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"Hey mademoiselle, t'es bonne !"

Outrage sexiste : « la verbalisation ne peut pas fonctionner »

Même l’association « Stop au harcèlement de rue » le dit. Interview.
Image : Instragram Stop au harcèlement de rue. 

À partir de ce lundi 14 mai, les députés vont examiner le projet de loi sur les violences sexuelles et sexistes. Le texte prévoit notamment l’allongement des délais de prescription pour les crimes sexuels sur mineurs, l’instauration d’un âge minimum de non-consentement d’un rapport sexuel et l’instauration d’une contravention en cas d’outrage sexiste – terme qui remplace la notion de harcèlement de rue. Une mesure qui n’a convaincu personne. À commencer par les militants de l’association « Stop au harcèlement de rue » ! L’une de ses membres, Claire Ludwig, explique pourquoi.

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Comment accueillez-vous la mise en place d’un délit pour outrage sexiste ?
Plutôt mal, car à nous estimons que la verbalisation pour outrage sexiste est impossible à mettre en place. Elle exige un flagrant délit et donc un maillage territorial important. Comment voulez-vous recueillir des preuves ? Ça sera « parole contre parole ». Il sera donc très difficile de verbaliser les harceleurs. D’autre part, il s’agit d’une mesure répressive, alors que nous attendions des mesures préventives et éducatives - comme des campagnes d’affichage et des interventions de professionnels dans les écoles. Trois jours de sensibilisation à ces problématiques sont censés avoir lieu dans les écoles, mais ils ne sont pas respectés…

La difficulté d’application ne réside-t-elle pas dans le manque de frontière claire entre outrage et drague ?
Il y a une différence entre drague et harcèlement. La drague est un échange, car elle suppose une certaine forme de consentement. À l’inverse, il y a harcèlement lorsqu’il y a insistance, pression et répétition. Et l’on est dans l’outrage à partir du moment où il y a un comportement sexiste et un rapport de domination. Le harcèlement peut prendre différentes formes : interpellations, commentaires à connotation sexuelle, regards insistants, contacts non désirés… La nouvelle loi prévoit de supprimer cette notion de « répétition ». Dès lors, l’interpellation, le sifflement, le coup de klaxon, le commentaire à connotation sexuelle – le fameux « Mademoiselle t’es bonne ! » – seront considérés comme du harcèlement, alors même qu’il n’y a pas de répétition, mais une simple interjection. Nous aimerions que le gouvernement inclue dans la notion de harcèlement tout type de comportement oppressant.

Mais la notion d’outrage n’est-elle pas liée à l’interprétation de chacune, en fonction de sa sensibilité et de son capital socioculturel ?
Toute femme sifflée dans la rue se sent perçue comme un objet sexuel. Bien sûr, tout type de comportement hostile peut-être interprété de manière différente… Mais jamais une femme ne frissonnera après avoir été sifflée dans la rue, car elle est remarquée uniquement pour son physique et rien d’autre.

Si la verbalisation n’est pas opérante, que proposez-vous pour mettre un terme au harcèlement de rue ?
L’éducation populaire. Avec notre association, nous intervenons régulièrement dans les écoles. On explique aux garçons la notion de consentement et de respect mutuel. Nous rappelons que la femme n’est pas un objet sexuel, en insistant, justement, sur la différence entre drague et harcèlement. A la différence des filles, qui ne montrent pas leur attirance ou leur plaisir car c’est encore tabou, certains hommes doivent apprendre à maîtriser leurs pulsions sexuelles. On leur montre aussi des témoignages et des reportages, puis nous terminons par un quiz. On sent les jeunes réceptifs, qu’ils prennent conscience de ce fléau.

Avez-vous fait part de vos doléances à Marlène Schiappa, la secrétaire d’État chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes ?
Bien sûr. Nous l’avons rencontrée le 17 juin 2017, puis nous nous sommes rendues à l’Assemblée nationale le 10 avril et le 3 mai pour faire part de notre scepticisme. Mais le gouvernement refuse d’entendre que la verbalisation ne peut pas fonctionner et qu’il faut miser sur la prévention. Est-ce un problème de ressources financières ? De volonté politique ? Franchement, je me pose la question.