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LE NUMÉRO 1994

Circuit electric

À l’heure où je te parle, je suis en train de déguster le nouveau LP d’Autechre sur mon walkman Sony flambant neuf, et je réalise hébété...

À l’heure où je te parle, je suis en train de déguster le nouveau LP d’Autechre sur mon walkman Sony flambant neuf, et je réalise hébété que c’est la musique la plus inventive et fascinante que j’aie entendue depuis que j’ai remisé au placard mes chemises à carreaux. Sean Booth et Rob Brown ont accompli un chef-d’œuvre. Il n’y a pas d’autre mot pour qualifier un tel monument ; ce duo est en train de révolutionner la musique en développant un sens de l’espace et de la texture sonore littéralement jamais entendu. À la fois contemplative et trépidante, cette musique extraterrestre parvient à faire naître des émotions humaines à partir d’un univers purement machinique. Des percussions métalliques gavées de flanger s’agrippent à des nappes ambient glaciales qui viennent ramper sous l’épiderme, des vagues de BPM désarticulées s’échouent contre des parois mélodiques qui font des bulles dans le corps et le cerveau… C’est tellement beau que j’en ai les larmes aux yeux. Je ne vois guère que le prolifique Richard D. James, alias Aphex Twin, pour rivaliser de créativité avec ces génies. Le maxi Analogue Bubblebath 4, le double LP Caustic Window (un de ses pseudos) et le volume 2 de ses Selected Ambient Works comptent parmi les incontournables de l’année, ça me donnerait presque envie de déménager au fin fond des Cornouailles tellement c’est inspiré. Après l’incontournable vague de Détroit, c’est en Angleterre que le vent a l’air de tourner : dans le sillon de l’« intelligent jungle » de Photek (procure-toi illico son EP Natural Born Killa pour te faire une idée), il faut s’attendre à une tornade de breakbeat épileptique dans les années à venir. Ça risque de vite devenir chiant, cela dit, vu que tout le monde ne joue pas dans la même cour qu’AFX. De ce côté-ci de la Manche, on a deux petits inconnus prometteurs qui débarquent en force dans la bleepy techno binaire. Leur maxi The New Wave, pas foncièrement subtil mais idéal pour le climax d’une rave qui dépote, a toutes les chances de faire un carton chez les DJ’s assoiffés de sang frais. Rendons grâce à ces deux gamins ­progéniques d’avoir laissé béton le shoegazin’ moisi pour commettre de la house filtrée qui ­tabasse et se renommer Daft Punk (« punk débile », waouh, ça c’est suicidaire comme j’aime). Sache que tu as échappé à un énième disque de fiottes noisy-pop répondant au doux nom de Darlin’. Et pour une fois que des Français donnent dans autre chose que l’alternos-guinguette pour fête de la Bière, je dis chapeau. The Sound Your Eyes Can Follow de Moonshake (oui, comme l’illustre morceau de Can) est sans nul doute l’un des albums les plus visionnaires de l’année et le premier disque de pop anglaise « 100 % ­guitar free ». Côté instrumental, on a l’impression d’entrevoir un peu ce que sera la musique du futur : un sampler qui dégueule des loops de free jazz sur des rythmiques post-punk concassées et de grasses lignes de basses dub héritées de P.I.L., tandis que le chanteur David Callahan, aux trémolos geignards un peu saoulants à la longue, fulmine avec un dandysme brechtien sur les ravages du capitalisme et prophétise l’avènement d’un gros boxon universel, comme si on revivait la crise de 1929 et la pandémie de grippe espagnole. L’album Spasm Smash XXX0X0X Ox and Ass du combo américain Truman’s Water est le genre de truc dont je n’arrive pas bien à cerner si c’est une daube indie-slacker-arty-deviant ou un summum de génie free-rock-dada-bordélique. Ces joyeux tarés beuglards feraient passer Sonic Youth pour Abba et Pavement pour les Frères Jacques. Je me suis retrouvé à improviser avec eux l’autre jour dans un squat et je vous confirme qu’ils jouent aussi bien que moi de leurs instruments. Si la personne qui a enregistré cette session sur son quatre pistes retrouve la cassette, merci de bien vouloir la jeter dans la Seine avec un gros caillou attaché au bout. Il y a un truc que j’aime bien avec le harsh noise importé du pays du Soleil Levant, c’est qu’on n’est jamais déçu. Il y aura toujours un mec soi-disant normal (un voisin, en général) pour te prendre pour un taré psychopathe, et un cercle d’amateurs éclairés qui goûtera cela comme on savoure un whisky de 12 ans d’âge. Comme j’ai des ami(e)s dans les deux camps, je ne voudrais froisser personne en disant que j’ai un petit faible pour le massacre sonore ultra violent de Vaginal Disco du taïwanais Killer Bug. Le seul hic, c’est que lorsque j’essaye de passer ce truc-là à ma copine, elle menace de me larguer sur le champ. Ne vous laissez pas impressionner par le séduisant artwork bondage, les geeks du harsh noise sont juste des êtres solitaires et mal aimés, souvent violentés dans leur jeunesse. Pitié, achetez leur cassette ou ils finiront comme le serial killer qui sévit ces jours-ci dans l’est parisien. AUTECHRE – Amber (Warp)
APHEX TWIN – Selected Ambient Works 2 (Warp)
AFX – Analogue Bubblebath 4 (Rephlex)
CAUSTIC WINDOW – Caustic Window (Rephlex)
PHOTEK – Natural Born Killa (Metalheadz)
DAFT PUNK – The New Wave (Soma Quality Recordings)
MOONSHAKE – The Sounds Your Eyes Can Follow (Too Pure)
TRUMAN’S WATER – Spasm Smash XXX0X0X Ox and Ass (Homestead)
KILLER BUG – Vaginal Disco (Mother Savage Noise Productions)