Au paradis de G Perico

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Au paradis de G Perico

Un après-midi en compagnie du nouvel espoir du gangsta rap de L.A., entre violence, passion, rédemption... et mise en plis.

Photos : The1point8 / Instagram G Perico trouve qu'il est sous le sèche-cheveux depuis un peu trop longtemps. Il n'est qu'à la moitié du temps nécessaire pour obtenir une parfaite Jheri curl (3 heures) et commence déjà à saturer. Avec précaution, il se tourne vers Dana Dane, la boss du Dana Dane's Hair Connection, le salon d'Inglewood dans lequel il se trouve cet après-midi.

« Hey ! », lui lance t-il. « Ça fait assez longtemps, nan ? »

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Dana s'avance vers lui, glissant lentement sur ses UGG.  « Tu brûles, bébé ? » demande t-elle, en remettant les rouleaux en plastique en place avant de baisser la température et de le caler à nouveau dans son siège. « Il faut souffrir pour être beau. »

« Mes OG's se foutaient tout le temps de moi, ils me traitaient de 'pretty ass nigga.' J'avais un truc à prouver rien qu'à ce niveau-là » soupire le rappeur de 28 ans. Il porte un sweat à capuche zippé gris et un T-shirt « Fuck The Police », un look lambda, sans effort, « résolument street » diront certains. Il dépose un cachet de BC Powder sur sa langue et enchaîne : « J'ai grandi sur la 111ème entre Main et San Pedro, une grosse cité. Mon cousin a sauté le pas avant moi. Il a la peau foncée, j'ai la peau claire. Ils pensaient tous qu'il allait être le fils prodigue du quartier. Mais finalement, ça a été moi. »

C'est arrivé il y a quelques mois à peine et qui plus est dans le rap, un secteur où ses homies ne l'attendaient pas forcément, vu qu'il était plutôt du genre à participer aux histoires de rue et pas vraiment à les raconter. Même s'il a timidement sorti quelques mixtapes, ici et là, depuis 2012, ça a été Shit Don't Stop sorti l'an dernier qui a attiré l'attention de la rue et de la critique. Des mélodies de piano hantées et mélancoliques sur lesquelles il rappe de sa voix nasillarde avec une urgence telle qu'on a parfois l'impression qu'il hurle (en fait, il nous confirme que ce n'est pas une impression : il hurle vraiment). Tous l'ont instantanément désigné comme le nouvel espoir d'un genre laissé pour mort il y a près d'une décennie : le gangsta rap. Depuis il a reçu des appels du parrain d'Atlanta, Coach K, et est managé par Tavon « Pun » Alexander, sidekick de Seaside Stretch, le premier manager de Mac Dre. Il traîne avec Freddie Gibbs et Leonardo Dicaprio. Curren$y a même dit de lui qu'il était son rappeur préféré.

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Tout s'est passé de manière totalement naturelle pour G Perico. Pas de stratégie, pas de plan d'attaque. Mais s'il en avait eu un, ça aurait ressemblé à quelque chose du genre : 1/ éviter à tout prix d'imiter le son strip-club des premiers disques de YG et DJ Mustard (l'écueil de la plupart des nouveaux rappeurs de L.A.), 2/ puiser son inspiration chez des rappeurs plus vieux et largement reconnus comme WC & Suga Free, 3/ tremper son beat dans la sauce G-funk, et 4/ conter la vie d'un gangster avec des détails hypercaliforniens comme les courses à 200 km/h sur la voie express, les expéditions punitives de gangs, les essaims de ghetto birds et un peu de name-dropping à l'ancienne (comme le Fox Hills Mall, premier mall californien sur trois étages construit en 1975).

« Je n'avais pas prévu de devenir rappeur. Mon plan, c'était de rester dans la rue », affirme Perico. « À une période de ma vie, je ne pensais même pas que j'allais vieillir—et je m'en tapais. »

« I'm an uncut G, I ain't no rapper » n'est pas une simple punchline (extraite de son titre « South Central »). Sa Jheri curl ne fait pas partie d'un plan marketing. Son attrait pour les flingues l'a conduit deux fois en prison, et durant l'année de sa seconde peine, les matons l'ont tellement savaté qu'il a cru qu'il allait devenir aveugle. Perico est affilié aux Broadway Gangster Crips, le gang qui a fait la une de journaux nationaux en 2014 lorsque 72 de ses membres ont été nommés dans un rapport fédéral de 213 pages sur le racket à grande échelle. Il n'a jamais été salarié, ni employé, à trimer de 9h à 17h, il n'a d'ailleurs jamais postulé non plus à quelconque job que ce soit.

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Être 100 % G a son prix. Un soir de mars 2016, on lui a tiré dessus aux abords de son studio de Los Angeles. Une balle l'a touché à la hanche, une autre lui a éraflé le dos. Et même si ça lui a valu de laisser un peu de sang sur scène, Perico a assuré le concert qu'il devait donner ce soir-là au Roxy. Comme il le dit : « Tu ne t'arrêtes pas pour tirer 30 balles si tu veux juste me faire peur. »

La réception provoquée par Shit Don't Stop l'a impressionné, même s'il a été brièvement irrité par le 7.5 que lui a attribué Pitchfork. « Je faisais juste ça pour mon hood. Je ne m'attendais pas à une telle exposition » avoue t-il. Maintenant, il réalise qu'il a vraiment une chance de laisser son passé de gangster derrière lui, et ce n'est pas seulement lui qui va en bénéficier, mais aussi sa fille de six ans. Un tournant qui arrive pile au moment où la plupart de ses meilleurs potes sont morts, ou purgent de lourdes peines en prison.

« Parfois, il m'arrive de lutter contre moi-même, j'étais tellement amoureux de la rue… J'ai toujours ce truc en moi, ce besoin d'adrénaline. Bordel, est-ce que je suis en train de tourner le dos à tout ça ? Est-ce que je fais le bon choix ? » explique t-il. Il fait une pause, et regarde autour de lui. « Putain, Je parle comme un drogué. »

Perico nous ouvre la porte de son spacieux duplex d'Hollywood Hills, torse nu, ses cheveux bientôt défrisés en queue de cheval. Grimper jusque chez lui n'est pas tâche évidente, mais quand on mène une vie comme la sienne, il est important de vivre dans un endroit difficile d'accès—on est ici à des lieues, au sens propre comme figuré, du hood de Perico. « Mon quartier est un désert » nous dit-il, alors que nous admirons la végétation luxuriante de la colline. « Pas de magasins, pas de bonne bouffe, que dalle. J'aimerais y rester, mais ça ne vaut rien. » Sa dernière peine de prison, il la doit à ce quartier, justement. « J'ai été pris avec une arme, alors que j'étais ancien détenu. L'arme n'était pas à moi, j'étais juste dans la même pièce. Mais je ne pouvais pas balancer. C'est le code G. Aujourd'hui, je ne pourrais plus retourner là-bas et risquer ce genre d'embrouille. J'ai trop de valeur. »

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Au sous-sol, juste sous sa chambre, se trouve un de ses studios. Il est quasi-vide, au fond de la pièce, on voit un tableau noir sur lequel sont listés les titres d'un projet sans titre prévu pour le printemps prochain. Sur un coin de la baie vitrée, on peut lire « Broadway Gangster Crips » griffonné sur la buée par Perico, le même type de graffiti qui orne la pochette de Shit Don't Stop.

« J'ai été très tôt habité par la rue. Elle était faite pour moi. Je n'ai jamais voulu être autre chose » se confie t-il. « Cette merde m'a choisi, mais il faut l'accepter en retour. Et je l'ai accepté. »

Né Jeremy Nash, son père « entrait et sortait continuellement de taule » et il n'a jamais eu de réelle connexion avec sa mère. Il vivait chez sa grand-mère et a tissé des liens forts avec elle. « C'était une hustler » lance t-il, « elle tirait les cartes à la maison ! »

Fils unique, il était observateur et adorait construire des maquettes de voitures, puis il s'est vite mis à voler des vélos et son talent pour le dessin a commencé à s'exprimer davantage sur les murs que sur le papier. Son cousin n'avait que dix ans quand il a commencé à traîner avec des mecs de gangs. Perico a, lui, attendu l'âge de 13 ans lui, et il a dû rattraper le temps perdu. Il a aussi dû compenser son manque de passif. Alors que la plupart des kids de son âge avaient des arbres généalogiques marqués par les gangs, lui et son cousin étaient orphelins en la matière.

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« Mon cousin y est allé à fond. Moi, j'avais juste un oncle du quartier qui était en prison, mais je n'avais aucun nom à mettre sur le tapis » se souvient-il. « Je suis arrivé lors des dernières années vraiment violentes. Tout ce qu'il fallait faire dans la rue pour se construire une réputation, je l'ai fait. »

Ce qui lui a évidemment valu d'être conduit au tribunal pour mineurs et d'être placé dans des lycées sous haute sécurité, mais aussi et surtout d'étendre son réseau et ses connaissances en matière de criminalité. « J'ai évolué là-dedans. Je ne connaissais personne. Je me suis alors tourné vers les gangbangers » raconte t-il. « Faire de l'argent, avoir de la notoriété. Il n'y a rien de mauvais dans le fait d'aller en prison. Ils nous conditionnent à penser comme ça. »

Durant ces années, Nash n'avait clairement pas le temps pour la musique. Il écoute désormais des rappeurs de l'âge d'or car il ne veut pas piquer accidentellement le style de ses contemporains, mais il préfère surtout le R&B et le New Jack Swing. « Christopher Williams, 'Don't wake me, I'm dreamin' », il se met à chanter, inclinant le siège de sa BMW flambant neuve. « Je réfléchis beaucoup, alors j'écoute des trucs doux. »

Persuadé qu'il serait mort avant ses 20 ans, Nash ne s'est jamais vraiment intéressé au futur. Son premier passage derrière les barreaux à la fin de son adolescence n'a pas changé grand-chose à ça (« c'était comme une réunion d'anciens élèves ! »), mais les évènement survenus au cours de sa deuxième sentence l'ont sévèrement secoué.

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Le jour-même où il a été arrêté pour possession d'arme, sortait The Innerprize, qui a eu son petit succès dans le quartier, dû à sa popularité dans la rue. A peine arrivé à l'accueil, il a appris que son meilleur pote, qui était aussi l'un de ses plus grands soutiens dans la musique, avait été tué. Après avoir été tabassé par les surveillants, Nash s'est retrouvé affecté à une section où les détenus étaient tous là pour 10, 20 ans, voire perpétuité, et c'est là qu'il a soudain réalisé ce à quoi il avait échappé. Aujourd'hui, il a une fille, des responsabilités. Il ne peut plus jouer avec sa vie alors que tant d'autres l'ont perdu. Son compagnon de cellule, qui avait la cinquantaine, ne déconnait qu'à moitié lorsqu'il lui a dit à sa sortie : « Si je te recroise en prison, je te plante. »

Son retour au bercail a coïncidé avec la sortie du rapport sur les Broadway Gangster Crips. Des centaines d'agents du FBI ont fait une descente dans le quartier où Nash avait grandi, il a découvert que des personnes (pensait-il) de confiance l'avaient balancé. Il était désormais seul avec sa fille.

« En une année, tout a changé. Tout mon crew était sur le banc de touche. Les gens avec qui je me sentais à l'aise étaient partis ou défoncés. J'étais dos au mur. Je n'avais plus le choix. Ce dernier séjour en prison m'a sauvé la vie. » Tapotant sur ses boucles avec une serviette en papier, Perico est confortablement assis dans sa voiture, traversant le quartier Blood où il a failli se faire assassiner quand il avait 14 ans.

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« Un tas d'histoires et de merdes me sont arrivées, plus qu'aucun autre artiste de LA. Je le sais pertinemment », dit-il en me lançant un clin d'oeil.

La pire de ces histoires a eu lieu il a bientôt un an. Cette nuit où il était au studio pour mixer « Bout It », qu'il devait terminer pour la bande originale du film Meet the Blacks. En sortant du studio vers 3 heures du matin, un assaillant a ouvert le feu sur lui. « Je n'arrive pas à croire que j'ai échappé à cette fusillade. Ils m'avaient à leur botte. Ils ont tiré tellement de fois, je me disais 'putain, mon compte est bon'. J'attendais qu'une balle me touche », se souvient t-il. « Je ne devrais même pas être vivant. »

Malgré les circonstances, son hood séduit. Et Perico aimerait pouvoir téléporter les gens dans son quartier grâce à sa musique. Ce serait sa plus grande satisfaction.

« S'ils peuvent écouter ta musique, comprendre ce que tu vis et participer ? Naturellement, ils vont kiffer. Tout le monde avait la sensation de déambuler dans Compton avec Dre. Pareil avec Snoop, Game, le premier album de YG. Les mecs réussissaient à t'immerger dans leurs vies », conclue t-il. « Si je peux ramener quelques enfoirés à L.A., ils kifferont c'est certain. »

Rebecca Haithcoat est sur Twitter.