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LE NUMÉRO FICTION 2011

Quelques roustes bien méritées en littérature

La justice de rue est une denrée rare dans la littérature. Le royaume du livre est statique et immuable, contrairement à son compagnon le monde du cinéma...

PAR WILLIAM B. FUCKLEY JR. ET CLOTTY KOPPLEMAN

a justice de rue est une denrée rare dans la littérature. Le royaume du livre est statique et immuable, contrairement à son compagnon le monde du cinéma : les personnages de film, eux, évoluent et s’érodent – il y aura toujours une chance, même infime, pour que le mec que vous détestez dans un film se fasse défoncer gratuitement dans une suite ou un remake. Ce n’est pas le cas des personnages de roman. Si vous voulez voir Pip, Puck, Poirot ou Portnoy se faire corriger par des gars qui ont un minimum de

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street cred

, il va vous falloir écrire ce passage implacable vous-même et le cas échéant, vous êtes un infâme amateur de fan fiction. Il arrive cependant, quelquefois, que ces personnages énervants se prennent une juste dérouillée. Voici nos mises à l’amende préférées.

JAMES BOND (CASINO ROYALE DE IAN FLEMING)

À la toute fin du premier James Bond écrit par Ian Fleming, le méchant nommé « Le Chiffre » tient l’agent 007 en otage, nu, ligoté à une chaise. Il lui latte les couilles depuis une bonne heure déjà. « Ce n’est pas seulement de te voir à l’agonie qui me plaît », lui dit Le Chiffre alors qu’il est en train de lui pulvériser les bourses, « c’est surtout le fait de savoir que ce qui fait de toi un homme est graduellement en train d’être réduit à néant, et qu’à la fin, même si tu ne hurles plus, de savoir que tu ne seras plus jamais un homme ». (Je me demande d’ailleurs si ce passage d’un morceau du Wu-Tang, «

Yeah I’ll fuckin’ lay ya nuts on a fuckin dresser/just lay your nuts on a fuckin’ dresser/and bang them shits with a spiked fuckin’ bat/wassup BLAAA!!!

 » est un genre d’hommage à cette scène, ou bien simplement un exemple de

familienähnlichkeit

). Juste au moment où le méchant s’apprête, couteau à la main, à administrer une vasectomie à notre maître-espion, un agent du SMERSH fait son apparition, botte le cul du Chiffre, et tatoue la lettre M dans la main droite de Bond. Bond ne tarde pas à se remettre de sa douleur aux couilles ; bientôt, il goûte de nouveau aux plaisirs de la chair dans les bras d’une femme nommée Vesper, avec laquelle, selon lui, le sexe a toujours eu « comme un arrière-goût de viol ».

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BUCK (L’APPEL DE LA FORÊT DE JACK LONDON)

Buck, un genre de gros chien de berger de type Saint-Bernard, est kidnappé, vendu à des brutes en Alaska et réduit en esclavage. Parce qu’il se montre rétif à l’autorité, Buck doit être cassé. Et c’est ce qui arrive à l’occasion d’un court passage plutôt brutal qui se solde par l’image du gros chien de 80 kilos boitant dans la ­toundra, gémissant. « Buck demeure à terre, haletant ; le sang dégoutte de ses narines, de sa bouche, de ses oreilles ; son beau poil est souillé d’une écume sanglante. » Apparemment, ça a marché. « Buck, vaincu, venait d’apprendre une leçon qu’il n’oublierait de sa vie : c’est qu’il ne pouvait rien contre un être humain armé d’une massue. » Là, on devrait ajouter une didascalie qui dirait : « Trop dur, mon pote ! » Parce que bon, Buck n’aura malgré tout jamais à se soucier des problèmes d’emprunt, d’assurer sa voiture, de se méfier des voleurs, de penser aux vêtements, au cyber-espionnage, à la bouffe, à l’inflation, aux magouilles en politique, aux gangs de rue, à la super grippe, à la guerre nucléaire ou à l’énorme supernova qui risque de tous nous annihiler très bientôt. Note ça quelque part, mon pote : on a tous des problèmes.

HOLDEN CAULFIELD (L’ATTRAPE-CŒURS DE J.D. SALINGER)

Maurice, l’employé d’ascenseur et maquereau de l’Hôtel Edmont, botte le cul du plus grand pleurnichard de l’histoire de la littérature alors qu’il est en pyjama, avant de le propulser hors de la chambre et de lui souffler dans les bronches comme dans un vieux tuba. Pire, Maurice continue d’appeler Holden « chef » alors qu’il est en train de lui latter la gueule – Tiens ! Celle-là, elle était pour John Lennon. Vous aussi vous auriez eu envie de chahuter Holden si vous aviez dû écouter ses incessantes complaintes à propos des objets « vomitifs », des choses « nazes » et des gens « faux », sans compter le fait qu’il essaie de nous convaincre de manière subliminale de tuer hommes politiques et célébrités. Ouais, Holden, celui qui passe ses journées à fumer, boire, et à aller voir des pièces de théâtre dans le Manhattan des années 1950 : il fait aujourd’hui figure de grosse flipette en ces heures postnucléaires, où il est illégal de se réunir à plusieurs, où nos écoles sont contaminées par la guerre des races et où aucun enfant n’a jamais connu la vie en extérieur. Est-ce que Holden Caulfield a déjà dû gagner sa vie en « travaillant » en tant que « suceur de bite » dans un camp de réfugiés souterrain de Los Gatos ? Est-ce que sa jeunesse a été volée par la Loi de castration obligatoire ? Connaît-il les affres du manque de jenkem ? C’est une bonne chose d’avoir froissé le cœur de ce petit blanc, histoire qu’il ait de quoi chialer pour de vrai.

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SALADIN CHAMCHA (LES VERSETS SATANIQUES DE SALMAN RUSHDIE)

Un avion détourné explose en plein milieu de la Manche, déversant des cadavres un peu partout « comme des bouts de tabac tombant d’un vieux cigare brisé ». Les acteurs indiens Gibreel Farishta et Saladin Chamcha tombent dans l’eau, voguent sur quelques kilomètres et se réveillent sur la plage. Comme si tout cela n’était déjà pas assez bizarre, Gibreel se transforme alors en ange pendant que le pauvre Saladin se métamorphose en diable-chèvre. Notre démon est ensuite promptement expulsé d’un fourgon en marche par des flics aussi peu concernés par la vie de ce triste ­mammifère que par celle d’un « Paki » entré sur le territoire illégalement. À partir de là, tout n’est plus qu’ultra-violence, puisqu’on retrouve Saladin en train de se faire latter les côtes, le visage et les burnes, des visites sont rendues à « différentes parties de son anatomie » et on le force à manger sa propre merde, « douce et caillouteuse ». Mais au contraire des autres roustes historiques administrées à des êtres socialement vulnérables (Oncle Tom, Gudrun dans

Femmes amoureuses

, et les innombrables volées que se prend Janie dans

Une femme noire

), cette violence est désamorcée par tellement d’allégories, d’allusions et d’impénétrables mots d’esprit d’outre-Oural qu’elle est aussi plaisante qu’un après-midi passé à mater des rediffusions des

Tortues Ninja

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sous Stilnox. Et c’est pour ce truc que Rushdie a été condamné à mort ?

HUCK FINN (LES AVENTURES DE HUCKLEBERRY FINN DE MARK TWAIN)

Ni dieu, ni maître, ni pantalon étaient les maîtres mots de tout aventurier du Missouri dans les années 1930, une époque où les enfants se prenaient souvent des portes dans la gueule, des portes appelées « Pap ». À l’âge d’or de la maltraitance en Amérique, les gosses pouvaient se faire passer à tabac pour avoir piqué une Gitane maïs à leur géniteur, pour s’être chopé la variole, pour être trop « délicat » pour se choper la variole, ou pour aucune raison du tout. L’alcoolique qui tient lieu de père à Huck gueule qu’il ne votera plus jamais parce que les Noirs ont acquis le droit de vote en Ohio. Il se met à taper sur la gueule de Huck pour la simple et bonne raison qu’il va à l’école pour apprendre à lire et écrire. C’est difficile de ne pas être du côté de Pap sur ce coup-là. C’est pas en lisant qu’on trouve un job. Après avoir lutté des plombes avec le juge Thacker pour récupérer son fils, Pap l’emmène dans un endroit où la loi ne s’est jamais ­aventurée, sa cabane dans les bois, puis passe un mois à le dérouiller puis à le laisser méditer tout seul, alternativement. De retour à la baraque, Pap se remet à gueuler sur le « gouvernement » et « les négros », se ­bourre la gueule à coups de mauvais whisky et, armé d’un couteau, chasse Huck de chez lui en l’appelant « l’Ange de la Mort ».

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LE MONSTRE DE FRANKENSTEIN (FRANKENSTEIN DE MARY SHELLEY)

Les zombies de George Romero n’ont jamais été aussi acariâtres et geignards que le monstre de Frankenstein. Et je ne me rappelle pas avoir vu Dracula, le Loup-garou, la Momie ou l’Étrange Créature du lac Noir s’apitoyer sur leur sort pendant des heures. Restons-en aux faits. Dans le XIe chapitre, le monstre s’introduit dans la maison du berger et engloutit son petit-déjeuner constitué de pain, de fromage, de lait et de vin. Oui, c’est bien d’un vol qu’il est question. Puis il se promène dans un village, complètement ivre, et se retrouve « gravement blessé par les pierres et les autres projectiles qu’on [lui] lançait » (dans la version complète de 1838, Frank se fait bombarder de sacs-poubelles, de couches et de blocs de béton, et quelqu’un finit même par l’assommer avec un siège de toilettes). Au lieu de s’arrêter pour réfléchir sur son crime, le monstre passe tout le reste du livre à se plaindre à qui veut l’entendre des « villageois barbares ». Par conséquent, le livre est vu comme un témoignage d’intolérance. Alors qu’en réalité, la morale se contente de dire qu’un berger est en droit de manger ses repas en paix sans qu’un connard de monstre accro à la junk food ne débarque.

LE COMTE DE GLOUCESTER (LE ROI LEAR DE WILLIAM SHAKESPEARE)

Après qu’Edmond l’a dénoncé, le Duc de Cornouailles attache le Comte de Gloucester sur une chaise. La femme de Cornouailles, Régane, lui tire la barbe. Cet acte était vu comme une grave insulte pendant le règne de Jacques 1er d’Angleterre, tout comme au temps de Jésus de Nazareth, et encore aujourd’hui dans la ville de Boulder, Colorado. « Je vais mettre mon talon sur tes yeux », commente Cornouailles en ajoutant « être aveugle » sur la liste des problèmes de Gloucester. Avant qu’il n’ait le temps d’extirper le deuxième globe, son fidèle serviteur le somme d’arrêter. Cornouailles, provoqué, tire son épée et entame un duel avec lui. Régane emprunte une épée à un autre serviteur et achève l’adversaire de son mari. Cornouailles se retourne vers Gloucester et lui arrache son deuxième œil en disant : « À bas, vile gelée ! Où est ton lustre, à présent ? » Face à une telle éloquence, l’œil de Gloucester n’a plus qu’à fermer sa gueule.

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HIPPOLYTE (HIPPOLYTE D'EURIPIDE)

La vie était plutôt cool pour Hippolyte jusqu’à ce qu’il découvre que sa belle-mère, Phèdre, veut le baiser. Au tout début, il se dit, « hein, quoi ? » puis, après réflexion, « mouaif, non », ce à quoi elle répond, « plus tard, alors ». Vu que la pièce se déroule en 428 avant J.-C., Phèdre rédige une tablette de suicide où elle accuse Hippolyte de l’avoir violée, puis elle se pend. Thésée, le père d’Hippolyte, revient à la maison. Il pleure sur le cadavre de son aimée et demande à son père Poséidon de maudire son fils. « Poséidon, mon fils est un connard doublé d’une pute. Ô Dieu des mers, tue mon enfoiré de fils ! » Poséidon fait donc sortir un taureau des flots, qui effraie les chevaux tirant le char de son enfoiré de fils. Ces derniers se mettent à fuir, paniqués, traînant le corps d’Hippolyte, ecchymosé, cassé et vite réduit à l’état de burger. Hippolyte est genre, « FAITES GAFFE À MON PANCRÉAS !!! » et implore ses fidèles destriers de l’épargner, mais ces derniers ne l’entendent pas et s’ébrouent, se cabrent et mutilent son corps sur les rochers de Trézène. Artémis contacte Thésée afin d’innocenter Hippolyte. Et là, Thésée est genre, « putain, je voulais pas le tuer, le

tuer

quoi ». Contrairement à

Œdipe roi

qui dépeint l’inceste comme une tragédie, Hippolyte la présente comme une tragédie qui aurait pu être évitée. Si Jim Morrison avait lu

Hippolyte

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, il aurait peut-être chanté : «

Stepmother ? I want to… MY PANCREAS!!!

 »

BUNNY HOOVER (LE BREAKFAST DU CHAMPION DE KURT VONNEGUT)

Bunny Hoover, fils de l’homme d’affaires Dwayne Hoover, est un « homosexuel notoire » qui joue du piano dans un Holiday Inn. Il est plutôt rafraîchissant de constater que la rouste que se prend Bunny n’est pas un crime homophobe, c’est juste un accès de délire psychotique de son père. Ce n’est pas le pire passage du bouquin, mais clairement le plus dramatique. Dwayne roule la tête de son gosse « comme un melon le long des touches du piano ». Plus tard, dans l’ambulance, on lit que le visage de Bunny est « méconnaissable, même en tant que visage ». C’est tout aussi rafraîchissant de voir que la raclée de Bunny Hoover a lieu en présence de son auteur. Vonnegut s’immisce dans la narration afin de montrer explicitement qu’il veut assister à ce témoignage de violence (et se fait même casser un orteil dans la mêlée). Même la flagellation du Christ – un classique du passage à tabac – n’a pas eu lieu en présence de son architecte. Un écrivain endosse enfin la responsabilité de notre divertissement. Sans rancune Bunny, t’avais qu’à pas être un personnage de fiction.

JOB (LE LIVRE DE JOB, LA BIBLE)

La rouste de Job est particulièrement brillante car elle n’inclut aucun acte de violence. En fait, Dieu et Satan se servent de ce pauvre homme comme d’un cobaye, sans jamais lever la main sur lui. Les moutons, les chameaux et les serviteurs de Job se font mystérieusement brûler. Lorsque Job appelle le service d’assistance téléphonique aux fidèles, Dieu lui répond : « Mince Job, j’espère que tu étais assuré ? » Puis les dix gosses de Job se font écraser. Job se tourne vers Satan dans l’espoir d’attiser sa compassion et ce dernier lui rétorque : « Désolé Job, c’est dur, mais bon, tu sais ce qu’on dit, c’est la vie, t’auras plus de chance la prochaine fois. » Mise à l’épreuve, la foi de Job reste intacte. Amusé de cette dévotion qui a tout du masochisme, Satan le frappe d’un « ulcère malin » qui lecouvre de furoncles de la tête aux pieds. Dieu lui demande : « Aïe, ça a l’air de faire mal, tu as changé de savon récemment ? » Au lieu de se révolter, Job prend un tesson pour ­gratter les boutons répugnants qui fleurissent sur son visage, en espérant que tout finira par s’arranger. Cette histoire est un merveilleux témoignage de lâcheté qui illustre la loi du Talion avec finesse.

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JUDAS (L’ENFER DE DANTE ALIGHIERI)

Dante Alighieri s’est montré relativement ferme sur la simonie : qu’est-ce que t’arrives pas à comprendre dans l’expression « tolérance zéro » ? Oui,

La Divine Comédie

véhicule un message très fort contre la simonie qui inspire et conforte les jeunes qui se posent des questions sur la foi. Bien qu’on se soit tous mis d’accord sur sa condamnation de la sodomie, d’autres sujets qu’il aborde créent encore la polémique aujourd’hui : prenez par exemple sa position sur les pouvoirs temporels du Pape, son avis sur la prosodie italienne ou encore ses espoirs concernant la constitution d’un État florentin. Quant à Boniface VIII, il mériterait de se faire botter son gros cul, et je suis presque certain qu’une citation de Dante prouve qu’il pensait la même chose. Mais je suis certain que Dante et Boniface VIII auraient été d’accord pour affirmer que Judas Iscariote s’est sacrément chié dessus quand il a trahi notre Seigneur, et qu’il méritait la raclée la plus brutale de tous les temps. Dante a donc condamné Judas à se faire broyer par les trois bouches de Lucifer pour l’éternité.

LAOCOON (L’ÉNÉIDE DE VIRGILE)

Peu de temps après la livraison du cheval de Troie, un prêtre de Neptune nommé Laocoon soulève quelques objections ma foi pas trop mal vues : les Grecs sont des créatures retorses et fourbes ; le cheval est très probablement une machine « fabriquée pour franchir nos murs, observer nos maisons, et s’abattre de toute sa hauteur sur la ville » ; et y’a probablement une bonne poignée de Grecs planqués à l’intérieur. Ensuite, il démontre que le cheval est creux en plantant sa longue pique dans le flanc de la bête en bois. Mais Sinon, un guerrier grec dont la capture a été un peu trop facile pour être honnête, distrait la foule en racontant une histoire à faire pleurer dans les chaumières. Laocoon s’en va donc sacrifier un taureau à Neptune. Alors qu’il est occupé à tuer le pauvre animal, deux serpents munis d’yeux brillants « teintés de sang et de feu » sortent de l’eau, s’enroulent autour de ses deux enfants et se mettent à les bouffer. Laocoon essaye de dépêtrer ses fils de leurs « bandelettes souillées de bave et de noir venin », mais les serpents l’étreignent, s’enroulent autour de sa taille et de sa gorge, et bientôt, Laocoon crie comme un taureau qu’on égorge. Après avoir fait un sort au prêtre et à sa petite famille, les serpents vont direct chez Minerve qui convainc les Troyens que Laocoon a juste été puni pour avoir profané le cheval sacré de la déesse avec sa lance, et que sa peur du cheval en général était juste gay.

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PHILIP MARLOWE (ADIEU, MA JOLIE DE RAYMOND CHANDLER)

Le « privé » de Chandler se fait passer à tabac à bien des reprises, mais tous les habitants de Los Angeles peuvent s’identifier à la trempe qu’il se prend en sortant de chez Jules Amthor, le médium. Un « Indien hollywoodien » odorant dépossède Marlowe de son flingue et lui tord les bras dans le dos. Puis, il bloque Marlowe avec un ciseau de corps, le prend à la gorge et l’étrangle jusqu’à ce qu’il s’évanouisse. Quand Marlowe reprend ses esprits après cette défaite retentissante, ses yeux sont injectés de sang, et Amthor et l’Indien le frappent à la mâchoire avec son propre pistolet. Mais ça reste sympa jusqu’à ce que les flics de Bay City se pointent. Ils transportent Marlowe jusqu’à leur patrouilleuse, le conduisent à l’autre bout de la ville et le battent à mort. Il se réveille enfermé dans une chambre inconnue, dans le cabinet d’un docteur junkie, il vient de passer deux jours attaché et shooté à l’héroïne et à la scopolamine alors il pense que la pièce est en feu. Scandaleux en 1940, l’année où

Adieu ma jolie

a été publié, le nadir de Marlowe apparaît, soixante-dix ans plus tard, comme un week-end détente dans le Sud. Aujourd’hui dans la métropole de L.A., un homme blanc célibataire actif et diplômé entre 25 et 40 ans et qui gagne 60 000 dollars ou plus par an passe une moyenne de 2,3 heures par semaine à sucer des bites d’étrangers pour avoir de quoi faire les courses. Les détectives privés, par contraste, vivent dans leur voiture, subissent des raclées sauvages de suicidaires en ­maraude, et sucent d’étranges animaux pour se nourrir.

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RAY MITCHELL (LE SAMARITAIN DE RICHARD PRICE)

Mitchell est le bébé de la sélection, un nouvel arrivant de 2003. On le doit à l’auteur de polars et coscénariste de

The Wire

Richard Price. L’histoire s’articule autour de la branlée que se prend Mitchell, de la part d’un assaillant qu’il refuse d’identifier, un violent traumatisme crânien « qui s’est annoncé comme une odeur et un son – une odeur de brûlé, un sifflement aigu à la limite de l’infrason ».

Le Samaritain

est parsemé de petits tidbits sur les traumatismes crâniens. Ce qui est pas mal, parce que Ray serait insupportable si on ne savait rien de la punition à la Mohamed Ali que l’auteur a en magasin pour son cerveau d’âme charitable.

JERRY RENAULT (LA GUERRE DES CHOCOLATS DE ROBERT CORMIER)

Cette histoire de rébellion adolescente parle de Jerry Renault, un nouveau venu qui va mettre au défi la cruelle pyramide sociale de son lycée privé. Le refus de Jerry de vendre des chocolats pour la levée de fonds annuelle atteint son apogée dans un match de boxe sous les huées d’écoliers. Dans l’assaut sauvage de trois pages qui suit, le jeune protagoniste est proprement frappé, matraqué, tabassé, tapé dans le paquet, la tête écrasée, le rein arraché, les genoux cassés, coups de pied dans le pancréas, doigts dans les yeux, souillé de coups, et son utérus excisé. Tout ce qu’il reste sur le ring est un gargouillis abominable de cheveux et de sang. Heureusement que son lynchage passe pour une juste punition, et ce quelle que soit l’opinion du lecteur. Les fans du conformisme (après tout, Jerry n’a pas voulu vendre les chocolats) seront aussi satisfaits que les fans de l’individualisme (Jerry tente de renoncer à ses convictions après coup, bien que sa langue et son visage soient trop amochés pour produire autre chose que des sons de pet). Les restes ­visqueux de Jerry sont fourrés dans un sac en toile de jute étiqueté « Hospice pour enfants » et le reste des gamins organisent une petite fête sympa et spontanée. Dans l’œuvre de Cormier, ce happy end fait figure d’exception.

WINSTON SMITH (1984 DE GEORGE ORWELL)

En tant que fonctionnaire particulièrement maltraité d’Océania, Smith traverse une série de roustes et de tortures vicieuses avant même de passer les portes de la redoutée Salle 101. C’est assez triste, vraiment, jusqu’à ce qu’on réalise qu’il a eu plus d’une occasion d’échapper à ce sort funèbre. Winston et Julia font la bête à deux dos dans les bois ; pourquoi ils n’ont pas planté leur tente là-bas ? Qu’est-ce qui l’a empêché de faire son petit baluchon et de se barrer à pinces ? Sa carrière ? OK, il lui aurait fallu construire de ses mains une sorte de bateau ou de raft. Et alors ? Y’a des moines qui le faisaient au Ve siècle. OK, il lui aurait fallu trouver une île, une jungle pas contrôlée par Big Brother. L’Angsoc ne se donne même pas la peine d’aller dans les quartiers prolo, alors pourquoi s’intéresseraient-ils à une sale petite île insignifiante près des côtes écossaises ? Plus on y pense, plus il est difficile d’éprouver une quelconque forme de compassion pour quelqu’un qui, d’une manière assez directe, se livre aux mains du régime. Pour citer Howard Stern (à propos de Rodney King), ils ne lui ont pas tapé dessus assez fort.

SIMONNET (« LE CONTE DU RÉGISSEUR » DANS LES CONTES DE CANTORBÉRY DE GEOFFREY CHAUCER)

Dans cette hilarante comédie de boulevard, Jean et Alain, deux étudiants de Cambridge, rendent visite à Simonnet le Teigneux, meunier malhonnête de son état, et s’essayent au coït sur sa femme et sa fille. S’assagissant, Simonnet saisit Alain par la pomme d’Adam et lui saigne le nez. Ils s’empoignent ; la femme de Simonnet prend les choses en main et essaye de jouer au baseball de rue avec la tête du freshman, mais elle ne parvient qu’à briser les os du crâne de son mari. Jean, l’ami d’Alain, se fait remarquer par son absence au combat, jusqu’à ce que Simonnet s’écroule : « On m’assassine ! » – à ce moment-là, Jean retrouve ses testicules et lui et Alain se jettent sur Simonnet et lui filent une dérouillée comme celle des gamins vietnamiens dans

Romper Stomper

(1992). Puis une poignée de skins musculeux s’immiscent dans la bataille pour venger notre héros, au son d’une ­rutilante rengaine oi! Et alors que le chanteur Jimmy Pursey délivre en direct une ode ­elliptique quoique passionnée à sa musique préférée, une copie CD taille A2 du single de Discharge « State Violence State Control » (sorti sur Clay Records en 1982) tombe du ciel sur le plateau télévisé, tuant l’icône en plein vol. Il avait 55 ans.