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L’héritage oublié des Black Panthers britanniques

Le photographe Neil Kenlock veut rendre au groupe de Brixton la place qui lui revient de droit.

Au milieu des années 1960, pendant que les Black Panthers – les Américains qui trimbalaient des fusils de chasse, ceux que tout le monde connaît – faisaient flipper l’Amérique blanche toute entière, les British Black Panthers (BBP) s’occupaient d’éduquer leur communauté et de combattre toute forme de discrimination. À l’époque, des lois ouvertement racistes qui menaçaient la population noire étaient en passe d’être votées et une partie de la classe moyenne blanche était pleine de préjugés quant à la communauté noire. Mais les BBP – basés à Brixton, dans le sud de Londres – ont enseigné l’histoire aux Noirs britanniques et leur ont permis de se révolter.

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Malgré leur succès et leur influence sur les communautés anglaises, personne ne connaît vraiment les British Black Panthers. Parmi les grands dirigeants du mouvement, on peut compter Darcus Howe, Linton Kwesi Johson et Olive Morris, aujourd’hui décédée. Leur faible notoriété, au même titre que leurs objectifs et leurs exploits, est principalement due à leur courte existence, de 1968 à 1972.

Heureusement, Neil Kenlock, un des membres clés du groupe, est devenu leur photographe officiel, shootant chacune de leurs réunions, leurs campagnes, leurs manifestations et leurs actions.

Si jamais vous traînez du côté de Brixton ce mois-ci, une nouvelle exposition mise en place par Organised Youth – un groupe de jeunes de 13 à 25 ans particulièrement inspirés par l’activisme des British Black Panthers – présentera le travail de Neil dans une galerie de Brixton, à la Photofusion Gallery. J’ai posé quelques questions à Neil concernant les Panthers et leur héritage en Grande-Bretagne.

VICE : Comment avez-vous rejoint le mouvement des British Black Panthers ?
Neil Kenlock : J’ai découvert les réalités du racisme très jeune, quand j’avais 16 ou 17 ans. Je me suis rendu dans un club de Streatham, et on m’a refoulé à l’entrée sous prétexte que le club était plein et qu’il fallait que je revienne la semaine suivante. C’est ce que j’ai fait, mais on m’a dit que je ne pouvais pas rentrer parce qu’ils ne voulaient pas y voir des gens «comme moi ». J’ai dit que je ne voyais pas pourquoi. Il n’y avait pas de lois discriminatoires à l’époque, donc c’était impossible d’en parler à qui que ce soit.

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On ne vous a jamais laissé rentrer ? 
Mon pote et moi leur avons dit que nous étions bien sapés, qu’on était des mecs réglo et qu’on voulait juste s’amuser, comme tous les autres gens. Le videur nous a demandé de partir en nous menaçant d’appeler la police. On est restés, ils ont appelé les flics qui nous ont dit qu’on n’était pas les bienvenus et qu’on ferait mieux de rentrer chez nous. J’ai dit que je ne violais aucune loi, mais ils ont menacé de nous arrêter. Comme je n’avais vraiment pas envie que mes parents se pointent à la station de police de Streatham pour me chercher, je suis parti. Mais sur le chemin du retour, j’ai pris la décision de me battre contre l’injustice et la discrimination qui sévissaient dans ce pays.

Un autoportrait de Neil, pris en 1970.

Et comment avez-vous rencontré les Panthers ?
Quelques semaines plus tard, j’ai croisé un membre du mouvement à Brixton en train de distribuer des tracts qui parlaient de la brutalité des flics, et de la discrimination qu’ils appliquaient. C’est là que je les ai rejoints.

Vous étiez déjà familier des Blacks Panthers US ?
Je les avais vus à la télé, mais je n’y avais pas vraiment prêté attention. C’est plutôt mon expérience personnelle qui m’a fait m’intéresser au mouvement. En les voyant tracter, je me suis dit que je voulais faire comme eux. Je voulais combattre la discrimination, le racisme et toutes les mauvaises choses qui nous arrivaient.

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C’était quand ?
En 1968, je crois, juste après que j’ai fini l’école.

Le mouvement était bien organisé à ses débuts ?
C’était relativement bien organisé. Ils étaient répartis dans un immeuble sur Shakespeare Road à Brixton et dans une maison dans le nord de Londres. Ils organisaient des réunions, des conférences sur l’histoire et les systèmes sociaux – le capitalisme, le socialisme, etc. À l’époque, personne n’enseignait l’histoire des Noirs – on savait juste des trucs sur l’esclavage, mais rien sur les luttes qu’ils avaient menées pour être libres. On nous a appris à être fiers de notre histoire et de notre couleur de peau. Les Noirs eux-mêmes étaient responsables, ils se montraient faibles et soumis. Ils faisaient confiance à la classe dirigeante, à la société et au système.

Les British Black Panthers étaient officiellement liés aux Black Panthers ou vous avez juste adopté le nom comme ça ? Je sais par exemple que vous étiez fermement opposés à l’utilisation des armes.
On a juste adopté le nom. On avait des contacts de temps en temps, mais rien d’officiel. Les Black Panthers constituaient un parti politique radical et révolutionnaire. Nous étions un mouvement, nous n’avons jamais voulu de sièges au Parlement ou agir comme un parti politique. Nous voulions éduquer nos communautés et combattre l’injustice et la discrimination. C’était notre mantra. La ségrégation venait d’être abolie aux États-Unis, mais nous n’avions jamais rien connu de tel. Nos problèmes étaient très différents des leurs.

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Quels problèmes étaient traités par les British Black Panthers en particulier ?
Comme je l’ai dit juste avant, la population comportait une large communauté noire, mais il n’y avait jamais eu de ségrégation. C’était quand même difficile pour nous de nous ajuster à ce pays, et nous avons connu des chocs culturels. Nos parents occupaient des emplois subalternes et travaillaient souvent à l’usine. Il fallait trouver un moyen pour que tout le monde puisse connaître une ascension  sociale.

Encore une fois, c’était aussi un problème culturel. On n’avait jamais dit aux Noirs britanniques qu’ils avaient été capturés en Afrique et qu’ils avaient été esclaves pendant plus de 300 ans. À la fin de l’esclavage, les propriétaires ont gagné de l’argent, alors que nous n’avons jamais rien eu, pas même une petite excuse. À l’époque, nous estimions avoir le droit d’être dans ce pays – nous avions participé à sa construction. Nous pensions avoir le droit de partager ces profits, alors que les Britanniques se demandaient : « Pourquoi ces gens nous piquent nos boulots ? »

Un manifestant arrêté par la police.

Le rôle des Panthers était d’instruire les gens sur ce sujet ?
Oui, la classe moyenne et politique n’a jamais voulu clarifier la situation. C’est précisément ce qu’on essayait de faire comprendre : on méritait pleinement d’être ici, et il fallait des lois pour en attester. À l’époque, ils essayaient de nous rapatrier. C’était un scandale – on ne peut pas capturer quelqu’un en Afrique, l’exploiter pendant des années et le renvoyer une fois qu’il a participé à la reconstruction du pays. Ce n’est pas acceptable.

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Vous avez eu des interactions avec d’autres groupes, les antifascistes par exemple ?
On avait quelques liens avec les Travailleurs Socialistes et d’autres groupes de gauche, et beaucoup d’intellectuels ont participé à la fondation des Panthers, épaulés par des acteurs et d’autres célébrités. Beaucoup de gauchistes nous ont soutenu.

Les British Black Panthers se sont finalement scindés en plusieurs groupes. Qu’est-ce qui s’est passé ?
Je pense que les British Black Panthers se sont formés en réponse à une discrimination subie par de nombreux étudiants du Commonwealth. À l’époque, les meilleurs étudiants du Commonwealth étaient envoyés en Grande-Bretagne pour étudier. Beaucoup d’entre eux se sont associés aux Black Panthers ; ils n’avaient jamais connu de discrimination dans leur pays, où ils appartenaient à la classe moyenne. Mais quand ils sont arrivés ici, ils ont découvert ces inégalités et ont décidé de se battre pour y mettre fin. Mais comme ils avaient besoin du soutien de nos communautés, ils se sont rendus à Brixton et ont rencontré des gens comme moi. On a tous travaillé ensemble.

Après avoir instruit ces étudiants et nos communautés, de nombreux jeunes sont retournés dans leurs pays – la plupart ont occupé des postes de cadres par la suite. Beaucoup de nos demandes ont fini par se concrétiser. La loi sur le rapatriement a été annulée, l’idée de déportation abandonnée et le mouvement s’est naturellement dissous – progressivement, les gens ont arrêté de se réunir et de faire ces trucs.

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D’une certaine façon, la dissolution du mouvement n’était qu’un reflet de votre succès.
Voilà. Je pense qu’on a changé la perception des Noirs dans le pays. Et beaucoup des étudiants qui sont retournés au Commonwealth ont occupé de bons postes à leur retour, au gouvernement, etc. – ils n’avaient plus envie de compromettre leur future carrière en s’impliquant avec nous.

Quel héritage ont laissé les Panthers en Grande-Bretagne ?
Le mouvement des Black Panthers était particulièrement secret, mais il a eu une grande influence sur la discrimination qui sévissait dans le pays. Je pense que son plus grand accomplissement est d’avoir fait annuler les lois concernant la déportation. Nous nous sommes assurés que le gouvernement éduquait correctement les plus jeunes. À l’époque, beaucoup d’enfants noirs étudiaient dans des écoles de niveau inférieur aux autres – elles n’existent plus aujourd’hui. Nous avons accompli beaucoup de choses, mais tout le mérite ne revient pas aux Panthers. C’est une sombre portion de l’Histoire, et c’est important de la raconter avec ces photos. Sans elles, nous n’aurions jamais pu raconter ces histoires aux plus jeunes. À elles seules, ces photos constituent un héritage important.

Vous étiez conscient de l’impact qu’auraient ces photos sur l’histoire sociale de la Grande-Bretagne ?
J’en étais tout à fait conscient. J’ai rejoint les Panthers en réaction à ce que j’avais vécu. Je savais ce que je voulais faire pour eux : garder une trace de leurs réunions, de leurs manifestations et de chacun de leurs efforts. C’était une contribution consciente au mouvement.

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Super, merci beaucoup Neil.

Les photos de Neil seront exposés à la Photofusion Gallery à Brixton, du 16 au 26 octobre. Rendez-vous ici pour plus d'informations.

Il y aura aussi 100 exemplaires d’un livre compilé par Organised Youth – The British Black Panthers and Black Power Movement – en vente pour 20 £.

Cliquez ci-dessous pour voir plus de photos des British Black Panthers par Neil Kenlock.

Un graffiti raciste à Balham, Londres. 1972.

Eddie Lecointe des BBP.

Clovis Reid des BBP.

Cliquez ci-dessous pour voir plus de photos.

De très jeunes manifestants.

Angela Davis, des Black Panthers US, remercie ses soutiens britanniques après sa sortie de prison. 1974.

Darcus Howe des BBP.

Cliquez ci-dessous pour voir plus de photos.

Olive Morris des BBP.

Danny DaCosta au QG des BBP dans Shakespeare Road, à Londres.