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Interviews

À tombeau fermé

Guillaume Bailly est croque-mort. Il vient de sortir un livre sur tous les trucs qui vous arrivent quand vous enterrez des gens et que vous croisez plus de morts que de vivants.

À peine une semaine après la sortie de son livre, Mes sincères condoléances, dans lequel il détaille les moments les plus marquants de sa carrière de croque-mort, Guillaume Bailly croulait sous les demandes d'entretiens. Rien ne prédestinait pourtant ce Breton de 40 ans à faire de la mort son métier. Après avoir été successivement agent de sécurité et vendeur d'assurances, Bailly est devenu croque-mort et journaliste spécialisé pour des sites tels que Funéraire Info. Dans son livre, il compile avec humour noir quelques anecdotes sur son métier, évoquant le jour où une famille lui a demandé de passer le morceau « I Believe I Can Fly » à l'enterrement d'une défenestrée et celle où des clients lui ont fait rédiger une nécrologie pour leur père en le faisant passer pour un parfait abruti.

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Il nous a gentiment donné rendez-vous au cimetière du Montparnasse à Paris, afin de nous parler de son rapport avec la mort et des enterrements les plus étranges auxquels il a assisté.

VICE : Comment es-tu arrivé dans ce métier ?
Guillaume Bailly : Par hasard. J'avais un peu plus de 30 ans, et j'avais fait plein de boulots avant ça. J'ai été agent de sécurité, j'ai vendu des assurances, des contrats immobiliers, des bagnoles sans permis, des abris de jardins… Je venais de finir un CDD et je suis allé m'inscrire dans une agence d'intérim. Une des employés m'a dit quelle avait une mission dont personne ne voulait : une semaine aux pompes funèbres. Dix ans plus tard, j'y étais encore.

Qu'est-ce qui t'a fait rester ?
J'ai beaucoup aimé cette expérience. Pour la première fois, j'avais trouvé un boulot qui me bottait vraiment, qui m'offrait des perspectives d'évolution. C'est un métier où ce que l'on fait a du sens. Et puis surtout, quand on se lève le matin, on ne sait pas de quoi la journée sera faite.

Quand as-tu décidé d'écrire ?
Le lendemain de mon premier jour de boulot. Je me suis dit que c'était un sujet en or ! C'est peut-être aussi en partie pour ça que je suis resté. J'ai commencé par tenir un blog. Le rédacteur en chef de Funéraire Info m'a repéré et c'est comme ça que je suis devenu journaliste spécialisé.

En fait, les pompes funèbres constituent un super observatoire de la société. Tout le monde meurt. Le riche, le pauvre, tout le monde finit chez moi. On rencontre toutes les catégories socio-professionnelles, toutes les idées, toutes les religions, toutes les opinions. Ils passent tous un jour ou l'autre dans mon bureau, et je vois la façon dont ils réagissent. Et ce n'est pas forcément ceux qui ont fait les plus grandes écoles qui sont les mieux élevés… C'est un point de vue unique sur la société : on voit tout le monde poussé dans une situation extrême.

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Dans ton livre, tu cherches constamment à faire rire les gens de la mort. Qu'est-ce qui t'amuse là-dedans ?
Quand je suis à fond dans un enterrement, rien ne me fait rire. Mais après coup, je me rends compte qu'il y a parfois un côté absurde à tout ça. Certaines morts peuvent être particulièrement cocasses - des personnes meurent d'hémorragies cérébrales en plein acte sexuel, des petits vieux décèdent dans des boîtes libertines, par exemple.

Mais je m'amuse surtout de la réaction des gens face à la mort. J'ai vu une petite famille se rendre au cimetière pour enterrer leur mère, c'était un moment très solennel jusqu'à ce qu'ils me demandent de faire la « version courte » parce qu'ils avaient rendez-vous chez le notaire pour la succession. Un jour, un type a débarqué sur les lieux de l'incendie où sont morts son frère et sa belle-sœur. Il était 4h du matin, et tout le monde était là : les pompiers, les pompes funèbres et la gendarmerie. Le mec s'est tourné vers nous pour nous dire « Écoutez, je ferai une crémation - mais vous me ferez un prix, parce que le travail est déjà bien entamé ».

Ça t'est arrivé de sortir une énormité de ce type ?
Bien sûr, on en fait tous ! Il arrive aussi que des situations absurdes arrivent en pleine cérémonie, que je demande à l'assemblée de se recueillir quelques temps, avant de devoir annoncer : « Le propriétaire de la Clio verte immatriculée 42 est prié de déplacer son véhicule ». En rire, c'est ma façon de me distancier par rapport à tout ça. Finalement, tout ça n'est pas sérieux : le principal intéressé est déjà mort, il s'en fout complètement. Et lorsque je termine mes journées, je laisse tout ça derrière moi.

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Tu ne cites que des histoires un peu folles, mais à quoi ressemble un enterrement type ?
80 % des décès surviennent dans un établissement médicalisé. C'est un système qui est bien rôdé. Je pourrais raconter des histoires de maisons de retraite, mais ça ferait chier tout le monde.

C'est quoi l'enterrement le plus étonnant que tu aies mené, alors ?
C'était un enterrement punk. Le pauvre gars était mort dans un squat, sans ressources, il devait finir dans une fosse commune. Ses copains de squat sont venus nous voir en nous demandant si on ne pouvait pas organiser une petite cérémonie. Ils se sont pointés au cimetière et ont improvisé un truc aussi drôle que touchant. Ils ont tous déposé un objet dans la tombe qui pourrait lui servir, si jamais il y avait une vie au-delà : des tickets de bus, une coupelle pour faire la manche… Et puis ils ont trinqué à sa santé en buvant une gorgée de bière, et vidé le reste dans le trou. Je me rappelle de la tête des fossoyeurs qui hallucinaient, ils n'avaient jamais vu ça !

Un de mes collègues a eu une illumination : on a acheté un Charlie Hebdo et un Canard Enchaîné, et on les a découpés en forme de pétales de fleurs. Ce n'était pas spectaculaire mais ça a marqué les esprits.Il paraît qu'à Taïwan, on invite des stripteaseuses aux enterrements. Est-ce qu'en France, certains clients réclament un peu de légèreté ?
C'est encore timide, mais ça commence. Les gens sont de plus en plus en quête de personnalisation. Certains se disent : « le défunt aimait bien se marrer, on va pas pleurer pour lui rendre hommage ». Un jour par exemple, on enterrait un vieil anarchiste. Ce qu'on fait souvent, c'est qu'on propose aux gens de déposer des pétales de roses sur le cercueil. Mais les enfants trouvaient ça un peu trop niais.

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Quels sont les morceaux d'enterrements les plus populaires ?
« Allumer le Feu », pour les crémations… « Mon Vieux », de Daniel Guichard, pour l'enterrement des pères. Carla Bruni a eu son petit succès à un moment , notamment avec « Quelqu'un m'a dit ». On retrouve aussi parfois « Vole » de Céline Dion, ou des morceaux d'Enya. Pour ma part, je dois avouer que rentrer dans une église sur le Requiem de Mozart, ça a toujours de la gueule.

Et niveau matériel, quelles sont les nouveautés dans le milieu ?
Les mémoriaux virtuels, sur Internet. Tu peux mettre des photos du défunt, des musiques, des vidéos, etc. Y'en a même qui existent avec un QR Code à coller sur la tombe. Il y a aussi la dispersion de cendres dans l'atmosphère, dans un ballon-sonde, ou les tombes en métal, qui peuvent prendre la forme et la couleur que tu veux. Le mieux, c'est un cercueil ou une urne avec une graine à l'intérieur, afin que le corps du défunt puisse servir de nutriment pour l'arbre qui en résultera. C'est le cycle de la vie. Conceptuellement, je trouve ça génial.

Sinon, j'ai entendu dire que tu n'aimais pas la série Six Feet Under.
Non, je n'aime pas. Déjà, cette série montre la version américaine du métier. Les gens qui voient Six Feet Under se disent que c'est pareil partout, mais pas du tout. C'est peut-être une super série bien documentée sur les pratiques américaines, mais en France ça n'a rien à voir. Ici, c'est nous qui allons chercher les corps, il n'y a pas de coroner. Et puis, c'est une comédie romantique : ma femme adore, en tout cas. Moi, je peux pas blairer Peter Krause : qu'est-ce qu'il a de plus que moi ?

Finalement, ce métier a-t-il changé ta vision de la mort ?
Non, j'en suis toujours terrifié.

Le livre de Guillaume, Mes sincères condoléances, est disponible aux éditions de l'Opportun