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VICE News

L'Algérie se rêve géant du gaz de schiste africain ? Une petite ville dit non

Le week-end dernier, les manifestations quotidiennes contre le gaz de schiste ont tourné à l’émeute à In Salah.

Dans la ville désertique d'In Salah, 1 200 kilomètres par la route au sud de la capitale Alger, les manifestations contre un projet d'exploration de gisements de gaz de schiste sont quasi quotidiennes, depuis la fin du mois de décembre. Ce week-end elles ont tourné à l'émeute, avec les premiers affrontements entre la police et la population locale, ils ont fait des blessés des deux côtés. Le 24 février dernier, d'importantes manifestations avaient déjà eu lieu à Alger en solidarité avec In Salah.

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Le général-major Amar Athamnia, le chef de la région militaire de Tamanrasset s'est rendu à In Salah ce mardi pour tenter de calmer les tensions entre manifestants et policiers. Athamnia a déclaré que les forces de l'ordre qui avaient outrepassé leurs fonctions seraient punies, exhortant les manifestants à retrouver le calme.

Près de 40 policiers ont été blessés le week-end dernier alors que la sous-préfecture a été incendiée par les manifestants. Le journal El Watan rapporte des témoignages faisant état de tirs à balles réelles vers les manifestants.

Les affrontements ont éclaté à proximité de zones de forage dans la région d'In Salah, ville de 36 000 habitants, devenue le symbole de la lutte contre l'exploitation du gaz de schiste en Algérie. Des manifestants d'In Salah se sont rendus vers l'installation de la multinationale américaine Halliburton, à quelques kilomètres d'In Salah. C'est sur ce site que la compagnie américaine est en charge du premier forage d'exploration en Algérie. Medhi Bsikri est un militant anti gaz de schiste, qui vit à Alger, contacté par VICE News, il explique que les manifestants se sont rendus en direction du site d'Halliburton le week-end dernier dans le but de remettre une lettre collective, dans laquelle ils appellent à l'arrêt des forages.

La phase d'exploration doit s'achever dans quelques semaines. Si les manifestants maintiennent la pression c'est que des rumeurs qui circulent dans la région nourrissent leurs craintes. Elles disent qu'à cette période d'exploration pourrait directement succéder une phase d'exploitation. Les manifestants réclament à leur gouvernement un moratoire immédiat sur l'exploration et l'exploitation du gaz.

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Contacté par VICE News, Halliburton n'a pas souhaité nous répondre spécifiquement sur le sujet de ses activités en Algérie. La présidence algérienne s'est elle refusée à tout commentaire.

Malgré l'opposition soutenue de la population locale, le gouvernement ne semble pas vouloir revenir sur sa position, le gaz de schiste représenterait l'atout qui manque à sa main pour rester à la table des grands pays exportateurs énergétiques. Le 24 février, alors que des manifestations étaient interdites par les autorités à Alger, le président Abdelaziz Bouteflika a parlé (dans une déclaration officielle) du pétrole et du gaz comme des « dons de Dieu » que le pays devait faire fructifier pour « les générations futures ». Les exportations d'hydrocarbures représentent dans le pays la quasi totalité des sources de devises étrangères, et comptent pour plus de la moitié du budget de l'État. Un situation préoccupante pour le pays, alors que le prix du baril de pétrole a chuté ces derniers mois.

L'Algérie posséderait la quatrième réserve au monde de gaz de schiste. Les opposants s'inquiètent des conséquences néfastes de son extraction par la technique retenue de la fracturation hydraulique — ou « fracking » - sur l'environnement. Les militants mettent en avant le fait que l'agriculture saharienne souffre déjà du manque d'eau, situation qui pourrait empirer car le fracking pourrait polluer les nappes phréatiques. Enfin, l'exploitation du gaz de schiste dégage du méthane, qui participerait selon certaines études au réchauffement climatique.

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La Sonatrach est la compagnie publique algérienne, leader des activités gazières et pétrolières dans le pays. Elle a démarché Halliburton pour effectuer l'exploration des ressources en gaz de schiste du pays.

Joint par VICE News ce mardi après-midi, un porte-parole de la Sonatrach confirme à propos de l'installation d'In Salah qu'il s'agit d' « un puit d'exploration pour évaluer les réserves » du sous-sol algérien. Cette exploration sera terminée dans quelques semaines selon la Sonatrach. « L'exploitation [effective] des puits ne pourra pas se faire avant 2022 comme le Parlement l'a décidé, » tranche le porte-parole.

Pour le chercheur associé à l'IRIS et spécialiste des questions énergétiques, Nicolas Mazzucchi, « La rhétorique du gouvernement paraît cohérente. Il y a eu tellement d'erreurs sur les estimations de réserve en gaz de schiste que les pays se lancent dans de longues et coûteuses campagnes d'exploration, » afin d'estimer au mieux les richesses disponibles avant de se lancer dans l'exploitation. Les États-Unis restent à ce jour le seul pays où l'option du gaz de schiste a fonctionné.

« Il y a eu un gros boom du pétrole au moment de l'indépendance de l'Algérie [de la France en 1962], mais c'est vrai qu'il est aujourd'hui en déclin. Depuis les années 1990, le gaz naturel conventionnel est devenu la valeur numéro 1 de l'Algérie, » précise Mazzucchi qui explique la volonté du pouvoir algérien de se diversifier en matière de ressources énergétiques.

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Une contestation encore naissante

Malgré une interdiction de manifester, des Algérois (pas de chiffre connu) s'étaient rassemblés mardi 24 février — date anniversaire de la nationalisation des hydrocarbures en Algérie, en 1971 — au centre de la capitale pour soutenir la population d'In Salah et crier en coeur « Non à l'exploitation du gaz de schiste. »

« Les gens de In Salah, bien que nous soyons sensibles à leur cause, sont dans la psychose créée par des films comme Gasland [qui dénonce les risques pour l'environnement du fracking aux États-Unis], » explique le porte-parole de la Sonatrach. Il dédramatise les risques encourus, « On disait que les téléphones portables rendaient stériles. Pourtant les gens ont tous un portable. C'est pareil avec le gaz de schiste, il faut argumenter et l'expliquer aux gens. »

« Il faut répondre à l'appel de la population qui est contre ce projet, explique Mehdi Bsikri, une des figures du militantisme anti-gaz de schiste en Algérie. « La population d'In Salah a envoyé un moratoire pour l'ouverture d'un débat national serein et franc — une issue honorable et diplomatique pour l'ensemble des parties, » propose Bsikri qui souhaite que la contestation ne se politise pas mais reste un mouvement citoyen.

L'Algérie au centre de la géopolitique énergétique

« Le pouvoir agit de la sorte pour des considérations géostratégiques, » nous explique Moussa Kacem, professeur à l'université d'Oran, et expert en mines et carrières. Il avance l'hypothèse que les États-Unis chercheraient à offrir des alternatives aux Européens en matière de fourniture de gaz, notamment par rapport à l'importance de la Russie dans ce domaine.

Le géo-économiste de l'IRIS estime pour sa part que l'initiative de cette exploration du gaz de schiste algérien est avant tout le fait du « gouvernement algérien et non pas des pays occidentaux. Le pouvoir y voit l'opportunité de devenir le véritable champion pétro-gazier de l'Afrique du Nord, son principal concurrent, la Libye, étant hors-jeu. » L'Algérie pourrait même devenir le grand pays du gaz en Afrique grâce « au projet de gazoduc Trans-Saharan Gas-Pipeline (TSGP) qui relierait le Nigéria (qui ne sait pas trop quoi faire de son gaz) aux ports gaziers algériens. »

« S'engager dans cette voie du gaz de schiste serait un fiasco financier pour l'Algérie, » dénonce Mehdi Bsikri qui estime que ce plan va couter près de 90 milliards de dollars et que cet argent pourrait être utilisé pour développer d'autres énergies.

Nicolas Mazzucchi précise qu'il faut distinguer deux choses : « L'État algérien développe un programme d'énergie solaire, certes balbutiant, pour assurer la sécurité énergétique de son pays. » Le gaz de schiste serait lui exploité pour être exporté et « permettre de signer des contrats à long terme avec des compagnies européennes. »

Suivez Pierre Longeray sur Twitter : @PLongeray