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En Angleterre aussi, on vire des Roms

Dans les années 1960, des familles de Roms et de travellers irlandais ont acheté une parcelle de terrain à côté de Wickford, dans l’Essex, une petite ville à 50 kilomètres à l’est de Londres.

Dans les années 1960, des familles de Roms et de travellers irlandais ont acheté une parcelle de terrain à côté de Wickford, dans l’Essex, une petite ville à 50 kilomètres à l’est de Londres. À l’époque, le terrain était dégueu ; une casse auto abandonnée à côté d’un bâtiment du Ministère de la Défense désaffecté, des voitures rouillées partout et des flaques d’acide sulfurique. Le campement de Dale Farm accueille désormais la plus grande communauté gitane du Royaume-Uni. Quelques 1000 gitans sont installés ici, mais aujourd'hui, la moitié est en passe de se faire jarter. Le conseil prévoit de financer leur éviction en utilisant 20 millions d'euros provenant de l'argent des contribuables.

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Le conflit tourne autour d’une autre parcelle de terrain à côté de Dale Farm, un zone que les familles ont achetée au conseil de Basildon il y a de cela 10 ans. En gros, les deux parties se battent à propos d’une petite merde construite sans autorisation. Ça peut paraître fastidieux de se disputer pour ça, mais étant donné que bientôt un gang d’huissiers et de policiers va débarquer à Dale Farm pour mettre à la rue 90 familles de roms en colère, j’ai pensé que ça valait le coup d’aller les rencontrer et de voir ce qui se passe.

Les barricades d’échafaudages que les travellers ont montées tout autour du site sont ornées de messages tels que « ON NE PARTIRA PAS », « ON <3 DALE FARM », et « NON AU NETTOYAGE ETHNIQUE ». Pour autant, on peut penser que le terme « Nettoyage ethnique » est un peu exagéré, le conseil de Basildon n’ayant encore annoncé aucune intention de tuer qui que ce soit. En même temps que les autorités veulent déloger les squatters de la ceinture verte, ils continuent chaque jour de vendre le terrain à de riches entrepreneurs. Pas besoin de vivre dans une caravane pour sentir que ça pue.

La communauté de Dale Farm a perdu son procès contre les propriétaires du terrain mercredi 31 août. De fait, la venue des huissiers est prévue pour aujourd'hui, le 19 septembre. Heureusement, leur situation n’est pas passée inaperçue. Quand j’arrive, je reçois une visite guidée des parties « illégales » du campement par un mec nommé Jake, l'un de ces militants pour la solidarité qui ont emménagé avec les gitans. Ils vivent dans des tentes sur place et Jake me raconte comment ils ont aidé les gitans à remplir des demandes d’hébergement et à construire des défenses anti-huissier à l'aide de vieux pneus et de barbelés. Aux quatre coins du campement, j'aperçois des tours de guet occupées par des militants. Ils ont aussi construit ces « toilettes sèches » relativement astucieuses.

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Les gens du voyage savent très bien ce que les étrangers pensent d’eux, par conséquent certaines zones du campement sont complètement interdites (le journaliste du Daily Mail qui m’accompagne n’en est d’ailleurs pas très content). Les tabloïds ont dit de Dale Farm qu'il s'agissait d'une zone dangereuse, mais je pense qu’ils ont dû se tromper de campement. L’atmosphère est un peu tendue, certes, mais rien à voir avec ce à quoi le conducteur de taxi faisait allusion lorsqu’il me racontait comment il a été pris en otage dans sa propre voiture par sept mecs alors qu’il passait à côté du campement un jour de mariage. Il m’a aussi dit que la société de téléphonie BT ne s’approchait pas du camp sans escorte policière et que les résidents terrorisaient le voisinage depuis des années. Pour autant, lors d’une marche de soutien dans le centre de Basildon ce même jour, les gens du coin exprimaient plutôt leur soutien aux habitants de Dale Farm.

Quelqu’un m'a raconté qu’avant que les gitans s’installent, des gangs locaux utilisaient les lieux pour planquer de la drogue et des armes. Un autre m'a dit que les gamins des cités du coin créaient bien plus de problèmes que les roms. Lorsque vient leur tour de parler, les femmes de la communauté m'expliquent qu’elles ne veulent pas passer devant les quelques 6000 personnes qui attendent déjà une réponse à leurs demandes de logements sociaux. Non pas que le conseil ait l’air de leur proposer grand-chose : jusqu’ici, seulement 20 des 90 familles se sont vues proposer un logement, toujours le même, un tout petit meublé certifié années 1960.

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Cathleen, une des séniors du campement, m'explique que de toute façon les travellers n’aimeraient pas vivre dans des maisons. Elle dit être fière de ses traditions et revendique le droit d’habiter dans une caravane si elle le veut.

Quand la manifestation a commencé à s'essouffler, on m'a invité à revenir le lendemain pour participer à une réunion de plus grande ampleur. À 13h, environ 500 travellers, gens du coin et militants se sont retrouvés pour battre le pavé de la gare de Wickford à Dale Farm - accompagnés par les forces de police - en chantant « Hey ! Ho ! Tony Ball has got to go ! »

Tony Ball est le type est à la tête du conseil local. Quand j’ai demandé à Cathleen ce qu’elle lui dirait s’il était à côté de nous, elle m’a répondu, « Je lui demanderais s’il serait d'accord pour qu’on échange nos vies. S’il aimerait que des gens du voyage se pointent chez lui, le mettent à la rue pour vivre dans une caravane sans électricité, sans sanitaires, et parfois même, sans eau. J’aimerais bien voir s’il nous expulserait toujours. »

Ça nous a pris environ une heure pour atteindre Dale Farm. Sur le chemin, on s’est arrêtés à l’école primaire qui serait obligée de fermer ses portes si les familles étaient exclues - les classes d'ici étant composées à 60% d'enfants roms. Un membre du Parlement européen à l’allure chelou, Richard Howitt, s’est pointé pour se faire prendre en photo avec plusieurs gamins. Plus tard, il a fait un discours en compagnie de plusieurs représentants de groupes antifascistes, d’Amnesty International et du « Conseil Gitan de Grande-Bretagne ».

Les discours ont réellement plombé l'ambiance, et quand j’ai regardé les gitans, beaucoup affichaient ce visage qui signifie la désillusion. Ils étaient plus que tristes, ils étaient las. Je me suis dit que beaucoup avaient déjà vécu cette situation. Peu importe la taille et la couverture médiatique de la manifestation, les huissiers se pointeront quand même aujourd'hui pour les virer de leurs propres terres. Au bout du compte, cette semaine de début septembre n’aura été que le calme avant la tempête, et ce sera désormais aux gitans de se battre seuls lorsque les huissiers viendront. Les militants sur place ont averti qu’ils mèneraient des actions de protestation directes et non violentes, mais certains résidents ont annoncé qu’ils défendraient leurs habitations avec tous les moyens possibles. Certains ont même dit qu’ils les brûleraient avant que les bulldozers s’en chargent. Sur le papier, on ne donnerait peut-être pas cher de ces irréductibles, mais si j’étais huissier, je demanderais une putain d’augmentation avant d'envisager de nettoyer la zone.