités, qui incluent des scénarios mortels.

« A la fin de la journée, tu as besoin que ta famille soit compréhensive, développe Roger King, commissaire de course à Brands Hatch, en Angleterre, depuis plus de 40 ans. Si quelque chose arrive, on se retrouve au centre des événements. On doit travailler avec d'autres personnes et bien s'entendre, parce que, d'un moment à l'autre, tu peux être sur la piste avec eux pour sauver une vie. »

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« Notre travail peut être très simple, comme quand on voit quelqu'un qui s'agite dans le public. Il suffit de le signaler à l'organisation de la course. Mais ça peut aussi être un véhicule qui prend feu ou un carambolage entre cinq voitures », continue Dolan. Il y a tout un tas de choses horribles qui peuvent se passer autour d'un circuit, et après 8 ans de pratique tu commences à t'y connaître. Tu connais les bons côtés du job comme les plus mauvais. Quand tu commences, tu as presque hâte qu'il y ait un incident. Mais forcément, il vient un week-end où tu dois faire face à trop de choses d'un coup et tu te dis que tu aurais préféré être tranquille. Ca te vaccine. »

Mais dans ces moments difficiles, l'armée orange peut compter sur son esprit de camaraderie.

« C'est un passe-temps très agréable. Ça te fait rencontrer plein de gens, tout le monde est très gentil et personne ne se tire dans les pattes », décrit Bryan Degerlund. Celui qui agite désormais le drapeau noir et blanc à l'arrivée des pilotes a commencé comme commissaire de course en 1961. « Je donne le départ à Silverstone, lors du Grand Prix, je le donne aussi lors des courses à Goodwood, dans le sud de l'Angleterre, j'ai fait les premiers Grands Prix d'Abu Dhabi et d'Austin. J'ai fait aussi plusieurs fois Spa et Zolder. Il n'est jamais trop tard pour commencer. Si on regarde autour de nous, beaucoup des commissaires de course sont plutôt âgés, et parmi eux certains viennent à peine de commencer. »

Roger Miller en est un bon exemple. Il a commencé il y a quatre ans, quand il a pris sa retraite. Après s'être formé à tous les rôles possibles, il s'est spécialisé dans les stands de ravitaillement.

« Je viens à Brands depuis les années 1960, ça te montre bien à quel point je suis vieux , plaisante Miller. Sécuriser les stands, c'est un moyen de voir les voitures de ma jeunesse de vraiment très près. Et puis ça me permet de parler avec les mécaniciens et les pilotes. Ils sont heureux de parler de ce qu'ils font. Pour tous ceux qui souhaitent se rapprocher des voitures plus près que n'importe quel spectateur, et cela gratuitement, devenir commissaire est une vraie bonne idée. »

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Daniel Herlihy se trouve de l'autre côté de la barrière. Du haut de ses 17 ans, il s'est lancé dans le sport automobile parce qu'il est fan de Lewis Hamilton.

« Comme je ne suis pas vraiment riche et que je ne peux pas me permettre de payer pour aller voir un Grand Prix avec mes parents, je me suis dit que devenir commissaire de course était le meilleur moyen d'entrer dans ce monde », explique-t-il. Je ne suis pas autorisé à aller sur le circuit à proprement parler avant mes 18 ans, donc je pense que je vais encore tâtonner entre la piste, les stands et les gradins et continuer de me former. Pour l'heure, je ne suis pas sûr d'avoir assez d'expérience. »

Une étude récente, réalisée par Autosport, a révélé qu'il n'y avait que 842 femmes commissaires, contre 4910 hommes – ce qui donne à peu près une sur six. Pour autant, de plus en plus d'entre elles se lancent dans l'aventure. C'est le cas d'Alice Turner, 18 ans, que l'on rencontre en pleine formation.

« J'ai pris l'habitude de venir près des stands parce qu'un de mes meilleurs amis est commissaire. Au bout d'un moment, je me suis dit pourquoi pas moi, développe-t-elle, avant d'ajouter : j'espère quand même que rien de grave ne va arriver aujourd'hui ! »

À 43 ans, Dawn Boyd a couru des courses sur différents engins, d'une Caterham à la Mini, en passant par la Golf GTI, la Fiesta ST ou encore la Honda Civic Type-R. Il y a deux ans et demi, elle voulait savoir ce que ça faisait d'être de l'autre côté de la barrière de sécurité. Elle n'a jamais pu s'arrêter depuis.

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« Bien sûr, il n'y a pas suffisamment de femmes, mais contrairement à ce qu'on peut penser, les filles sont très bien accueillies et font vraiment partie de l'équipe », positive Boyd. Les gens croient sûrement qu'il n'y a que des mecs et que l'atmosphère n'est pas saine pour des filles, mais au contraire, on rit beaucoup. Les gens qui se retrouvent là partagent le même amour pour le sport. Essaye un jour et toute l'équipe veillera sur toi. »

« Chaque nouvelle femme est la bienvenue. Moi, je n'ai jamais rencontré de problèmes à être une femme dans ce soi-disant monde d'hommes », continue Rachel Dale. Originaire du centre de l'Angleterre, elle est volontaire près des stands, avec son conjoint Jules, lors de différentes courses. « Souvent, on rencontre même des mécaniciens et des pilotes qui sont plus ouverts avec les femmes. Donc ça serait vraiment bien d'avoir plus de filles parmi nous. »

Le truc, c'est que, quel que soit leur sexe, sans le dévouement des commissaires de course, le sport automobile tel que nous le connaissons s'effondrerait comme un château de cartes – et c'est quelque chose qui leur fait très plaisir.

« Ok on donne gratuitement de notre temps, mais ça n'a rien d'une corvée. En vérité, on adore le faire, explique Alistair Durrant en vrai fan de sport automobile. Sans nous, la course ne pourrait pas avoir lieu. Ça nous rend tous très fière de ce qu'on fait. »

« Sans commissaires, pas de courses. D'ailleurs, nous ne sommes pas les seuls à le dire : des organisateurs aux vendeurs, tout le monde est d'accord », continue Miller. « On a toujours besoin de plus de commissaires de course. Même que ça nous arrive d'être trop peu. La dernière fois, lors d'un petit meeting nous n'étions que 4 sur les stands. Ça rend la tâche plus difficile. »

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Du haut de ses 71 ans, dont 50 à œuvrer comme commissaire, l'ancien postier Roger Morris dirige une équipe d'une vingtaine de personnes à Snetterton. C'est lui qui m'a le mieux décrit le rôle des hommes en orange.

« Pour faire simple, sans nous, ce serait très difficile que les courses aient lieu. Il y a déjà eu plusieurs tentatives, où l'on voulait nous remplacer par des robots automatiques, ou encore grâce à des véhicules disposés de manière à intervenir rapidement. Mais je pense qu'aujourd'hui nous sommes beaucoup plus appréciés qu'il y a quelques années. »

« A l'époque, les commissaires étaient vus comme un mal nécessaire. Ce sentiment a changé, de sorte que les organisateurs se comportent aujourd'hui très bien avec nous. Ça arrive qu'ils nous payent l'essence et lors des courses organisées par MSVR on a le droit à un petit déjeuner gratuit, histoire d'avoir de la force pour toute la journée. Pour le coup, c'est vraiment gratifiant. »

De la part de l'ensemble des fans de sport automobile, nous te saluons, Roger.

@james_newbold