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LE PREMIER NUMÉRO

Vieille France

Puisque les Français sont vieux – 22% de la population française a dépassé les 60 ans –, on a eu envie de passer quelque temps dans une maison de retraite.

Puisque les Français sont vieux—22% de la population française a dépassé les 60 ans—on a eu envie de passer quelque temps dans une maison de retraite. On s'attendait à tomber sur un hospice délabré qui sent la pisse, la tristesse et la mort. Un truc rempli de zombies bavants et d'infirmières sadiques, genre l'asile de Vol au-dessus d'un nid de coucous rencontre la prison de Midnight Express. La Fondation Favier ressemble à un musée d'art contemporain posé au milieu d'un grand parc. C'est une bâtisse moderne avec des ascenseurs de verre et des passerelles en acier qui courent d'un service à l'autre. Un étage pour les « valides lucides », un autre pour les « grabataires séniles » et un dernier pour les « désorientés déambulants » (les malades d'Alzheimer). Les résidents regardent la télé dans leurs chambres (propres) et prennent leurs repas dans des petits « lieux de vies » aménagés à chaque étage (la bouffe a l'air correcte). Le jour de notre arrivée, l'équipe d'animatrices avait organisé un « atelier dessin » dans la cafétéria. Ça fait bizarre de voir des personnes âgées en train de découper des feuilles mortes comme à la maternelle. En l'espace de trois jours, Romain (le photographe) et moi, avons rencontré quelques dizaines de vieux. Certains nous ont envoyé chier. D'autres n'étaient pas en état de répondre à nos questions. Beaucoup nous ont gentiment invités dans leur chambre pour nous parler de ce qui les a conduit dans une maison de retraite et de ce qu'ils pensent de la France d'aujourd'hui. Richard Tourisseau, le directeur, nous a expliqué les difficultés qu'ont les vieux à se supporter les uns les autres. Ce qui ne les empêche pas d'avoir des rapports sexuels à l'occasion. VICE : Vous avez beaucoup d'Alzheimer?
Richard Tourisseau: Faut arrêter avec Alzheimer, ça devient une obsession. Quand une personne de moins de cinquante ans prend son chien pour une lampe de chevet, on est en présence d'un Alzheimer. Mais quand on m'amène une grand-mère de 80 ans en me disant qu'elle est Alzheimer, moi je dirais plutôt que Mamie, elle est gâteuse. Comment ça? Alzheimer, c'est un syndrome de la sénilité précoce. J'insiste sur le mot «précoce». Alzheimer a découvert ce syndrome en 1906, sur une patiente de 51 ans. On en n'a pas entendu parler pendant 80 ans et depuis les années 90, tout le monde devient soit-disant Alzheimer parce que ça rassure les familles. Les gens préfèrent croire que leurs parents souffrent d'une maladie plutôt que d'accepter la déchéance qui accompagne la vieillesse. Ils s'entendent bien entre eux vos vieux? Franchement, non. Vous savez, la plupart n'ont pas choisi de finir ici. Ils arrivent chez nous à la suite d'une maladie ou du décès de leur conjoint. On ne peut pas mettre un grand gaillard de 60 ans qui perd un peu la boule au même étage qu'une petite dame de 80 ans en fauteuil roulant, parce qu'il risque de lui faire peur. C'est pour ça que j'ai créé plusieurs niveaux. Un pour les lucides valides, un pour les grabataires lucides, un pour les désorientés déambulant. C'est ce que j'appelle ma politique des ghettos.

Sinon, les gens qu'on a rencontrés sont plutôt cools… On a des gens adorables et on a aussi de vrais emmerdeurs. Il y a une dame qui a l'air toute mignonne. Elle se promène dans la cafétéria pour demander un euro et, avec la pièce, elle téléphone à sa pauvre fille pour l'insulter pendant des heures. Des fois, ça peut être plus grave, voire carrément violent : on a un monsieur qui a flanqué un coup de canne sur la tête d'un autre parce qu'il l'avait pris pour un cambrioleur. Celui qui avait le crâne ouvert ne se rendait même pas compte de la douleur. Et cette autre dame qui s'attaque aux infirmières maghrébines en leur disant : «Je vais vous montrer moi comment c'était la guerre d'Algérie». La plupart des personnes à qui l'on a parlé trouvent le monde d'aujourd'hui plus violent que celui de leur jeunesse pendant l'Occupation.

En fait, ils regardent la télé pendant des heures et ne perçoivent le monde extérieur qu'à travers elle. Pendant la première guerre du Golfe, on a fait un débat pour savoir ce qu'ils pensaient des événements et on s'est rendu compte qu'ils avaient très peur des avions qui survolaient la France pour aller bombarder l'Irak. Ils s'imaginaient que les bombes étaient accrochées avec du fil de fer et que donc, elles pouvaient leur tomber dessus comme en 40. Est-ce qu'il y a des histoires d'amour dans les maisons de retraite? On a des chambres pour les couples mariés, mais on a aussi des rencontres. Un jour, un homme et une femme sont venus me voir en me disant : «Monsieur le directeur, on voudrait vous demander une faveur : est-ce qu'on pourrait vivre ensemble». Les deux étaient un peu handicapés mais lucides. Je me renseigne auprès des infirmières et effectivement, le monsieur descendait régulièrement voir la dame. Une chambre se libère, je les mets ensemble… Et là, je me suis tapé les familles. J'ai appris juste après, qu'en fait ils vivaient déjà ensemble dans un autre foyer et leur famille les avaient séparés. Ils les ont tellement bien séparés sans se consulter ces cons, qu'ils les ont remis dans la même maison. Mais euh… Ils ont des rapports sexuels?

Ben oui. On a une dame de 60 ans, elle est mongolienne—les Français disent trisomique—et bien, elle vient de découvrir l'amour. Ses parents qui ont 91 ans sont très choqués. Quand ils se sont pointés, le gars était dans le lit. Pour eux, leur fille ne savait pas ce qu'elle faisait. Donc, c'est que le monsieur profitait. La fille, elle, elle savait très bien exprimer que c'était bien agréable. Ils avaient une relation normale de couple. Mais bon, il y quelque temps, on avait un monsieur qui baissait son pantalon tous les soirs et faisait le tour des onze autres chambres de son étage. Waow! Et les onze étaient partantes? Bon, parfois on est à la limite du viol. Disons que certaines femmes n'étaient pas en capacité d'exprimer une vision claire de la situation. Lui non plus d'ailleurs, lui, il était primaire. Certaines résidentes l'aimaient bien, parfois elles me disaient: «Il ne vient pas me dire bonne nuit le monsieur?». Le problème c'est de gérer ce genre de situation au cas par cas, mais c'est jamais très simple à aborder avec les familles. Finalement, ça pose plus de problème aux familles? Sommes nous toujours très clairs par rapport à la sexualité de nos parents? En général, on préfère ne pas en entendre parler, non? Et bien, ce genre de choses, ça ne s'arrange pas avec l'âge.