Chaton va vous réconcilier avec l’auto-tune

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Music

Chaton va vous réconcilier avec l’auto-tune

On a rencontré le chanteur qui brouille les pistes entre mal-être et euphorie pour savoir ce que ça fait d’avoir neuf vies.
Marine Coutereel
Brussels, BE

Chaton, c’est de l’indolence déposée sur des notes délicates, entre rap atmosphérique, pop lascive et électro dub. Ses poésies modernes viennent servir un propos réfléchi, un peu vengeur, sur le désenchantement lié à la création et le besoin vital de ne pas s’y perdre. Et puis Chaton c’est de l’amour, aussi. Beaucoup d’amour.

Car oui, on ne peut qu’aimer Chaton. Au point qu’il en devient difficile d’éviter les adjectifs ronronnants et les métaphores mignonnes pour qualifier son projet. On l’aime encore plus depuis qu’on a appris que derrière le tube de Jenifer sur lequel on se trémoussait ado, c’était déjà lui. De chat domestique à chat sauvage, a-t-il vraiment eu neuf vies ? Que s’est-il passé dans l’une d’elle pour qu’il se décide enfin à passer à la suivante ? Comment préserver son propre univers quand on a donné tout son temps à fabriquer celui des autres ? On a rencontré Simon après un mini showcase FiftyFifty à Bruxelles, autour d’une pizza déjà froide.

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VICE : Salut… je sais pas en fait, on t’appelle comment ? Simon, Chaton ?
Simon : Franchement, c’est toi qui vois. Tout le monde m’appelle Chaton à cause de ma copine. Les petits surnoms mignons, tout ça… Une fois que tes potes s’emparent de ce genre de trucs, c’est mort. D’ailleurs c’est pour ça que c’est devenu mon blase : un matin j’ai envoyé mes fichiers à l’ingé son sous ce nom, par habitude. Évidemment, il s’est foutu de moi et voilà, c’est resté. T’es sûre que tu veux pas un bout de pizza ?

Non vas-y, fais toi plaisir, j’ai déjà mangé.
C’est bizarre comme truc non ? Brocoli, ananas, jambon. On dirait un peu mon album. Une pizza sur laquelle on a foutu un peu de tout.

Et c’est bon au moins?
Ouais, un peu improbable, mais au final c’est pas trop mauvais (rires).

Justement, c’est assez difficile de qualifier ton univers.
C’est parce que je suis un vrai mélomane. Ça peut sembler totalement anodin dit comme ça en 2018, mais je peux t’assurer que quand j’avais 20 ans, ça ne l’était pas. T’écoutais soit du rap, soit du rock, soit du reggae, t’étais habillé en fonction, et tes amis écoutaient la même chose que toi. Aujourd’hui je mixe les codes de divers univers, mais ça a été un vrai combat. Maintenant je comprends qu’un mec qui a une culture chanson française et qui voit débarquer de l’auto-tune, il peut avoir besoin d’un temps d’adaptation, ou même carrément détester le projet.

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Cet auto-tune omniprésent, c’est juste esthétique ou c’est plus profond que ça ?
Quand j’ai vu arriver cette mode, j’ai trouvé ça intéressant. Je me suis demandé pourquoi le hip-hop était tout d’un coup devenu si atmosphérique ; pourquoi cette transition entre un avant où les rappeurs s’occupaient des couplets et la chanteuse du refrain, et ce présent où les rappeurs sont carrément devenus de chanteuses. Je pensais que l’auto-tune permettait simplement aux rappeurs de chanter juste. En essayant, j’ai compris que c’est bien plus que ça : ça t’ouvre un champ des possibles mélodiques que tu n’as pas si tu es au naturel. C’est comme un arpégiateur sur un clavier. Tu pars pour chanter une certaine mélodie, et l’auto-tune va t’emmener ailleurs. C’est ça en fait, un instrument qui t’offre une proposition d’ailleurs en te sortant de tes propres mécanismes harmoniques.

« L’auto-tune, c’est un instrument merveilleux qui offre une proposition d’ailleurs en te sortant de tes propres mécanismes harmoniques. »

Je pensais que c’était plus par timidité, que tu te cachais un peu derrière des machines.
Non pas vraiment. Je suis quelqu’un de timide, à la base, c’est vrai. Mais j’ai eu une formation classique en étant gosse, donc très rapidement j’ai su manier la musique de façon à ce qu’elle devienne mon exutoire, un moment privilégié qui me permettait justement d’oublier ce rapport un peu malaisant que j’avais avec le monde, cette incompatibilité sociale de gamin trop timide.

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Il s’est passé quoi entre ce gamin timide et ton album ? T’as eu plusieurs vies ?
Oui, on peut dire ça. Plusieurs vies dans lesquelles il s’est passé des milliers de choses. Très bonnes et très mauvaises. Je suis entré dans cette vie-ci sur un point de rupture, un moment où j’ai essayé de me rappeler pourquoi je faisais ce métier-là. Je l’ai d’abord fait pour moi, puis très rapidement pour d’autres. Est arrivé un moment où je me suis rendu compte que je ne savais plus très bien pourquoi je le faisais. C’était mécanique. J’ai dû dire « ok stop, sinon tu vas en crever. Parce que si tu as perdu ça, si tu n’y as plus ce refuge, tu n’as plus rien. » Possible, c’est ce risque-là : tu sais que tu n’as plus vingt ans mais tu te lances quand même, pour te sortir la tête de l’eau.

T’étais ce qu’on peut appeler « un travailleur de l’ombre ». Ça t’as rendu fou ?
Oui, dans ce milieu, c’est malheureusement « souvent la parole à quelques-uns qui n’ont pas de goût ». En haut de la chaîne culturelle, on trouve principalement des espèces de brutasses qui sont extrêmement brillants dans leurs spécialités, comme le commerce, le marketing ou la com’. On leur a tout le temps répété qu’ils étaient l’élite de la nation, par conséquent ils ont du mal à comprendre qu’ils doivent laisser la création à des gens dont c’est le métier, des gens qui ont un bagage équivalent à eux leur diplôme d’école sup. Maintenant le problème du créatif, c’est que son talent n’est pas quantifiable, car il dépend de l’appréciation de chacun. On aime ou on n’aime pas, mais ça varie en fonction des personnalités. Tout le monde peut avoir un avis différent. Il n’y aucune légitimité. Du coup tu finis par produire un travail qui n’est, au final, plus vraiment le tien mais qui plaît à ceux d’en haut. Et ça te rends fou parce que tu te perds toi-même.

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Pas mal de jeunes sont dans cette situation. Comment t’as fait pour gérer cette frustration ?
Moi je n’avais pas d’autre choix que d’arrêter tout ça. Parce que ça me tuait. Maintenant que j’ai fait mon truc pour moi, rien que pour moi, je vais pouvoir recommencer à travailler avec d’autres. Uniquement si j’en ai envie, et uniquement s’ils viennent me chercher pour les bonnes raisons, c’est à dire ma vision. Parce qu’une vision multiple sur un même projet créatif, ça devient une somme de compromis et le compromis en création n’est jamais bon. Mon album s’appelle Possible pour cette raison. C’est possible de continuer à rêver, possible de continuer d’avoir une vie marginale où tu fais tes propres choix mais où tu restes connecté à la société, où tu peux encore échanger avec elle et lui offrir un peu d’amour.

« Les grandes villes proposent une version améliorée du spleen »

Quand tu dis que cet album vient du « fond de la piscine », tu fais référence à une dépression ?
Je fais plutôt référence à une faillite généralisée, émotionnelle, à une espèce de mélancolie qui naît des ces chaînes qu’on peut se mettre, qu’on laisse les autres nous mettre. Parce qu’on a ce besoin stupide d’appartenance au groupe. En création, c’est difficile d’être en opposition, d’avancer seul. De dire non. Il y a un moment où t’as envie de tout laisser tomber, tes rêves et tes envies, et te ranger dans la chaîne parce que tu n’as plus la force de lutter pour tes propres émotions. Donc non, pas une dépression car je suis quelqu’un de foncièrement heureux, curieux… L’album vient plutôt d’une déception, de cette prise de conscience mélancolique où je me suis rendu compte que je ne faisais plus rien qui me rendait fier de moi, qui me libérait. Le clip de « Poésies » dégage un sentiment de spleen urbain. Les grandes villes t’étouffent ?
Je pense que si j’avais souffert de la même forme de spleen à la campagne, je me serais pendu. Au contraire, c’est un tout petit peu salvateur de savoir que t’as beau te sentir seul au monde, si tu ouvres la porte, il y aura toujours un café en bas, des gens, un cinéma, une proposition culturelle, une proposition humaine et multiple. Les grandes villes te proposent une version améliorée du spleen, on va dire. Puis elles possèdent malgré tout une certaine avance sur des questions d’ouverture d’esprit, de tolérance. C’est pas négligeable. Dernière question : les comparaisons faciles entre tes cheveux et ta musique, c’est quelque chose qui te saoule ?
Tu sais, il faut bien que les journalistes aient un angle, si c’est pas les cheveux, ce sera le pseudonyme… Non au final si ça m’emmerdait je pourrais très bien les attacher ou les couper. Ça me fait marrer, c’est presque mignon. Moi je les aime bien mes cheveux, c’est difficile à entretenir mais j’en prends soin, c’est comme un petit poney tu vois, t’as envie de lui faire des câlins quand même.

Oui, on fait des gros câlins à Chaton, qui sera présent aux Nuits Botanique, le vendredi 4 mai.

Possible, à écouter ici et à paraître le 9 mars 2018 chez Arista France

Pour plus de Vice, c’est par ici.