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Mode

Le steel du Cap'Tain

Les clubbers jumpstyle sont sapés pour l'usine

Photos : Ines Lagoa

Dans le Nord de la France, à la frontière belge, on entend parler des clubs de jumpstyle au moins une fois par mois. Depuis 2002, Enquête Exclusive et toutes les émissions connectées à l'effervescence drogue / délinquance / câble TNT se déplacent pour filmer « au plus près » les locaux qui viennent danser sur cette techno hardcore descendante du gabber néerlandais. Régulièrement, une mini-team de terrain – une meuf de la prod un peu bonne et des « tékos » avec du gel dans les cheveux – se joignent aux jeunes frontaliers en week-end pour témoigner des autocollants Lonsdale accrochés aux murs des chiottes, des sachets de taz rebondissant sur les subs 15 pouces de Nissan Micra tuning et autres bastons interraciales ultraviolentes. La légende raconte même qu'à la fermeture des clubs, les femmes de ménages retrouvent des étrons planqués sous les tables.

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Le Complex Cap'Tain est le premier club du « triangle du jump' » de Rumes en Belgique, avec The Ho ! et le Tremplin. La déco du club a été pensée comme un Disneyworld pour hooligans : un mélange entre le bateau du capitaine crochet et un hangar belge qui sent les chiottes de chantier. La spécificité du Cap'Tain tient à ses deux salles distinctes : d'un côté, un immense club jumpstyle de 2000 places et de l'autre, une boîte Raï'n'B pour fans de pitbull – le rappeur et le chien. Sur le papier on s'attend à pas mal d'embrouilles mais sur le parking, les mecs coexistent pacifiquement. Les êtres humains de toutes cultures se retrouvent aujourd'hui dans l'adoration des « fat basses ».

Quand VICE m'a proposé de mettre à contribution mes connaissances en fringues pour évaluer et décrypter les codes vestimentaires des habitués du Cap'Tain, j'ai d'abord hésité. Le club a son folklore musical et esthétique hermétique au reste du monde ; en gros, aucun mec de l'« extérieur » n'a sa place là-bas. Autre problème : les journalistes sont de moins en moins acceptés, puisque 90% d'entre eux viennent pour se foutre de leur gueule. Mais il fallait quelqu’un pour attester de l'existence de ce mode de vie. J'ai décidé d'aller à une « Mega Neige Party », histoire de faire le point sur les styles les plus authentiques trouvés là-bas.

Le steel Cap’Tain emprunte énormément de codes au travail industriel et à la gestion de stock vu par le prisme « U.S.A ». Les habitués du club aiment s'imaginer les colis et autres palettes en train de traverser l’Atlantique, les références directes aux entrepôts américains étant imprimées sur 70% des vêtements avec une police de type « caisse de marchandise en bois ». On ne peut regarder nulle part sans voir les mots « Cargo », « Denim », « Since », « Established », « Corp. », « Tenessee » et plein d'autres indices attestant d'un fantasme continental pour l'usine américaine. J'ai aussi remarqué pas mal de séries de chiffres et de lettres imprimées sur les outfits des mecs, des imitations de bordereaux de commande aussi mystérieux qu’incompréhensibles, comme « N°13.36-7004T ».

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L’âge minimum pour entrer au Cap’Tain est 16 ans. Du coup, on retrouve pas mal de p'tits potes du collège en sportswear avec des tronches tordues et des Air Max défoncées. Ce sont possiblement les responsables des étrons de carbonnade flamande planqués sous les tables du club. La plupart d’entre eux viennent en bagnole avec leurs grands frères, auxquels ils volent 500cl de leur Whisky Grant’s à l’apéro, plus deux joints et une douille. Une fois à l’intérieur, éclatés et bourrés, ils peuvent encore pécho des cocktails Cap’Tain pour cinq euros. Ils adorent ces trucs ; pour les avoir testés, ils ont le goût de l’odeur des soucoupes bleues chimiques utilisées pour assainir les chiottes. Ceci dit, ils hydratent pour pas cher jusqu’à 7h du mat’, heure à laquelle les DJs passent enfin du speedcore à 200bpm pour les vrais.

Chez les hommes, la mode mondiale est aux cheveux courts sur les côtés et long dessus – une vision des années 1940 revue et actualisée avec l'apparition de la série télévisée Mad Men. Les garçons du Cap’Tain représentent le pendant hardcore de cette tendance. Ils sont rasés à blanc sur les côtés avec une  mini-motte de René la Taupe sur le dessus. Quand je leur ai demandé d’où venait cette coupe de cheveux, ils m’ont répondu que c'était « pour faire comme dans Inglorious Basterds ». Ils véhiculent et revendiquent un trip assez militaire, que l'on retrouve jusque dans les inscriptions de type « division d’infanterie » sur les chemises de marque Kaporal 5 ou Cabanelli.

Aujourd'hui, les filles sont moins dans la redécouverte des traditions capillaires d'antan que les hommes ; elles ont plus un mode de vie décoloration et affichent de longues pointes blondes comme Alexa Chung. Au Cap'tain en revanche, la plupart des meufs présentes ce soir-là en sont encore à la réappropriation du mullet bicolore Toni & Guy en se coiffant comme Lorie en 2005, noir en dessous, blond digital au dessus. Ce couple synthétise bien l’interprétation locale des tendances du moment. En fait, on retrouve au Cap’Tain les mêmes codes fashion que partout dans le monde, mais avec des contrastes beaucoup plus violents.

Parmi les danseurs du Cap'Tain, on trouve des beaux gosses locaux, italo-chics, en noir tous les samedis soirs. Ces deux types, assouplis par plusieurs verres de rhum-orange, déployaient un display de vibrations sexy à base de montre Festina rectangulaire, ceinture blanche Armani Jeans et chaussures Stanley Rossi à bouts carrés, modèle « Caméra Café ». En revanche, pas de coutures retournées ou de lettrages « Corp.» à l’horizon. Enfin des hommes de goût qui ont choisi les bons modèles de Kaporal 5 dans les pages « casual » du catalogue La Redoute. Je me souviens avoir été interpellé par le caleçon rose dépassant négligemment du pantalon parce que « c’est de la marque », et surtout, pour signifier au reste du club leur statut de fêtard de 1ère catégorie. Ce qui ne leur a pas empêché d'éviter les quolibets sur le dancefloor, la plupart étant des références à leur sexualité présumée.

Après avoir passé un peu plus de sept heures au Cap'Tain à alterner entre jump, repos et cocktails technologiques non-approuvés par les normes d'hygiène européennes, j'ai décidé de me barrer. C'était une soirée techno hardcore assez normale. Aucun événement singulier n'a été à signaler, à l’exception d’un jet criminel de gaz lacrymo sur le dancefloor pendant la distribution de shots de champagne.