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LE NUMÉRO TROMPE-LA-MORT

Manufacture de fausses bites

Ça arrive à plein de mecs. Tu rencontres une belle meuf et, inexplicablement, tu lui plais. Vous faites connaissance, vous vous léchez les muqueuses, chacun se choisit un côté du lit préféré.

Ça arrive à plein de mecs. Tu rencontres une belle meuf et, inexplicablement, tu lui plais. Vous faites connaissance, vous vous léchez les muqueuses, chacun se choisit un côté du lit préféré. Et puis un jour, ça te tombe dessus comme un poisson mort te tomberait sur la tête, ça y est : ta meuf a un nouveau joujou et elle l’aime plus que toi. Gode, double zob, compagnon pour chattes solitaires, dom Juan d’Autriche, remplisseur de vide, ouvre-huîtres, marteau à palourdes, truelle à fleurs, explorateur de grottes mélancoliques – chacun sa forme et son petit nom. Tous représentent le même danger pour le mâle timoré. Par une belle après-midi de printemps, on a mis le cap sur la plus grande usine à sextoys d’Europe, afin d’éradiquer la menace la plus grave pesant sur les pénis de chair depuis qu’Abraham a inventé la circoncision.

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La Fun Factory est située sur une petite bande de terre proche du fleuve Weser à Brême, dans le nord de l’Allemagne. C’est un préfabriqué trapu, dans le genre de ceux qui fleurissent sur les tournages des films à gros budget, entre une boîte qui vend des pièces détachées et une papeterie. Cela dit, quand tu t’approches et que tu colles ton visage contre la paroi en verre de l’entrée, tu découvres un arc-en-ciel de couleurs et tu as plus l’impression d’être au paradis du jouet que dans l’antre de l’enfer. Les vibros, comme les voitures et les barres chocolatées, sont produits à la chaîne, et les ouvriers qui les fabriquent, les massent et les nettoient ne sont pas les pervers aux mains poisseuses qu’on pourrait s’attendre à rencontrer. Ils sont aussi normaux qu’une mère de famille allemande, une qui ferme les yeux sur le matos SM que tu as laissé traîner dans le salon le jour où elle te fait une visite surprise. Prenons Sabrina, par exemple. Ça fait cinq ans qu’elle travaille à l’usine. Son vibromasseur préféré c’est le Dolly Dolphin (« la poupée dauphin »), un gode dont l’extrémité est une tête de dauphin rieuse au mignon nez retroussé. Étanche et non toxique (c’est ta mère qui va être contente !), le dildo Flipper est vendu avec un moteur puissant qui vrombit comme s’il reprenait Joy Division. Mais rien de plus banal que la production de godemichés. « C’est comme si on faisait des crayons », nous dit Sabrina qui frotte le dernier lot d’instruments masturbatoires, les mains plongées dans l’eau savonneuse jusqu’aux coudes. Plus loin, des jeunes femmes russes fourrent les amuse-chattes dans des emballages discrets. C’est du boulot de fabriquer des fausses bites, mais c’est pas non plus lugubre. La société emploie autant d’hommes que de femmes. Benni est l’un des plus jeunes hommes à travailler ici. À Brême, quand il sort pour draguer, les filles qu’il rencontre pensent d’abord que la Fun Factory est une boîte de nuit. Quand il leur dit qu’il travaille à l’augmentation du plaisir féminin, ça les excite un peu. Mais est-ce que ça aide vraiment à pécho que d’avoir des godes plein le CV ? « Ça peut aider à démarrer une conversation, et comme pour coucher avec quelqu’un, il faut lui parler avant, en un sens oui ça aide », nous dit Benni. Mais il a pris du retard sur la chaîne et il doit gérer une invasion de minipénis noirs en caoutchouc. Gêné, il reconnaît être propriétaire de quelques sextoys. Gunther doit avoir une vingtaine d’années de plus que Benni. Il a l’œil bleu placide du pornographe, et coupe l’excédent de silicone qui dépasse des moules aussi calmement qu’il viderait des harengs. « C’est juste un boulot. Je n’ai pas honte de ce que je fais », nous dit-il, sans qu’on lui ait pourtant rien demandé. Gunther partage son poste de travail avec Fritzi, une petite femme qui rougit quand on lui demande de parler anglais mais reste impassible quand un chargement de stimulateurs anaux arrive en roulant sur l’établi. Ce sont des Stubby, des vibros pourvus d’un renflement qui les empêche de disparaître dans les profondeurs obscures des trous de balle de leurs utilisateurs. On apprend que les accidents sont tellement fréquents que c’est devenu une préoccupation légitime. « On voit des photos sur Internet tout le temps, nous dit Fritzy, en insérant des moteurs dans des tubes de vingt centimètres. Des opérations, des vibros couverts de sang… Le muscle de l’anus est très puissant. Les gens ne se rendent pas compte. » La Fun Factory produit des sextoys pour l’exportation depuis 1995 et fabrique environ 400 remplace-bites par jour. Dans l’industrie on appelle ça « la cuisson » : on verse la silicone liquide dans un moule, on la chauffe, on la refroidit, puis on l’ôte du moule et on l’assemble. Dirk, le boss de la Fun Factory, a fondé la société avec son ex-femme. Il est célibataire aujourd’hui mais n’a pas l’air de mal le vivre. « La plupart des filles que je rencontre ont entendu parler de la société avant de me connaître », nous dit-il, arborant un jean et un tee-shirt que seul un PDG européen peut se permettre. À notre grand dam, il ajoute : « L’ambiance n’est vraiment pas sexuelle. On a un certain nombre de tabous en moins, mais à part ça, ça ressemble à une boîte normale. » On décide d’y aller cash : « Tu ne penses pas que tes produits sont en train de faire aux hommes ce que la machine à laver a fait aux gants de vaisselle ? » Dirk ne se laisse pas démonter : « Les vibros sont tes amis, pas tes ennemis. Il a le même ton qu’un dealer qui essaye de refiler son premier fix à un gamin de 10 ans. Quand une femme te ramène chez elle et que tu trouves un énorme vibro dans sa salle de bain, rappelle-toi qu’elle t’a ramené parce qu’elle veut coucher avec toi. Et si elle joue avec elle-même c’est qu’elle s’aime. C’est tout ce qui compte. » Quatre cents bites artificielles en un jour, cent cinquante en un an, chacune capable de détecter le point G aussi infailliblement qu’un cochon truffier les truffes. Sans surprise, la Fun Factory se targue d’obtenir des orgasmes du premier coup. Et Dirk a une arme secrète : ses contrôleurs qualité, une équipe de choc composée de vingt personnes, quatorze femmes et six hommes, qui ont entre 20 et 45 ans. Ils passent leur journée à la maison en pyjama et pantoufles à tester les produits de la Fun Factory. Après quatre semaines de testing, le groupe présente ses résultats et l’équipe de designers décide s’il est temps de passer à la fabrication ou si l’invention doit encore être perfectionnée. Parmi les essais non aboutis, des vibros en forme de bâtiments célèbres et un vibro en forme de crocodile. Un gode doit être efficace mais doit aussi avoir une personnalité. Les gens s’attachent à leurs godes, sentimentalement parlant. Et la société reçoit souvent des lettres désespérées de clients qui recherchent des modèles dont la fabrication a cessé. « Il y a des idiosyncrasies selon les pays, nous dit Dirk. Les Belges aiment l’orange, mais pas le rouge. Les Français aiment le mauve mais détestent le jaune. Les Américains, bon les Américains s’en foutent. Ils ne gardent pas les yeux ouverts assez longtemps pour se soucier de la couleur et achètent tout ce qui leur passe sous la main. Le but de la vie c’est la reproduction, qui dépend de la sexualité, conclut-il en nous raccompagnant après une journée bien remplie, alors que le soleil se couche sur Brême. Et souvenez-vous, un gode ne remplace jamais un vrai pénis, c’est juste un truc en plus. » Un truc en plus. Alors qu’on s’éloigne, ces mots nous dissuadent de revenir sur nos pas, de défoncer les portes métalliques et de mettre le feu à l’usine. L’ambiance a beau être cool à la Fun Factory, impossible d’être rassuré quand on a perdu la con­fiance. Ils savent ce qu’ils ont gagné et maintenant ils nous font la leçon. Les vibros et les godes ne sont pas l’ennemi naturel de l’homme, on le sait. Non, c’est juste comme les amis chiants de ta copine : ils sont toujours là, ils ont toujours raison et te rappellent constamment que tu es aussi jetable que le mec à qui appartenait le pénis qu’elle utilisait avant le tien.