Au clou

Si la crise économique, c’est plusieurs centaines de voitures qui s’emboutissent parce que deux ou trois têtes de queues manucurées dans des costumes sur mesure conduisaient bourrées tout en fouillant dans leur attaché-case rempli de projets de montages financiers, eh bien les monts-de-piété, ce sont les hôpitaux qui accueillent les innocents ayant survécu à l’accident. Vice s’est présenté au guichet de prêteurs sur gages dans le monde entier afin de découvrir la raison pour laquelle les gens se voient contraints de mettre au clou la porcelaine de tante Rita pour mettre un peu d’épinards dans les épinards.

INTERVIEW ET PHOTOS PAR LOÏC H. RECHI

Situé au cœur du Marais, le territoire gay le plus snob de France, le Crédit Municipal est ce qui se rapproche le plus d’un mont-de-piété. Ça appartient à la municipalité, le prêt sur gage privé étant interdit. On ne peut même pas prendre en photo ou interviewer les employés, mais on a réussi à infiltrer les lieux en faisant semblant de vouloir mettre en gage une montre offerte par un oncle juif américain. Après une heure d’attente, la jolie fille derrière le comptoir nous a annoncé qu’ils ne prenaient pas ce genre de montres, réduisant à néant nos espoirs de réaliser une interview clandestine. On s’est donc posté dehors, où on a rencontré un homme et une femme qui ont gentiment accepté de nous renseigner.

Vice : C’est votre première fois ici ?

Latifa :

Non. Quand j’ai besoin d’argent, je cherche toujours des solutions. L’une d’entre elles, c’est de venir ici.

Vous avez mis quelque chose en gage aujourd’hui ?

Je suis venue récupérer des bijoux que j’avais laissés il y a un moment déjà. Parfois, je dépose des tapis, de l’argenterie, même des tableaux. C’est cool, ils acceptent plein de choses.

Vous aviez fait quoi de l’argent de vos bijoux ?

J’en avais besoin pour le mariage de mon fils. Je ne pouvais pas faire autrement.

Vous récupérez toujours vos trucs ?

Oui. Je ne laisserai jamais rien partir aux enchères. Au bout d’un an, il faut payer 15 % d’intérêt sur la somme prêtée au départ, mais on peut prolonger le prêt indéfiniment.

Et vous ? C’est votre première fois ici ?

Sudhakar : Non, non. Je suis venu trois ou quatre fois l’année dernière.

Et pourquoi êtes-vous ici aujourd’hui ?
Je devais déjà venir la semaine dernière pour payer 250 euros d’intérêt, mais entre-temps c’est devenu 260 euros. Donc je suis de retour. Malheureusement, ma carte de crédit ne fonctionne pas. C’est très ennuyeux. Je vais encore devoir revenir. Vous pensez que l’effondrement du crédit a une influence sur la fréquentation ?
Peut-être, mais ici c’est toujours bondé, crise ou pas. Ils ont refusé la montre de mon oncle. Les experts sont-ils donc des trous du cul ?
En tout cas ce sont eux qui décident, et vous ne pouvez qu’accepter leur décision. On ne marchande pas ici.