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VICE PROFILES

Les cadettes de l'armée du Pakistan

Depuis 2006, l'armée pakistanaise accepte les femmes dans ses rangs. On a rencontré les jeunes recrues de l'Académie militaire de Kakul alors qu'elles étaient en plein entraînement.
Lady Cadet Wardah Noor prepares to lead a mock attack during field exercises.

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LES FEMMES EN BÉRET VERT

SUR LE FRONT DE L'ÉGALITÉ DES SEXES AVEC LES FEMMES SOLDATS DU PAKISTAN

Par Aeyliya Husain

Une élève officier, Wardah Noor, s’apprête à mener une simulation d’attaque lors d’un exercice de terrain.

L

a recrue Wardah Noor, menue Pakistanaise de 24 ans, aux yeux enfoncés et au maintien rigide, a changé de vie pour pouvoir entrer dans l’armée.

« Je trouvais que ma vie civile n’évoluait pas assez vite, elle ne me satisfaisait pas », m’a-t-elle confié un soir de septembre, après une journée de cours et d’exercices à la prestigieuse Académie militaire du Pakistan (AMP). Élevée dans une famille de classe moyenne, Wardah était déjà titulaire d’une licence en informatique. Cependant, même avec ce diplôme, peu d’opportunités professionnelles s’offraient à elle dans son petit village du Pendjab, où les chariots tirés par des chevaux demeurent le principal moyen de locomotion. Elle souhaitait de la discipline et une structure. Elle s’est rendu compte qu’elle cherchait en réalité à rejoindre l’armée. Wardah est l’une des 32 cadettes de 23 à 27 ans qui composent la promotion 2013 de l’AMP. L’académie est située à Kakul, à quelques kilomètres du complexe fortifié où Oussama Ben Laden a été tué il y a trois ans par une équipe de Navy SEALs. C’est l’équivalent pakistanais de l’École militaire de Saint-Cyr – et il est d’ailleurs tout aussi difficile d’y entrer. La concurrence est en effet rude pour étudier à l’Académie. Une fois inscrits, les cadets masculins passent deux années de formation physique rigoureuse tout en apprenant le métier de la guerre. Quant aux cadettes, elles reçoivent une formation de six mois avant d’être affectées dans des secteurs sans relation directe avec le combat. Elles siègent en tant que membres du corps médical ou de l’ingénierie, bossent les tactiques et la logistique, ou s’occupent de la formation des futurs officiers. « Je veux faire partie de ceux qui protègent notre pays des terroristes, m’a expliqué la cadette Wardah. Nous sommes soumis à la fois à des menaces externes mais également à des menaces internes. » L’armée du Pakistan est l’institution la plus stable et la plus puissante du pays. Elle a mené quatre guerres contre l’Inde, réussi trois coups d’État, guidé le pays vers un nouveau régime, et, depuis le 11 septembre 2001, perçu 17,2 milliards de dollars d’aide militaire de la part des États-Unis. Cependant, bien que le pays possède la septième plus grande armée du monde (si l’on tient compte du personnel en activité), certaines zones du pays particulièrement inhospitalières comme la province montagneuse du Khyber Pakhtunkhwa demeurent sous le contrôle des talibans – et les membres restants d’Al-Qaida se tapissent toujours près de la très perméable frontière afghane.

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Les recrues s’alignent sur le champ de tir pour un cours de maniement d’armes.

Du fait de son importance géopolitique, le Pakistan est aujourd’hui en première ligne de la guerre mondiale contre le terrorisme. Et, étonnamment, le pays est aussi devenu un exemple pour les femmes qui servent dans les forces armées du monde entier. Au Pakistan – pays où les femmes disposent d’opportunités de carrière extrêmement limitées –, l’armée a lentement mais sûrement intégré des cadettes dans ses rangs après l’investiture, en 2006, du général Pervez Musharraf. Comme dans de nombreux pays du Moyen-Orient, les femmes pakistanaises n’ont pas pour autant pas la vie facile. Selon une enquête de la Fondation Thomson Reuters datant de 2011, le Pakistan serait le troisième pire endroit sur Terre pour les femmes, juste derrière l’Afghanistan et le Congo. Comme l’indique le rapport, les crimes d’honneur y sont encore monnaie courante, et 90 % des femmes du pays sont victimes de violences domestiques régulières. L’ONG pakistanaise Shirkat Gha a rapporté plus tôt cette année que la moitié des femmes pakistanaises se mariaient avant l’âge de 18 ans, et dans son rapport de 2012, l’UNICEF a affirmé qu’il existait « des inégalités considérables entre femmes et hommes dans le domaine de l’emploi ». En 2012, la tentative d’assassinat de Malala Yousafzai – une adolescente qui défend l’accès à l’éducation pour les filles – a mis en lumière la difficile lutte des filles et des femmes pakistanaises pour un futur meilleur. Même aujourd’hui, une carrière dans un domaine traditionnellement dominé par les hommes – l’armée – reste hors d’atteinte pour la plupart des Pakistanaises. Surtout qu’il s’agit d’une tâche difficile pour tous les bidasses, qu’ils soient hommes ou femmes. Dès l’instant où les recrues se réveillent, à 4 heures du matin, jusqu’à celui où elles se couchent (vers minuit), leur journée est une interminable succession de défis. L’entraînement physique débute à 6 h 30 ; il est suivi d’un petit-déjeuner, puis de leçons théoriques sur les positions d’attaque et de défense, d’un cours d’expression orale, de plusieurs exercices de terrain puis d’un entraînement au salut. « Ce calendrier leur apprend à évoluer dans des environnements stressants », m’a dit la commandante de section Arooj Arif, la chef des cadettes. Lorsque je l’ai rencontrée, elle était enceinte de huit mois mais commandait ses troupes avec fougue. La formation des cadets se clôture par quatre jours d’exercices de terrain, organisés dans un endroit excentré de l’académie – que je n’ai pas le droit de nommer pour des raisons de sécurité. J’ai voyagé avec Wardah et le reste de sa classe, un groupe discipliné de cadettes originaires de tout le pays, afin de les suivre au cours de leurs exercices de terrain, où leur volonté de devenir soldat s’apprêtait à être mise à rude épreuve.

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La cadette Kiran note les plans de défense et les positions d’attaque pendant un cours à l’Académie militaire du Pakistan.

Sur place, les cadettes s’entraînaient aux manœuvres de combat dans la chaleur brûlante de l’après-mousson et dormaient à quatre par tente sur des lits pliants. J’ai demandé au major Chengaiz Zafar – qui forme les cadettes depuis un peu moins d’un an – pourquoi l’armée formait des femmes dans de telles conditions, alors que celles-ci n’iront jamais au combat. « Elles ont besoin de savoir comment les choses se passent quand elles effectuent des opérations qui affectent directement les soldats du front », m’a-t-il expliqué avant d’ajouter : « Elles feront partie de l’équipe qui aidera à combattre le terrorisme dans le pays. » Le major Chengaiz est lui aussi diplômé de l’AMP, où il a fini parmi les meilleurs élèves de sa promotion. La cadette Wardah a été désignée chef de section pour les entraînements. Au cours du briefing matinal du quatrième et dernier jour au camp, elle a exposé ses plans pour l’attaque simulée qu’elle et ses camarades étaient sur le point de mener. Elles se sont divisées en trois escadrons distincts afin de se déplacer à travers les champs de maïs labourés jusqu’à ce qu’elles atteignent le front factice de leurs ennemis. De là, elles effectueraient une série de mouvements en trois étapes en vue de déstabiliser leurs adversaires fictifs. À 10 heures du matin, la chaleur et l’humidité étaient déjà accablantes. Obéissant aux instructions de Wardah, les cadettes tenaient leur position dans des tranchées creusées dans les champs à divers endroits. Elles ont attendu là toute la journée, jusqu’à ce que Wardah lance l’offensive. À les voir à peine protégées du soleil par une casquette camouflage, l’idée de devenir femme soldat pour combattre Al-Qaida ces vingt prochaines années ne m’a pas semblé être un plan de vie plus agréable que ça. « Ces exercices de combat nous font comprendre ce qu’est la réalité du terrain. Je souhaite que nous aussi nous battions un jour », a déclaré la cadette Kiran Javed Khan, 27 ans. Elle a d’abord eu du mal à répondre aux exigences de poids de l’Académie ; on l’avait alors sommée de perdre deux kilos. « J’ai fini par en perdre quatre », m’a-t-elle précisé. « Tenez-vous prêtes et en formation ! » a soudain crié Wardah. Les recrues attendaient dans les tranchées. Une forte pluie s’est abattue. La pluie a retardé leur avancée, mais juste avant le crépuscule, le major Chengaiz leur a donné l’ordre de passer à l’attaque. Les cadettes, cheveux plaqués en chignon sous leur béret couleur olive, ont alors entamé leur randonnée à travers les champs humides, chacune armée d’un G3, un fusil allemand. Pour la plupart de ces femmes, le service militaire est la seule opportunité de quitter leur village et de mener une vie indépendante.
La cadette Meimouna Mahruck, 23 ans, se revoyait il y a quelques années, assise dans une salle avec 150 autres candidates à Swabi, son village de la province du Khyber Pakhtunkhwa. Elle se demandait alors si elle serait prise dans l’infanterie. Fièrement, elle m’a annoncé : « Je suis la première femme de mon village à rejoindre l’armée. » Pour être acceptées à l’AMP, les candidates doivent réussir une série d’examens écrits et de tests physiques avant d’être sélectionnées pour l’un des rares postes à pourvoir. Elles se retrouvent en concurrence pour 40 places disponibles par an, tandis que 2 100 places sont réservées aux hommes. « Avec le temps, les commandants militaires augmenteront le nombre de cadets de sexe féminin. Ils l’ont fait depuis le début du programme ; et les exercices, en particulier la formation physique, sont plus difficiles chaque année », m’a affirmé le capitaine Arif, diplômé de l’académie en 2010. « Au début, ils ne savaient pas ce dont les femmes étaient capables. L’année prochaine, ils envisagent d’introduire l’équitation et la natation dans le cadre de l’entraînement physique des femmes soldats. » Les cadettes ont fini par passer à l’offensive en courant dans la boue avant de tirer sur leurs faux ennemis. Ensuite, les recrues sont rentrées au camp et ont attendu le dîner. Elles avaient passé une longue journée dans une chaleur ardente et sous des pluies torrentielles. Dans l’air frais du soir, elles frissonnaient. C’était leur dernier jour ; la promesse d’une douche chaude une fois de retour à l’Académie et le confort relatif de leurs exercices de routine – notamment les longues marches sur les terrains parfaitement entretenus de l’AMP – avaient réussi à remettre les cadettes d’aplomb.

La recrue Zarnigar, après avoir réussi son exercice de maniement d’armes.

Parmi les personnes auxquelles j’ai parlé, certaines pensaient qu’un jour les femmes se battraient aux côtés des hommes sur les lignes de front de l’armée pakistanaise. Cependant, cette option demeure controversée dans de nombreux autres pays. Seule quelques nations autorisent les femmes soldats au combat ; et des pays comme les États-Unis ont dû faire face à des problèmes d’agression sexuelle dans leurs unités mixtes. Peut-être qu’une partie de l’engouement que j’ai observé quant à la possibilité d’une armée mixte n’était que de la propagande larvée – et non ce qui allait effectivement se passer. Certains cadets masculins m’ont dit que la période de formation de six mois – comparée aux deux années que les hommes passent à l’Académie – était insuffisante pour le combat. Mais ces réserves pourraient également être une couverture pour ceux qui pensent que les femmes ne peuvent, en aucune circonstance, partir au combat ; et ce, peu importe le nombre d’années de formation qu’elles reçoivent. Bien que personne n’ait souhaité le reconnaître, c’était un sentiment partagé par plusieurs officiers masculins. De retour à l’AMP, les recrues ont repris leur formation habituelle. Je les ai vues marcher dans un grand champ, divisées en quatre groupes, où elles apprenaient à manipuler des armes et à tirer. L’entraînement s’est terminé en début de soirée. Elles se sont alors précipitées dans leurs quartiers tandis que de gros nuages sombres annonciateurs d’une tempête s’approchaient des montagnes où elles résidaient. Mehnaz Younas, une recrue de 23 ans originaire de la province du Cachemire, bien qu’épuisée, a attaché une longue écharpe blanche autour de sa tête avant de dérouler un tapis de prière. Les nuages, pendant ce temps, gonflaient au-dessus des lointaines montagnes de l’Himalaya. Une fois ses prières récitées, elle a rejoint ses consœurs tandis qu’elles se précipitaient à la cantine pour le dîner. À l’intérieur du grand hall, les femmes occupaient seulement trois tables. Les cadets masculins remplissaient le reste du réfectoire. Les femmes étaient assises tranquillement et mangeaient les petites portions de nourriture qu’elles s’étaient elles-mêmes servies. Exténuées, elles ont terminé leur repas sans un mot. Au lit peu avant minuit, elles se sont réveillées quatre heures plus tard pour débuter une nouvelle journée. Être admise dans le club des garçons – si elles y sont autorisées un jour – ne sera pas chose aisée pour ces jeunes femmes. Les mœurs du pays, qui s’inscrivent contre le mélange des sexes, leur interdisent encore de socialiser avec leurs collègues masculins.
Dans un pays où le rôle de la femme est circonscrit au mariage et à la procréation, ces cadettes ont décidé d’acquérir leur indépendance, guidées par une motivation intérieure qui commence à toucher toute une génération de Pakistanaises. « Je me force à aller de l’avant », m’a dit la cadette Wardah lors de mon dernier jour à l’Académie. « Quand je veux quelque chose, je fais de mon mieux pour atteindre mon objectif, quel qu’il soit. »