Alcool, football et trahison : l'histoire du vrai « Special one »

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Truand

Alcool, football et trahison : l'histoire du vrai « Special one »

Quand Mourinho était encore un enfant, il y avait un homme avec le même charisme et la même détermination que lui en Angleterre : Brian Clough.

Il ne connaissait aucune limite et il a appris très vite que l'infini commençait en deuxième division. Il y a été couronné meilleur buteur de l'histoire et en partant de cette maudite deuxième division, il a sublimé deux équipes médiocres, les a transformées et les a catapultées vers des sommets qu'elles n'auraient jamais rêvé d'atteindre : Derby County et Nottingham Forest.

Cependant, en 1974, juste à mi-chemin entre ces deux sommets, Brian Clough a connu la goût amer de la défaite. Il a signé comme entraîneur de la seule grande équipe de sa vie, Leeds United. Il a tenu à peine 44 jours, les pires de sa vie. L'écrivain britannique David Peace a écrit le roman de cette faillite, The Damned United.

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Il est possible que l'art permettant de déchiffrer un homme que beaucoup considèrent aujourd'hui comme le meilleur entraîneur de l'histoire de l'Angleterre n'existe pas. Par contre l'artiste qui l'a sauvé de ses pires délires, lui, existe bien. Il s'agit de son entraîneur et inséparable ami Peter Taylor. Sans lui à ses côtés, Brian Howard Clough n'aurait jamais été que Brian Fucking Clough.

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« 44 putains de jours. Mais c'est même pas suffisant pour arriver à savoir où est la putain de boucherie du quartier », peste-t-il au moment d'être destitué de son poste d'entraîneur de Leeds United. Six semaines, c'est assez honteux dans un pays où les entraîneurs restent en fonction aussi longtemps que les feuilletons à l'antenne. Brian Clough n'a pas eu le temps de faire grand chose en 44 jours…mais cela lui a suffit pour tout foutre en l'air.

« Vous pouvez bien avoir gagné tous les titres en Europe, mais en ce qui me concerne, vous pouvez foutre toutes vos médailles à la poubelle parce que vous n'en avez gagné aucune honnêtement ». C'est ainsi qu'il se présente auprès des joueurs de Leeds. Il en profite pour dire à Eddie Gray, une des stars du vestiaire : « Si t'avais été un putain de cheval de course, ça fait longtemps que je t'aurais mis une balle dans la tête ». Après une telle entrée triomphale, les choses pouvaient difficilement s'arranger.

Clough arrive à Leeds au début du mois de juillet 1974 sous des avalanches d'éloges. Il a 39 ans et est l'entraîneur à la mode en Angleterre : il vient de transformer Derby County en champion de deuxième division anglaise (1969), puis de première (1972), et en demi-finaliste de coupe d'Europe (1973). Un exploit miraculeux qui lui vaut l'intérêt de la moitié des clubs d'Angleterre, du FC Barcelone, et même celui de la sélection anglaise – le job de ses rêves, qu'il n'obtiendra jamais.

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Le succès lui ouvre également les portes des plateaux de télévision et des colonnes des journaux. Et encore, Brian Clough manque de temps pour s'imposer comme un leader médiatique charismatique et controversé, pour s'en prendre à la fédération de son pays, proclamer son socialisme et pour traiter tout le monde de tous les noms du haut de son micro, spécialement Leeds United et son entraîneur Don Revie – motif pour lequel il n'obtiendra jamais le poste de sélectionneur.

Leeds et Revie ont été les moulins du délire donquichottesque/cervantesque de Clough. Pas étonnant que, lorsque Brian décide de prendre la relève de Revie à la tête de l'équipe qu'il avait si souvent insultée, Pete Taylor, son Sancho Panza, lui dit pour la première fois d'aller se faire voir. Même les plus ingénieux n'auraient pu y survivre.

Middlesbrough, 1955

En 1955, Brian Clough débute en tant que professionnel avec l'équipe de sa ville, Middlesborough. C'est un avant-centre maigre et insatiable. Il est possible que l'isolement de sa position ait déteint sur son intégration dans le vestiaire. Clough est un petit jeune plein d'une confiance en lui assez insolite, mais il n'a pas trop d'affinités avec ses coéquipiers. Cela ne l'empêche certainement pas de dire tout haut ce qu'il pense. Il corrige les vétérans comme il remet en question les décisions de son premier entraîneur, Ron Dennison.

Jonathan Wilson, journaliste au Guardian et dernier biographe connu de Clough, raconte dans son livre Nobody ever says thank you que le jeune Brian arrivait délibérément en retard aux entraînements, passait le seuil du vestiaire, enlevait sa casquette en tweed et la lançait sur le porte-manteau devant la mine stupéfaite de ses coéquipiers.

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Beaucoup l'auraient bien baffé.

Mais le plus impressionnant, c'est que cinq fois sur six, il visait juste.

Clough aurait bien succombé à sa mise à l'écart dans le vestiaire si un gardien de but blagueur ayant pour vocation de devenir entraîneur n'avait pas débarqué à « Boro ». Il s'appelait Peter Taylor et c'était une vraie encyclopédie footballistique ainsi qu'un fin analyste du jeu. Il ne tardera pas à devenir le meilleur chasseur de talents de sa génération.

Une statue de Brian Clough et Peter Taylor à Pride Park, le stade de Derby County. Image vía WikiMedia.

Taylor arrive de Coventry en 1955 et sût tout de suite que Clough était un footballeur unique la première fois qu'il le vit jouer. C'est pendant un match de pré-saison entre remplaçants : à la fin de la rencontre, Taylor se dirige vers Clough et lui dit ce qu'il pense de lui. Clough n'est évidemment pas habitué aux compliments venant de ses coéquipiers.

Clough trouve en Taylor quelqu'un qui le comprend et qui partage sa voracité sur le terrain mais aussi, et surtout, un ami avec qui passer sa vie en dehors du rectangle vert. Ils accrochent dès la première seconde et consolident cette amitié autour du foot.

Taylor raconte dans la biographie qu'il a écrite, With Clough by Taylor, que, durant les déplacements de l'équipe en train, ils choisissaient un compartiment, s'y enfermaient à clé, sortaient leurs cigarettes et parlaient, parlaient, parlaient et parlaient encore de football.

La confiance de Taylor est le soutien qui manque au jeune Clough. Son ascension est fulgurante : dans les 7 années qui suivent, il explose tous les records de buts marqués en deuxième division. Il porte le maillot de Middlesborough jusqu'en 1961, année lors de laquelle il signe chez le rival historique, Sunderland. Au total, il marque 251 buts en 274 matches.

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Ses performances sont tellement ahurissantes qu'il intègre la sélection d'Angleterre. Il joue deux matches et est même très près d'intégrer le groupe sélectionné pour le Mondial de 1958 en Suisse. Mais comme à 'Boro', sa grande gueule et son effronterie ne coïncident pas avec le conservatisme du sélectionneur Walter Winterbottom.

Malgré tout, Clough continue de marquer des buts en deuxième division jusqu'à ce que son genou ne cède un jour maudit de 1962. Clough se casse les ligaments du genou droit sur une motte de gazon. Il passe 18 mois en congés maladie, dont douze complètement bourré et six à s'entraîner à mort. Quand il revient, il a perdu toute sa vitesse.

Il joue encore trois matches, les seuls qu'il dispute en Premier League, où il marque l'unique but de sa vie contre le Leeds United de Don Revie. Mais il est fini, et son rêve brisé.

Clough range ses crampons, déprimé…mais avec une détermination inébranlable : s'il ne peut plus jouer, il deviendra entraîneur.

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Clough s'occupe d'abord de l'équipe de jeunes de Sunderland, qu'il mène en finale de la FA Cup. En 1964, il est nommé entraîneur de Hartlepool United qui évolue en quatrième division. Brian découvre rapidement que sa personnalité se marie très bien avec le despotisme : « Dans ce travail, soit t'es un dictateur, soit t'es à la rue. Parce qu'il n'existe qu'une seule vérité dans les petits clubs : des bons résultats et encore plus de bons résultats ».

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Au même moment, Peter Taylor a également obtenu son premier poste d'entraîneur au Burton Albion, une équipe de septième division. Avant de partir, il organise une rencontre entre Brian et son ancien entraîneur à Coventry, Harry Storer Jr., une vraie légende du nord-ouest de l'Angleterre. Il s'est fait une réputation d'entraîneur d'équipes qui filent droit, comme autant de garnisons de bons petits soldats.

Storer Jr. est un homme de peu de mots qui lâche des aphorismes plus qu'il ne parle vraiment : il a appris le métier pendant l'après-guerre et il a un faible pour le football militaire à base de tranchées défensives et de contre-attaques. Clough se souviendra toujours des premiers conseils de son mentor : son premier fut : « La direction ne te remerciera jamais » (qui sera aussi le titre de la biographie écrite par Wilson).

Brian Howard Clough, le « Special One » original. Image vía WikiMedia Commons

Clough se retrouve à Hartlepool avec « un stade plein de fuites et de merdes de poule » et avec « une bande d'addicts aux jeux de hasard, de parieurs et d'ivrognes qui jouent avec des chaussettes trouées tous les jours ». Du coup, Storer lui donne ce second conseil : « Si tu veux contrôler une équipe, il est nécessaire d'avoir des gars impliqués moralement et de contrôler tout le reste. C'est-à-dire tout le club ».

Clough le prend au pied de la lettre. Il réfléchit et se rend immédiatement compte que c'est trop de travail pour un seul homme. Il appelle Peter Taylor et lui demande de tout lâcher pour le rejoindre. Tout, c'est-à-dire Burton Albion, un meilleur salaire, et une ville moins déprimante. Taylor accepte : il arrive à Hartlepool où il apprend que Brian assume à lui seul les rôles de charpentier, administrateur, chercheur de subventions et même chauffeur du car de l'équipe.

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Les samedis, d'ailleurs, quand ils rentrent de leurs déplacements, Clough conduit de nuit tandis que ses joueurs chantent et jouent de la guitare. C'est une idée qu'il instaura également à Derby et à Nottingham, un des rituels capables de transformer onze délinquants en surpoids en quelque chose qui ressemble à un bloc uni.

A Hartlepool, Clough et Taylor ne réussissent pas à obtenir des résultats probants, mais ils découvrent le cœur du métier et apprennent à se répartir les tâches : Taylor se charge de dénicher des talents, de les faire signer et d'en prendre soin. John McGovern, 16 ans, est le premier, un mineur que Clough arrache des bras de sa mère grâce à ses talents de séducteur.

« Sa mère voulait qu'il aille à l'université. Je lui ai dit que j'allais en faire un champion et que je m'occuperais de lui », assure Clough. Quinze ans plus tard, en 1979, McGovern soulève la première coupe d'Europe de l'histoire de Nottingham Forest, en tant que capitaine.

Alors que Taylor découvre des talents, Clough, de son côté, impose sa discipline, sème la la terreur et essaye d'extraire du pétrole de ses sacs à vin. Il se joue de la direction, séduit les journalistes…et rêve de rivaliser avec l'homme dont le nom est à l'époque sur les lèvres de tous : Don Revie, l'entraîneur de ce satané club de Leeds United.

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Après deux ans à Hartlepool, les portes de Derby County, un autre club mondain dirigé par un millionnaire ambitieux, Sam Longson, s'ouvrent pour Clough et Taylor. Harry Storer a renvoyé l'équipe première en deuxième division en 1957 et l'équipe barbote dans le bas du tableau.

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Clough accepte le poste à condition d'avoir un contrôle absolu sur le vestiaire et sur le recrutement, et à condition que Peter Taylor l'accompagne. Longson dit oui à tout. Il voit en Brian le fils qu'il n'a jamais eu. Brian promet à Longson qu'il pourra de nouveau marcher dans les rues de Derby la tête haute : comme un champion.

Clough et Taylor disposent de 70 000 livres pour recruter et les dédient à chercher des footballeurs complets avec un bon toucher de balle. Ils ont longtemps parlé de construire une équipe avec la détermination morale des équipes de Storer, la discipline de la Hongrie – une sélection qui a humilié l'Angleterre à Wembley en 1953 et qui a laissé le pays traumatisé – et la vitesse sur les côtés des ailiers brésiliens.

Ils cherchent à avoir la possession du ballon et il veulent bannir la culture nationale du dégagement à-tout-prix. Peut-être que c'est une bonne méthode pour éviter les nids-de-poule et la boue qui s'accumulent sur les terrains anglais depuis la nuit des temps, mais Brian et Peter ne veulent pas jouer comme des Anglais.

Derby County débute sa pré-saison en Allemagne. Clough et Taylor décident d'y inclure la natation. « J'ai découvert qu'ils ne savaient pas nager. La blague c'est qu'ils ne savent pas jouer au foot non plus », dit-il au téléphone à Longson. C'était sa manière de diriger : il montrait du doigt les points faibles et ensuite expliquait comment les éradiquer.

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En revenant d'Allemagne, Clough cherche à s'attirer les bonnes grâces de la presse. Ce sera une autre des clés de sa dictature silencieuse : utiliser les journalistes pour faire passer son message : « Il est clair qu'il ne savent pas jouer. Mais s'ils apprennent à lutter et à mourir sur le terrain…alors ils ont de bonnes chances de rester », affirme-t-il à la fin de la pré-saison.

De retour en Angleterre, ils se mettent à pied d'œuvre. Après deux semaines, Peter Taylor appelle Brian depuis Tranmere. « J'en ai vu un, Brian », lui dit-il. C'était leur code. Brian décroche, entend la phrase magique et monte dans la voiture. Cela réussira plusieurs fois.

A Tranmere l'attend Roy McFarland, un milieu central de 19 ans qui touche le ballon « comme aucun putain de milieu central de toute l'histoire de l'Angleterre ». MacFarland est rapidement suivi par Alan Hinton, un milieu latéral de Nottingham Forest de 26 ans baptisé « Gladys » par ses fans parce qu'il joue « comme une demoiselle ».

« Brian Clough m'a sauvé tôt du déclin et m'a offert les meilleures années de ma vie », dira Hinton, plusieurs années plus tard.

Immédiatement après suit John O'Hare, que Clough a eu comme jeune à Sunderland. C'est un autre footballeur incompris qui, sous la baguette de Clough et Taylor, se transformera en un milieu de terrain décisif qui les suivra par la suite à Leeds et à Nottingham

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L'équipe de Derby County lors de la saison 1968-1969. Image via Flickr.

L'équipe de Derby County commence à jouer un football incisif, où chaque joueur sait exactement quelle zone du terrain il doit couvrir et comment il doit le faire. La première saison sert à mettre en route la machine, et la seconde sert à mettre en œuvre la meilleure idée de l'histoire du duo : recruter Dave Mackay.

Mackay est alors un ailier gauche des Tottenham Hotspurs qui a été un leader de l'époque la plus glorieuse du club londonien. Cependant, à 32 ans, il a décidé de prendre sa retraite et de rentrer dans son pays, l'Ecosse, pour entraîner le club des Heart of Midlothian. « Brian Clough m'a appris qu'il existait des insultes en quatre mots, et il m'a démontré, comme personne avant, que l'on pouvait se résoudre à faire ce que l'on voulait quand on sait ce qu'on veut ».

Clough veut Mackay dans son équipe et sait comment le convaincre. Il en fait le joueur le mieux payé de toute l'Angleterre : 14 000 livres par an. Il n'épargne pas Sam Longson. Et encore moins Mackay à qui ils disent qu'il ne jouera plus ailier. « A partir de maintenant tu seras libéro », lui dit Taylor. « Tu déconnes », répond Mackay. « Peter est la main gauche, mais moi je suis la gueule et les couilles. Et avec mes couilles, je peux te dire que tu seras libéro et qu'on montera en Premier League », déclare Clough. Et c'est ce qui se passera.

Dave Mackay reste une saison comme libéro et gagne le titre de meilleur footballeur de l'année. En deuxième division. Et Derby monte alors en Premier League. Et le stade se remplit. Et la folie s'empare de la ville. Et Longson se promène dans le centre d'entraînement avec sa femme au bras et un cigare à la bouche. Et Brian et Peter deviennent ce qu'il y a de plus fringuant et de plus fracassant dans le football anglais depuis que Don Revie a fait monter Leeds en Premier League et l'a mené au titre en 1969.

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Ce à quoi personne ne s'attend, c'est que cette ascension débouche sur la conquête du titre en 1972. Mais le fait est qu'en 1972, la méthode de Clough et Taylor atteint son point culminant, et y persiste. L'équipe fonctionne parfaitement, joue par cœur et tout le vestiaire est hypnotisé par Clough.

« Il est arrivé un moment où il n'avait même plus besoin de parler. Il t'appelait du regard quand tu étais de dos et tu le remarquais », se souvient John McGovern. En 1972, la presse succombe à son charme, la direction le laisse faire ce qu'il veut. Peter soigne tous ses problèmes de santé et Brian mène une campagne messianique et médiatique contre son grand rival : Don Revie, qu'il défie devant les caméras et dans les journaux.

Brian Clough face à Leeds United. Les visages des joueurs démontrent l'enjeu de ce match.

Revie représente le pouvoir, la corruption et le conservatisme d'un football qui commence dans les bureaux et finit dans le rectangle de jeu. Ses moyens malhonnêtes et sa forte influence réveillèrent la soif révolutionnaire de Clough. Tant et si bien que le jour où le modeste club du Derby County vole la vedette au géant Leeds United lors de la dernière journée de championnat en 1972, la ville entière tombe aux genoux de sa nouvelle idole.

Mais ses genoux sont faits d'argile, ses idéaux sont romantiques et il n'a pas de parrains, tant et si bien que sa chute fut spectaculaire. 1973, c'est l'année où la Football League découvre que les comptes de Leeds sont désastreux, où Peter Taylor découvre que Brian touche beaucoup plus qu'il ne le croyait. C'est l'année où Longson se sent lésé par la célébrité de son entraîneur, l'année où Brian est trahi par les caméras et par les bulles de Prosecco qu'il boit au petit-déjeuner.

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Après la gloire, la gueule de bois est rude. Derby est sanctionné. Sam Longson engage un directeur sportif, Jack Kirkland, pour qu'il orchestre le suicide progressif de Clough, et l'équipe échoue en championnat. Bien évidemment, la gloire de Brian et Peter n'allait pas durer qu'un seul jour. Et en 1973, alors que tout s'écroule, Derby joue une Coupe d'Europe extraordinaire.

Ils perdent alors en demi-finales contre la Juventus. Ils s'inclinent comme des héros lors d'un match grotesquement truqué par un arbitre allemand qui part même avec une voiture, en récompense de sa générosité.

« Je ne parle pas avec des putains de menteurs de merde », s'exclame Brian après s'être fait voler le match. Clough et Taylor sont pris à la gorge et Sam Longson profite de ce moment de faiblesse pour s'arranger pour que le conseil de Derby les écarte. Derby se soulève. Un mouvement de protestation s'organise pour remettre Clough sur le banc. Il y a des barricades et de multiples autres manifestations dans la rue. Les joueurs de Derby signent une lettre dans laquelle ils expliquent qu'ils ne s'entraineront pas sans Clough et Taylor.

Le jour de son départ, Clough et Longson s'invectivent en direct devant les caméras. Le jour suivant, l'Angleterre joue contre la Pologne, sa dernière chance de qualification pour le Mondial de 1974. Elle doit gagner. Brian est le commentateur TV du match. Il est en état de choc, aussi K.O. que le jour où il s'est cassé les ligaments.

C'est la première fois qu'il expose sa fragilité devant les caméras, la première fois qu'un effondrement émotionnel prend le pas sur son éloquence. Il traite Jan Tomaszewski, le gardien polonais, de clown. Mais Tomaszewski réalise le match de sa vie et l'Angleterre ne réussit pas à marquer. Et elle ne réussira pas à se qualifier pour le Mondial.

Ce jour-là, Brian Clough enterre toutes ses chances de pouvoir devenir un jour sélectionneur de l'Angleterre, un poste que, bien sûr, occupera Don Revie. Mais malgré tout, il y a un millionnaire à la direction de Leeds United, Many Cussins, pour penser que seul Clough peut remplacer Revie.

Ce qui est étrange c'est que Clough accepte. Il était alors sans emploi.

Et alcoolique.

Et il délirait.

C'est ainsi Clough accepte de se jeter dans la gueule du loup. Et le pire, c'est qu'il accepte de le faire seul. Taylor refuse de l'accompagner. Et à Leeds, son propre écho le rendra fou.

Le mieux dans toute cette histoire, c'est que Brian Clough y survivra. Il survivra à son personnage et à sa déchéance. Et si quelqu'un a cru que l'histoire de Derby était un coup de chance, il se trompait. Un an après l'échec à Leeds, Brian Clough devient entraîneur d'une autre équipe de deuxième division, Nottingham Forest.

Une saison plus tard, toujours en deuxième division et avec un foie mal en point, Clough décroche une nouvelle fois le téléphone. « Peter. S'il te plaît. Sans toi, je n'en suis pas capable », lui dit-il.

Et une fois de plus, Peter Taylor laisse tout tomber pour lui. Taylor humanise le vestiaire, déchiffre les balbutiements de Clough et recrute Peter Shilton, le meilleur gardien de l'histoire d'Angleterre. En 1977, Nottingham Forest monte en Premier League. En 1978, le club gagne le championnat anglais. Et en 1979 et 1980, ils sont proclamés champion d'Europe. « Je suis la vitrine du magasin : Peter est tout ce qu'il y a à l'intérieur », déclarera Clough.