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Les dangers de l’exposition professionnelle aux substances psychotropes

Parfois, le type qui se prend pour une fougère est aussi l’employé du mois.

Lorsque l'on manipule des psychotropes puissants, que ce soit dans un cadre professionnel ou dans un cadre illicite, le risque d'une exposition accidentelle existe. Rétrospectivement, les chimistes se disent que ce risque peut toujours être limité grâce à des précautions de sécurité adéquates, mais au-delà des beaux principes, on sait que l'exposition accidentelle advient même chez les plus aguerris.

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L'absorption involontaire de composés psychoactifs a une longue histoire d'accidents hasardeux derrière elle. C'est en ingérant du LSD-25 (LSD) par mégarde que le chimiste Albert Hofmann a découvert ses propriétés hallucinogènes. (Cette découverte est d'autant plus importante que cette molécule extrêmement puissante se révèlera très utile pour la recherche biomédicale.) Des chimistes clandestins rapportent également avoir absorbé par inadvertance des substances psychotropes sur lesquelles ils travaillaient ; l'exposition au LSD est si fréquente qu'Oncle Fester, un auteur d'ouvrages de chimie clandestine très connu, multiplie les recommandations à son sujet dans Practical LSD Manufacture.

Augustus Owsley Stanley III, l'un des pionniers de la chimie clandestine aux Etats-Unis, a connu, malgré toutes ses précautions, des aventures malheureuses. « Il m'est arrivé à plusieurs reprises de disperser 2000 microgrammes de LSD dans ou à proximité de ma bouche. J'avais à peine le temps d'aller jusqu'au canapé pour m'asseoir. »

Le premier trip d'Albert Hofmann n'a pas été très reposant.

Certains chimistes peu prudents, ont pris l'habitude d'ingérer une petite quantité de LSD avant de travailler, dans le d'accoutumer leur corps à cette substance et ainsi de minimiser les effets d'une exposition accidentelle. Dans son ouvrage Lysergic, Krystal Cole raconte une expérience au cours de laquelle son partenaire, Gordon Todd Skinner, et quelques amis à elle, ont déplacé la verrerie d'un grand laboratoire de LSD en intégralité.

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Cole rapporte les propos de Skinner : « C'était plutôt difficile de conduire ces énormes camions alors que j'étais complètement perché. « Tu as reçu de la dose rien qu'en déplaçant la verrerie ? » demande Cole. « Bien entendu, » renchérit Skinner. « Les cristaux de LSD s'étaient insinués un peu partout. »

Skinner raconte également qu'un de ses amis, Gunnar, aurait été exposé après avoir ramassé une flasque qui aurait contenu une petite dose de LSD. Il en a subi les conséquences pendant plusieurs jours. Leonard Pickard, le propriétaire du labo, rapporte lui aussi plusieurs incidents de ce genre ; ce témoignage a été confirmé par Alfred Savinelli lors du procès de Pickard en 2003.

Selon une rumeur, ceux qui achètent et distribuent de grandes quantités de LSD provenant de « la Famille », un groupe semi-mythique de producteurs, doivent subir un rituel (le « thumbprint », où l'individu doit lécher son pouce, le plonger dans du LSD pur puis le lécher à nouveau) afin de prouver que « leur karma » est à la hauteur, c'est-à-dire leur capacité à se remettre d'une overdose potentielle sans abandonner leur marchandise. Les témoignages sur le thumbprint et l'exposition accidentelle sont légion sur les forums de discussion consacrés à la drogue, comme shroomery.org. Ou dans les concerts de The Grateful Dead.

Durant le thumbprint, l'individu dont on éprouve la résistance absorbe en moyenne 5-10mg de LSD, c'est-à-dire jusqu'à 50-100 fois la dose traditionnelle (autour de 50-100 µg). Il faut avoir la tête bien accrochée.

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D'ailleurs, les descentes de police dans les laboratoires clandestins ont, elles aussi, leur lot de dangers et d'incertitudes. La police n'est pas à l'abri d'une exposition accidentelle aux psychotropes, qui sont d'ailleurs fréquentes dans ce genre d'opérations. Tout un pan de la littérature en sciences forensiques est consacré à ce sujet. L'exposition professionnelle à la méthamphétamine est un sujet particulièrement à la mode car de très nombreux laboratoires de méthamphétamine sont concernés. Mais les laboratoires clandestins, eux, passent sous le radar de ces études.

Dans un rapport, des officiers ayant participé à un raid dans un laboratoire clandestin expliquent qu'ils ont fait l'expérience de plusieurs symptômes gênants, dont des étourdissements, des céphalées, des démangeaisons, des crises de tachycardie, des épisodes de confusion et des hallucinations. Un autre officier, s'exprimant à la Convention des Brigades Anti-drogues de Californie, a informé ses collègues détectives sur le risque élevé d'exposition accidentelle : « Lavez-vous consciencieusement après avoir quitté le site et évitez absolument de toucher votre nez. » Il a ajouté qu'il fallait se méfier tout particulièrement des chimistes acculés par la police et tenant un récipient de verre à la main. De nombreux agents auraient déjà été blessés par de l'acide hydrochlorique, de la methylamine ou de la phéncyclidine.

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En 1988, un officier a été exposé au LSD (et sans doute à d'autres substances) durant le raid qui a permis de mettre fin aux activités du laboratoire californien de Leonard Pickard. Selon l'article de Peter Wilkinson intitulé « The Acid King » et publié dans le journal Rolling Stone, « quand les agents ont intercepté Pickard dans l'entrepôt, il les a mis en garde : 'si j'étais vous, j'éviterais de démanteler le laboratoire. Il est rempli de sales trucs. Il faut le brûler, et je ne préfère pas assister à la scène. Quelqu'un risque de se faire mal…' »

Les officiers ont refusé de prendre en compte cet avertissement, pensant qu'il s'agissait d'une tentative désespérée de Pickard de détruire les preuves qui auraient pu le mettre en cause. Pourtant, il était tout à fait justifié. Max Hauser, un agent du Bureau de lutte contre les narcotrafiquants, a reçu de la dose malgré sa tenue protectrice et son respirateur. Après plusieurs crises de convulsions, il a été hospitalisé. Il survivra, malgré des dommages cérébraux irréversibles.

« Je suis désolé que cet homme ait dû subir ça. Il m'est arrivé la même chose, et je ne portais pas de combinaison de protection, » explique Pickard à Rolling Stone, ajoutant que « l'exposition à des doses massives de LSD telle que l'on vécue les rares individus n'ayant aucune responsabilité dans sa distribution n'a pas d'équivalent dans un contexte clinique. »

« Je comprends que les psychiatres et les pharmacologistes rêvent de les interviewer, mais naturellement, c'est impossible. »

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Évidemment, les expositions accidentelles dangereuses ne sont pas l'apanage des substances psychoactives ; elles peuvent impliquer de nombreux composés bioactifs comme des matériaux radioactifs, des métaux lourds et des toxines, parfois avec des conséquences mortelles. Par exemple, l'exposition accidentelle au diméthylmercure a conduit à la mort tragique de l'éminente chercheuse et professeur de chimie Karen Wetterhahn, en 1997 au Dartmouth College. Selon la rumeur, deux gouttes de produit chimique dangereux seraient tombées sur ses gants, et auraient traversé le latex de ses gants avant de pénétrer la barrière de sa peau. Cinq mois plus tard, Wetterhahn aurait commencé à montrer des symptômes neurologiques préoccupants, avant de sombrer dans le coma. Elle est morte un an plus tard.

« J'ai passé la soirée à fixer le mur, en surveillant mes signes vitaux de temps à autres, gardant l'antidote de la kétansérine à portée de main. »

L'histoire de Wetterhahn est loin d'être un cas isolé. Le diméthylmercure a pris la vie de nombreux chimistes à travers l'histoire, dont deux chimistes anglais en 1865, et un chimiste tchèque dans les années 1970.

L'exposition professionnelle aux produits chimiques est un sujet extrêmement bien documenté, notamment en ce qui concerne l'histoire de l'industrie, de l'extraction minière et du commerce. Un cas particulièrement connu est celui de l'intoxication due à l'exposition au plomb tétraéthyle dans les laboratoires industriels. Elle provoque des épisodes psychotiques, dont des hallucinations, et a conduit entre autres à la mort de plusieurs employés du Standard Oil Laboratory, dans le New Jersey. La substance incriminée a été surnommée « le gaz qui rend dingue » à cause du comportement erratique qu'elle induit chez les individus concernés. Si le sujet de l'exposition aux agents chimiques vous intéresse, vous devriez taper « popcorn lung » dans Google pour un supplément de documentation.

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À titre personnel, j'ai eu la chance d'éviter l'exposition au diméthylmercure jusque-là. Il m'est déjà arrivé d'être plongé dans ce que j'appelle « des états de conscience alternatifs » deux ou trois fois en travaillant sur des composés psychoactifs lorsque je travaillais sur ma thèse. Ce phénomène est courant lorsque l'on travaille sur des hallucinogènes classiques, mais cela m'est déjà arrivé de me retrouver perché en manipulant des arylcyclohexylamines, que l'on trouve par exemple dans la kétamine ou le PCP.

Il est arrivé la même chose à l'un de mes collègues. « Il y a eu plusieurs événements de ce genre, dont la plupart étaient parfaitement imprévisibles. Une fois, après avoir travaillé avec quelques grammes de 5-MeO-AMT, je me suis retrouvé dans un état second pendant plusieurs jours. J'avais du mal à dormir. » Dans certains cas, il aura suffi de sentir ou de goûter très légèrement un produit contenant du LSM-775 et du 25N-NBOMe pour ressentir des effets inattendus. « Il m'est arrivé une fois de manipuler innocemment du 25N-NBOMe, sans me douter que quelques heures plus tard, sur le chemin de la maison, les passants allaient soudainement prendre l'apparence des personnages du Jour des Morts au Mexique. Doc Ellis peut peut-être jouer au baseball sous LSD, mais moi, le jour suivant, j'ai posé un congé. »

« J'ai passé la soirée à fixer le mur, en surveillant mes signes vitaux de temps à autres, gardant l'antidote de la kétansérine à portée de main, » poursuit-il. « J'ai eu la chance de me rétablir assez vite. Même si l'expérience a été intéressante, d'une certaine manière en tout cas, désormais je redouble de précautions lorsque je travaille avec des produits aux effets psychotropes. »

Même si les symptômes d'une exposition sont généralement peu ambigus, dans certains cas, on peut se demander si les effets ressentis ne sont pas à l'effet Placebo. Si l'on part du principe que la substance incriminée n'est jamais absorbée intentionnellement, il est impossible de déterminer avec certitude si elle a effectivement été absorbée. Dans son ouvrage, PIHKAL, Alexander Shulgin, le brillant chimiste qui a découvert des centaines de substances psychotropes utilisée en biomédecine et en thérapeutique, décrit une expérience au cours de laquelle il a cru être exposé à une nouvelle amphétamine, ALEPH. Shulgin explique qu'il a ressenti « une excitation étrange, survoltée, au moment de l'isolement et de l'analyse du produit. »

Après avoir raffiné sa connaissance d'ALEPH, Shulgin a finalement conclu « qu'il ne s'agissait probablement que d'une réponse placebo, » non sans avoir nettoyé le laboratoire de fond en comble, au cas où. Évidemment, les effets placebo de ce type sont fréquents ; mais le fait qu'un psychotrope puisse affecter votre esprit à distance n'en est que plus fascinant.

Lors de la rédaction de cet article, je me suis entretenu avec le chimiste clandestin Casey Hardison, qui a longtemps travaillé avec du LSD et du 2C-D. Même si Casey est persuadé qu'il n'a jamais été exposé, il décrit avoir déjà vu « des vapeurs de LSD. » Curieux. Évidemment, il ne saura jamais avec certitude s'il s'agissait bien d'un effet placebo, même s'il en fait régulièrement l'expérience. « Parfois, lorsque je me tiens à côté d'une quantité de LSD plus importante qu'à l'ordinaire, je me sens un peu bizarre. » Il compare cet effet à « l'action fantôme à distance » de l'intrication quantique. La métaphore est inadéquate d'un point de vue physique, mais pourtant, elle décrit parfaitement bien le pouvoir mystérieux du LSD sur notre esprit.

Jason Wallach possède un doctorat en pharmacologie et en toxicologie. Ses recherches portent principalement sur la caractérisation analytique des substances psychoactives et sur l'utilisation des psychotropes en pharmacologie.