FYI.

This story is over 5 years old.

Music

Woop ! Woop ! C'est le son de La Police !

À l'occasion de sa nouvelle expo, nous sommes allés parler punk, house, doom, dubtech et marches militaires avec Pierre La Police, le créateur de Fongor et des jumeaux Thémistècle.

​Il est des mystères qu'on ne pourra jamais élucider. Comment les noms et les personnages de Fongor Fonzym ou des frères Thémistècle peuvent sortir du cerveau d'un homme sans antécédent judiciaire ? N'espérant aucune réponse, mieux vaut s'attaquer à une problématique plus simple : pourquoi les aventures dessinées par Pierre la Police depuis une vingtaine d'années évitent-elles soigneusement de parler musique, alors même que leur auteur reste un fan acharné toujours à l'affut du dernier truc capable de faire fondre ses conduits auditifs ?

Publicité

Seule solution, s'inviter dans l'antre créatif du dessinateur pour s'entretenir avec lui, à l'heure où la galerie parisienne Arts Factory lui consacre une exposition célébrant la sortie du deuxième volume en édition numérique des Praticiens de l'infernal, avant sa publication papier au printemps prochain. Une suite très précisément intitulée Les Praticiens de l'Infernal, volume II : Miracles nuisibles et malveillances célestes, où les héros tentent de sauver notre monde qui ne le mérite pourtant pas, après être sortis de leur long sommeil en 2011 pour un épisode spécialement destiné à la plateforme iBooks : Destruction du Littoral et Césarienne Interdite.

Au domicile atelier de Pierre la Police, tout semble nettement moins dérangé que sur ses planches où l'absurde côtoie le grotesque, où le miroir grossissant de la vie confine à l'aberration. Personnage singulier, le dessinateur possède bien un visage qu'il protège des yeux du monde, et sert un vrai café tandis qu'un flot de bons titres coule de son ordinateur. Ici, on s'inspire de la mocheté de l'homme mais on ne plaisante pas avec la musique.

Pierre La Police, au naturel

Noisey : Je constate que tu travailles en musique, c'est mieux pour toi ?
Pierre La Police : Pas toujours car j'ai parfois besoin de me concentrer, d'être au calme. Tu veux que je la coupe ?

Non, c'est super. La musique, ça t'a pris très tôt ?
Oui, j'ai eu la chance de pouvoir écouter quasiment tout ce qui sortait sans avoir à acheter les disques car je n'en aurais de toute façon pas eu les moyens. J'ai vécu plusieurs années chez un oncle qui était disquaire. Je prenais les disques et les enregistrais sur cassettes avant de les remettre soigneusement en rayon. Je prenais tout ce qui accrochait mes oreilles.

Publicité

Tu faisais comment pour choisir ?
Je n'avais aucune culture musicale, c'était donc selon les pochettes, les noms des artistes… J'avais quelques repères sur certains styles musicaux mais je ne me fermais aucune porte. Encore aujourd'hui, j'écoute des trucs très différents. Par la suite, je me suis abonné à des médiathèques et ça confinait à la boulimie, avec quatre disques pris à chaque passage dans tous les rayons, en repassant trois fois dans la journée, et en écoutant tout. Ça pouvait être des chants folkloriques en patois, des marches militaires, de la musique concrète, du punk… Forcément, j'ai écouté beaucoup de merdes. Mais ça m'a permis d'avoir de bonnes surprises dans des genres considérés comme pas terribles, des trucs sortis de nulle part en variété thaïlandaise, vietnamienne, en musique de restaurant chinois…

Ensuite, tu t'es mis à acheter des disques dès que tu en as eu les moyens ?
Oui j'ai démarré jeune ado et j'en achète toujours mais plus en format numérique.

Et tu as eu des grandes phases musicales dans ta vie ?
Je suis toujours resté ouvert à plein de choses.

J'imagine que l'école a été l'occasion d'échanger avec les potes ?
Ah oui, on s'échangeait les disques, on se faisait des cassettes. J'ai toujours aimé partager la musique que j'aimais. J'aimais bien faire des compilations pour les amis et c'est toujours le cas aujourd'hui avec des clés USB.

Les années 90 ont été celles de ton passage à l'âge adulte, elles représentent quoi pour toi en musique ?
A l'époque, je suis passé à côté d'une partie de la musique qui sortait et que je n'aimais pas, peut-être à cause du succès de certains groupes. J'ai toujours été un peu à rebrousse-poil des trucs du moment, c'est peut-être une posture un peu snob, j'en sais rien. C'est con car je suis passé à côté de plein de groupes que j'ai découverts par la suite.

Publicité

Tu étais resté scotché sur les décennies d'avant ?
Non, j'étais plus branché par des trucs d'avant-garde, de musique contemporaine, de hardcore californien, de punk… Alors la pop, la new-wave, la brit-pop du moment, j'ai découvert bien plus tard. Et puis il y a la techno bien sûr. C'est une vague qui m'a pris, quelque chose de très important qui l'est toujours aujourd'hui. J'ai toujours gardé ce goût des sonorités de la house naissante, Larry Heard et les autres. Jusqu'à aujourd'hui avec Omar S que j'aime beaucoup. Le recul et la bonne vision qu'on a aujourd'hui permet de jouer avec les genres, de créer des hybrides.

C'est vrai que depuis les années 2000, plus aucun genre majeur n'est apparu mais tous les genres se marient.
Ça ne me dérange pas, j'aime bien ces variantes. Ça permet d'avoir par exemple des gens qui revisitent la musique d'ascenseur en y ajoutant des éléments contemporains qu'on ne pouvait pas entendre à l'époque. On va parler de musique de mini-golf, de musique de prospectus de cabine de bronzage. C'est hyper intéressant, j'aime beaucoup.

Tu restes toujours intéressé par la nouveauté ?
Oui je reste transporté par les sons « dubtech », ça me met dans un état très propice au travail.

Et donc le rock des années 90, tu l'as découvert après coup ?
C'est ça. Des groupes comme Felt et plein d'autres comme The Blue Nile ou les Cocteau Twins que j'écoute maintenant avec plaisir.

Publicité

La musique pop d'aujourd'hui, elle te fait quoi ?
Au même titre que cette hybridation des genres dont on parlait, le mélange de l'underground avec la visée d'un public plus large permet des choses relativement sophistiquées musicalement.

Et la musique française ?
J'ai du mal à écouter des chansons françaises, je suis très sélectif. J'écoute surtout des vieilles choses, comme le premier Etienne Daho, Mythomane, que je trouve toujours aussi beau, et puis son tube « Paris Le Flore » aussi. Et puis Marquis de Sade, et tous les groupes français de cold-wave.

Tu parlais de ton choix en fonction des pochettes, ça ne te manque pas trop aujourd'hui avec la dématérialisation de la musique ?
Tu as les pochettes sur les blogs. Et par ailleurs, je n'éprouve aucun fétichisme par rapport aux pochettes, aux objets. Toute ma musique est désormais dématérialisée, même si la qualité sonore n'est pas aussi bonne qu'avec les vinyles et les CD. Mais c'est ce qui convient le mieux à ma consommation de musique. J'écoute très peu d'albums en entier mais plutôt des morceaux qui se télescopent au hasard de playlists. Toute la journée, je filtre la musique que j'écoute pour ne garder que ce qui me plait.

Et tu vas aux concerts ?
Je n'ai jamais été très concert. J'en ai fait beaucoup à une époque. J'ai vu beaucoup de groupes que j'aimais sur disque et qui ne m'ont procuré aucun plaisir supplémentaire en concert.

Publicité

Mais la musique électronique, ça se vit aussi en club ou en live quand même ?
Oui j'adore danser, j'allais beaucoup en club. Lors de l'explosion de la house, j'ai eu la chance de faire plusieurs séjours aux Etats-Unis et le mouvement avait de l'avance sur ce qui se passait ici. En club, il y avait une super programmation musicale, l'ambiance était totalement débridée.

Tu as aussi vécu au Japon, ça t'a marqué musicalement ?
Ah oui, c'est là que j'ai vu mes plus beaux concerts. Des groupes fous, originaux, dont je ne pourrais même pas citer les noms, qui arrivaient à déployer une énergie sonore et scénique étonnante. Et des musiciens de rue équipés comme des pros, avec une qualité sonore incroyable. J'ai aussi vu cet artiste japonais qui a réussi à traduire la lumière des néons en ondes sonores. Il a construit cette espère d'orgue avec des néons, c'est très beau visuellement et d'un point de vue sonore. Parmi les artistes connus, j'aime bien Ryoji Ikeda, et puis des artistes de free-jazz.

Et malgré toute la passion dont tu fais preuve, la musique n'est pas du tout présente dans ton travail !
C'est vrai et c'est complètement inconscient. Il n'y aucune passerelle, je ne parle pas véritablement de musique, ou alors par petite touche, par allusions. Comme à un moment dans les Praticiens de l'Infernal II où les personnages écoutent une musique qui fait vieillir.

C'est parce que tu trouves que la musique ne prête pas à rire ?
Si, si, d'ailleurs j'ai trouvé pertinentes toutes les BD musicales que j'ai pu lire. Mais ça ne m'est jamais venu, je n'ai pas eu le déclic, l'idée qui m'aurait permis d'aborder ce thème. En fait, je ne me suis jamais posé la question. La musique est depuis toujours tellement à mes côtés que je ne remarque même plus sa présence.

Publicité

Si ton ordinateur devait crasher, quelle est la musique que tu sauverais en priorité ?
Je fais des sauvegardes, j'ai au moins quatre backups de tous mes fichiers.

Sans compter ce que tu colles sur les clouds ?
Non, je mets rien sur les clouds, j'ai pas confiance. Mais choisir, ce serait difficile. Comme je le disais, je n'ai pas de rapport fétichiste à un album, un artiste, un groupe ou un type de musique en particulier. Ce que j'aime, ce sont les collisions musicales, écouter une pièce pour clavecin de Couperin puis enchainer sur un morceau de doom.

L'esprit d'indépendance du punk, aussi bien pour les labels ou les fanzines, ça t'a marqué ?Oui, je me souviens être régulièrement allé à la boutique New Rose pour acheter des compilations expérimentales en cassettes de gens pas du tout connus. J'en trouvais aussi aux Etablissements Phonographiques de l'Est dans le XIe, à la fois disquaire, et salle de concerts pour des gens comme Costes, des performances…

Du point du vue graphique, l'esthétique des labels 4AD ou Factory ne t'ont pas plus marqué que ça ?
Pas que je me souvienne. J'avais toujours les oreilles qui trainaient par là mais rien d'influent. Je me souviens surtout de tous ces vinyles de house et de techno qui sortaient qui avaient tous la même étiquette interchangeable. Ce n'était plus l'individu mis en avant mais sa musique. C'était plus une famille qu'un artiste qui était mis en valeur.

Publicité

Tu trouves la musique d'aujourd'hui toujours aussi excitante?
Oui ! Même si je n'arrive plus à suivre, la production est trop importante. Mais j'aime bien cette sensation d'être étouffé par un foisonnement de choses, d'être débordé. Ça oblige à être curieux, à écouter beaucoup de merdes aussi. Mais je découvre toujours des choses qui font vraiment plaisir, sans jamais me sentir blasé.

Si je te demandais une sélection de trucs récents que tu as aimés ?
Un mec que j'adore c'est Rangers. Au départ, c'est un guitariste et il réalise des collages de bouts de guitare sur des cassettes audio qu'il découpe, recolle… si tu veux je te fais écouter.

Sinon, quoi d'autre ?
Part Time, un groupe qui donne dans la pop un peu acidulée, toujours un peu pareil mais j'aime bien.

J'aime bien John Maus aussi. Et puis la musique noire américaine avec tous les artistes qui la revisitent aujourd'hui comme Flying Lotus et Thundercat. Rien à voir mais j'adore un crooner moderne qui s'appelle Sean Nicholas Savage, il est bien cool.

Et puis plein de trucs de « dubtech » comme Rhythm & Sound.

J'aime bien aussi White Fence dans le genre musique revisitée, du rock psyché mais avec des effets comme on n'en faisait pas à l'époque.

Il y a eu beaucoup de musique instrumentale pendant qu'on se parlait. C'est quand même ton truc, non ?
Pas que… Mais oui, c'est vrai. En ambient j'aime beaucoup d'Eon aussi, ça c'est sur un de ses Music for Keyboards.

C'est vrai que j'avais pas remarqué mais maintenant que tu le dis, il n'y a quasiment pas de paroles dans ce que je te fais écouter là. Sinon, j'écoute pas mal de classique.

Tes personnages semblent totalement déconnectés de toute vie musicale, tu leur as inventé leur propre existence parallèle ?
Oui c'est ça, ils vivent leur propre vie. On me demande souvent quelles sont mes influences, si j'ai eu des modèles pour les personnages mais non. Le seul modèle de départ qui m'a servi de libre inspiration, c'est une photo prise dans un programme télé de Magnum. Il était entouré de deux autres personnages de la série. Je me suis lancé dans une copie, avec une très grande marge d'interprétation, de cette photo. Je me suis retrouvé avec trois personnages avec une certaine épaisseur et me suis dit qu'ils valaient bien un développement, un prolongement pour raconter des histoires, leur donner vie. C'est parti comme ça et c'est vraiment un monde à part. Travailler, c'est même un moyen de me couper du monde et de ses références.

Exposition Mondo Thémistècle, jusqu'au 19 novembre. Galerie Arts Factory​, 27, rue de Charonne, 75011 Paris

Malgré toutes ses questions, Pascal Bertin n'est pas de la police. Il est sur Twitter​.