Au procès de la mère d’un djihadiste
Image tirée de "Jeanne Dielman, 23, quai du commerce, 1080 Bruxelles" de Chantal Akerman, 1976 

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JUSTICE

Au procès de la mère d’un djihadiste

Après la mort de son fils en Syrie, Nathalie est accusée d’avoir financé Daech.

[Mise à jour du 28 septembre] Nathalie a été condamnée par le tribunal à deux ans de prison, sans mandat de dépot - la peine pourrait être aménagée. Tarik a été condamné à un an de prison avec sursis. Souleymane a été condamné à trois ans de prison, avec une incarcération immédiate. Maitre Hervé Denis a indiqué que sa cliente allait faire appel de la décision.

Il est environ 23 heures, et Nathalie s'exprime pour la première fois devant Isabelle Prévost-Desprez, la présidente de la 16e chambre du tribunal correctionnel du Palais de justice de Paris.

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En larmes, d'une voix très douce, l'assistante-commerciale de 43 ans se défend d'être une terroriste, d'entretenir un quelconque lien avec Daech, ou de prôner des idées radicales. Si elle est là, c'est parce que son fils, Bellabas, est mort il y a un an en Syrie. Avant qu'il ne rejoigne les rangs de l'État islamique, elle lui avait fait parvenir un peu plus de 2 000 euros en mandat cash. On lui reproche d'avoir financé, en envoyant de l'argent à son fils, une entreprise terroriste, en toute connaissance de cause. Le délit fait d'elle une terroriste, selon l'article 421-2-2 du Code pénal.

« Je vis avec le remords, je vis avec la culpabilité. J'aurais pu sauver mon fils. Je vivrais avec ça pour toujours », déclare-t-elle entre deux sanglots.

Au côté de Nathalie, sur le banc des prévenus, il y a Tarik, son fils, le frère de Bellabas. On lui reproche également d'avoir envoyé des mandats. À côté d'eux, Souleymane, 22 ans, meilleur ami de Bellabas, lui aussi prévenu pour les mêmes infractions. « C'était mon meilleur ami, je ne souhaitais pas qu'il meure ! », se défend ce dernier.

La thèse de l'accusation est assez simple : les trois prévenus auraient envoyé, « en toute connaissance de cause », des fonds qui auraient permis au jeune homme de 20 ans de rejoindre la Syrie.

Il est donc 23 heures. Dès le début de l'audience, un peu moins de sept heures plus tôt, les trois avocats des prévenus avaient demandé un renvoi de l'affaire. En deux mois et demi, ils expliquaient qu'ils n'avaient pas eu le temps de décortiquer le volumineux dossier de 1 500 pages d'enquête, et que le principal témoin à charge, Mme Marchal, n'était pas présent à l'audience malgré sa convocation. La demande était rejetée.

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Le tribunal avait dû ensuite se pencher sur une question prioritaire de constitutionnalité – rejetée également – puis sur des demandes de nullité – des observations des avocats sur le non-respect de la procédure.

Hervé Denis, l'avocat de Nathalie, l'admet : avec ces multiples questions soulevées, il espérait, en quelque sorte, « influencer » le tribunal pour que l'affaire soit renvoyée. C'est l'échec. À la reprise, la présidente, déjà énervée, précise : « Ces tentatives d'extorsion de décision de renvoi, ici, ça ne fonctionne pas, et ça ne fonctionnera jamais ! » Peu importe que la défense se plaigne de ne pas être prête et que le principal témoin à charge ne soit pas là. L'affaire sera jugée aujourd'hui.

Le résultat, c'est que l'audience sur le fond débute finalement vers 22 heures, dans un climat très tendu entre le tribunal et les avocats. Les nombreux journalistes présents peuvent enfin découvrir le dossier, les éléments objectifs qui permettent de prouver que les trois prévenus ont fait parvenir de l'argent à Bellabas lors de son trajet vers la Syrie.

Concrètement, ce que l'on sait de manière certaine, c'est que les trois prévenus ont effectivement envoyé de l'argent à Bellabas – un peu plus de 6 000 euros, sur une période de six mois, alors qu'il résidait, dans un premier temps, chez son père en Algérie, puis en Malaisie, où il prétendait être « en vacances ». Aucun d'entre eux n'a fait parvenir d'argent à Bellabas quand il était en Syrie, ni même quand il était en Turquie, sur le point de rejoindre l'État islamique.

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La thèse de l'accusation est assez simple : les trois prévenus auraient envoyé, « en toute connaissance de cause », des fonds qui auraient permis au jeune homme de 20 ans de rejoindre la Syrie. Depuis plusieurs mois, ils savaient que Bellabas s'était radicalisé et qu'il souhaitait rejoindre Daech. Les trois prévenus se défendent en prétendant qu'ils ne savaient pas que Bellabas était sur le point de rejoindre la Syrie, et que l'argent qu'ils ont envoyé devait juste lui permettre de vivre en Algérie et en Malaisie.

Le procureur interroge Souleymane, dont il soulignait, un peu plus tôt, sur une photo, la « barbe islamiste naissante » : « Tout de même, la Malaisie, c'est un État islamiste. Vous continuez de prétendre avoir cru qu'il était en vacances ? » Le prévenu persiste, il admet qu'il savait que son ami était en cavale, qu'il avait des problèmes avec la justice française, mais pour lui, il ne s'apprêtait pas à rejoindre la Syrie, il passait juste du bon temps à la plage, photos de vacances à l'appui.

Même chose pour l'un des messages envoyés par Bellabas à son ami lorsqu'il était en Algérie : « Vous lui dites : "Tu fais quoi ?" Il répond : "Je suis en mode sport intensif, dans un mois, je serai une machine de guerre." Qu'est-ce que ça veut dire pour vous ? », demande le magistrat suspicieux. Le jeune homme écarquille les yeux : « Bah, ça veut dire qu'il va être musclé, qu'il va pouvoir draguer les filles quoi… » La présidente ne le croit pas : « Ah, tiens donc ! »

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« Il m'a envoyé des photos, à sa sortie de l'hôpital, où l'on voit bien les points de suture. Il avait besoin d'argent pour payer l'hôpital » – Nathalie

À Nathalie, on reproche d'avoir participé au départ de son fils en Algérie alors qu'il faisait l'objet d'une interdiction de sortie du territoire, au motif qu'elle aurait notamment acheté le billet d'avion. Celle-ci se défend : « J'avais acheté le billet d'avion deux semaines avant son interdiction de sortie. C'est facilement vérifiable. D'ailleurs, pour partir en Algérie, il faut un visa qui prend au moins deux semaines. » Effectivement, vérifier la date d'achat d'un billet d'avion, c'est assez facile, mais personne, au cours dans l'enquête, n'a cru bon de le faire.

On lui reproche également d'avoir envoyé 1 000 euros de mandat quand son fils était en Algérie. L'accusation persiste à croire qu'elle savait que son fils voulait rejoindre la Syrie. C'est assez difficile à soutenir, dans la mesure où Bellabas est resté près de six mois en Algérie, et qu'il était chez son père, où elle l'avait envoyé précisément « parce qu'elle n'en pouvait plus » de son attitude.

Enfin, on lui reproche d'avoir fait parvenir de l'argent à son fils alors qu'il était en Malaisie. La mère explique que son fils s'était fait agresser : « Il m'a envoyé des photos, à sa sortie de l'hôpital, où l'on voit bien les points de suture. Il avait besoin d'argent pour payer l'hôpital. Les photos sont toujours dans mes messages Facebook, c'est facilement vérifiable. » Une fois de plus, personne n'a vérifié.

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Quelques semaines après l'agression, grâce à un coup de téléphone, la mère découvre que son fils est en Iran. Elle comprend à ce moment-là qu'il est sur le point de rejoindre l'État islamique, elle coupe les ponts et ne lui enverra plus rien. Le message suivant qu'elle reçoit provient de Daech : « Félicitations, votre fils est mort au combat. »

« J'ai perdu mon fils, la chair de ma chair », déclare-t-elle en larmes, devant un tribunal suspicieux.

Pour Tarik, la question de la radicalisation ne se pose même pas, personne ne le prétend, pas même le procureur. C'est un garçon qui n'a jamais posé le moindre problème, qui ne manifeste pas le moindre signe d'extrémisme. On voit mal, alors, pourquoi ce jeune homme, qui n'est absolument pas radicalisé, pourrait souhaiter que son frère rejoigne la Syrie pour devenir un combattant.

Pour Souleymane, la question paraît plus complexe. Il l'admet : avant le départ de Bellabas, pendant quelques mois, il a lui-même été séduit par les thèses de Daech. Il affirme que ce n'est plus le cas depuis bien longtemps, depuis qu'il s'est rendu compte de ce qui se passait réellement en Syrie.

La juge doute. Sur Facebook, Souleymane a envoyé à Bellabas des photos de gens brûlés vifs par l'organisation terroriste. « Pourquoi est-ce que vous lui envoyez ces photos ? C'est bien que vous adhériez à cette idéologie, non ? » Souleymane s'en défend, il indique qu'il envoyait des photos, justement, pour que Bellabas prenne conscience de ce qui se passait réellement en Syrie. La juge fait une moue dubitative, c'est la parole du prévenu contre sa propre lecture du dossier.

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L'avocat de Souleymane intervient : « Madame la juge, pourquoi est-ce que vous n'indiquez pas que, dans la même conversation, avec les photos, Souleymane envoie une vidéo, Made in France – un film qui dénonce justement l'embrigadement au sein des mouvements intégristes ? »

En réalité, même le procureur en convient, Souleymane, à ce moment-là, n'était pas radicalisé. Il tentait de convaincre son ami de changer d'avis sur l'État islamique. Néanmoins, en contact avec Bellabas quand celui-ci était en Syrie, il adoptait une attitude ambiguë, demandant à son ami de ne pas combattre, de penser à l'avenir, sans lui dire de quitter la Syrie : « J'essayais de parler son langage, sinon il se serait braqué », se défend le prévenu à la barre.

« C'est une jalousie de femme. Mme Marchal est persuadée que j'ai couché avec son mari, et elle veut se venger » – Nathalie

Vient enfin le cas de Nathalie, dont « l'amie » Mme Marchal – celle qui l'a dénoncée aux autorités – prétend qu'elle était radicalisée. C'est la seule raison qui permettrait d'expliquer qu'une mère envoie de l'argent à son fils « en toute connaissance de cause », pour qu'il aille se suicider à l'autre bout du monde.

La jeune femme de 41 ans, élégante et adepte des « virées shopping », a quitté l'Algérie pour « vivre autre chose, être libre, ne pas vivre sous la coupe d'un mari ». Elle propose une autre explication de sa prétendue radicalisation au tribunal : « C'est une jalousie de femme. Mme Marchal est persuadée que j'ai couché avec son mari, et elle veut se venger. » Mme Marchal n'étant pas présente à l'audience, personne ne pourra confronter les deux femmes.

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La présidente du tribunal se permet une autre interprétation : « Dans une conversation téléphonique ultérieure avec votre mère, vous indiquez que, si Bellabas est mort en Syrie, c'est que Dieu l'a voulu. » La prévenue a beau indiquer que sa mère étant croyante, elle lui parlait un langage qu'elle pouvait comprendre, la juge ne paraît pas convaincue et pousse sur ce terrain.

L'avocat de Nathalie finit par exploser : « Attendez, mais vous ne pouvez pas sortir une phrase comme ça, hors de son contexte, et en déduire qu'elle serait radicalisée, alors qu'on a 1 500 pages de procédure qui disent le contraire ! »

C'est le procureur qui prend la défense de la présidente du tribunal : « Si, si, il y a des éléments qui permettent de le penser. » L'avocat s'étonne : « Citez-m'en un seul ! » Le magistrat poursuit : « J'en ai deux. » « De Mme Marchal, je suppose ? », demande l'avocat. « Eh oui ! », sourit le procureur.

Aux suspicions très pesantes du tribunal répondent les invectives de plus en plus fréquentes de l'avocat de Nathalie, qui ne cache pas son dégoût face à la teneur des débats. L'ambiance vire finalement au pugilat à 23 h 30, au début de l'interrogatoire de Nathalie.

« Vous êtes odieuse, Madame. Vous êtes odieuse. Vous méprisez cette femme. Vous la roulez dans la boue » – l'avocat de Nathalie au sujet de la présidente

La présidente lui reproche de ne pas avoir empêché son fils de partir en Algérie, chez son père, alors qu'il avait une interdiction de sortie du territoire. La mère se défend maladroitement, tente d'expliquer pourquoi elle a pu mentir « par honte, pour protéger [sa] famille » lors des premières gardes à vue, pourquoi elle n'a pas indiqué aux autorités que son fils était mort en Syrie. La présidente, avec un sourire au coin des lèvres, finit par lui demander : « S'il avait respecté son interdiction de sortie du territoire… »

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Nathalie répond, en larmes : « Il serait toujours en vie. »

« Eh oui ! », répond la présidente, toujours en souriant, comme si elle venait de coincer un petit délinquant à son propre jeu.

C'en est trop pour l'avocat, qui bondit de son banc et se met à hurler : « Vous êtes odieuse, Madame. Vous êtes odieuse. Vous méprisez cette femme. Vous la roulez dans la boue. » La présidente, sans se démonter, le menace d'un outrage à magistrat. « Eh bien allez-y, collez-moi un outrage, je m'en fous », répond l'avocat en menaçant de faire appeler le bâtonnier. « Oh, vous savez, à cette heure-là, le bâtonnier, il est sous sa couette », répond la juge. Le procureur, pour calmer les esprits, propose une interruption de séance. La demande est acceptée par le tribunal, pendant que Nathalie, qui souhaitait se défendre, supplie la présidente d'écouter ce qu'elle a à dire, en vain.

Dehors, dans la salle des pas perdus, Hervé Denis, furieux, fait les cent pas, invective les journalistes, retire sa robe, range sa valise et fait mine de partir. Il revient quelques minutes plus tard, pendant que Nathalie, sur un banc, convulse sous les larmes.

Quand l'audience reprend, la présidente annonce : « Je n'ai plus de questions. » Le procureur emboîte le pas : « Moi non plus. » Pourtant, avant l'interruption, Nathalie n'était arrivée qu'au moment où son fils partait en Algérie, c'est-à-dire au tout début de l'histoire qui devrait intéresser le tribunal. C'est donc à travers les questions de l'avocat qu'elle finira par livrer sa version, celle d'une mère rongée par le remords.

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« Merci de m'écouter. Je voulais apporter un éclairage sur la radicalisation. J'ai perdu moi-même un fils. Je ne sais ni vraiment où, ni vraiment quand – quelque part en Syrie, en 2014. » Véronique Roy, témoin cité par la défense en tant que mère touchée par la radicalisation de son fils, souhaite livrer son témoignage. Il est une heure du matin.

« Je comprends le lien qu'on peut garder avec son fils, même quand il se radicalise, parce que c'est la seule chose qu'il nous reste. Il faut comprendre que la radicalisation est un processus complexe. Continuer d'aimer son fils, ça ne veut pas dire légitimer ses actes. La seule différence qui existe entre cette femme et moi, c'est que je n'ai pas envoyé d'argent à mon fils. Pourquoi ? Tout simplement parce qu'il ne me l'a pas demandé. Je me suis posé la question, je me suis demandé si je l'aurais fait s'il me l'avait demandé. Honnêtement : peut-être. Parce qu'à ce moment-là, on a l'impression que c'est la dernière chose qu'on peut faire pour sauver nos enfants, c'est le seul lien qui les rattache encore à l'humanité. Ça peut paraître maladroit, ça peut paraître criminel, mais c'est simplement parce qu'on les aime encore.

L'étiquette de parents de djihadiste, c'est très dur à porter. On est condamnés, on nous a pris nos enfants. On a l'impression d'être considérés comme des djihadistes nous-mêmes, alors qu'on hait le terrorisme, qu'on le déteste plus que n'importe qui.

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Si Nathalie est jugée coupable aujourd'hui, alors je le suis aussi. Nous le sommes tous. On parle de financement du terrorisme, mais j'aimerais alors qu'on fasse un grand procès du financement du terrorisme, et qu'on accuse l'État, qui vend des armes à des pays terroristes, ou le cimentier Lafarge, qui fait des affaires avec l'État islamique. Le financement du terrorisme, il se pratique à grande échelle, ce sont des millions.

Nous, on a payé le prix fort, on nous a pris nos enfants. Il n'y a pas de manuel pour les parents de jeunes qui se radicalisent, on ne nous dit rien, on nous laisse seuls. Nathalie, vu ce qu'elle a vécu, elle n'a pas besoin qu'on l'enfonce encore plus, elle est déjà morte. »

Le témoin termine sa déclaration : « Quand un gamin est tombé entre les mains d'une secte, ce n'est pas sa famille qu'il faut juger, c'est la secte. »

Avant que le procureur ne prenne ses réquisitions, la présidente du tribunal précise l'enjeu de ce procès à Véronique Roy : « Vous comprenez bien, Madame, qu'on ne juge pas cette mère simplement parce qu'elle a gardé des liens avec son fils. »

À 1 h 30, le procureur prend finalement la parole pour résumer sa lecture du dossier et de l'audience. « En tant que parents, tout ce qu'ils veulent, c'est aider leur enfant… Vous comprenez bien que ça, c'est le point de vue des parents. C'est bien méconnaître les besoins de la société. Il y aurait alors une immunité juridique pour les parents, simplement parce qu'ils sont les parents ? »

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Il se défend ensuite de faire une lecture trop stricte du texte de loi, avance une « lecture nuancée », adaptée à ce cas particulier, pour lequel il croit toujours à la culpabilité des trois prévenus.

« La mère ne pouvait pas ne pas connaître la destination de son enfant, elle a donc donné de l'argent en toute connaissance de cause. » Il poursuit : « Quel intérêt pouvait-elle avoir ? » C'est, on l'a vu, tout l'enjeu, là où il va falloir, pour expliquer qu'une mère finance volontairement le suicide de son fils, déployer des trésors d'éloquence.

« Est-ce qu'elle partageait la radicalisation de son fils ? » Le procureur n'y croit plus vraiment. Les éléments du dossier sont beaucoup trop minces. Il indique tout de même qu'il existe « quelques éléments qui vont dans ce sens, notamment le témoignage de Mme Marchal ». Conscient de sa légèreté, il ne pousse pas plus loin.

« Moi, je pense que sa motivation est ailleurs. Je crois que la raison est à rechercher dans la relation qu'elle avait avec son fils. Pour elle, tout ce que faisait son fils était nécessairement bien. Elle était dans une démarche de soutien indéfectible à son fils. »

« Je suis ici à trois titres. Tout d'abord, en tant qu'avocat, juriste, car je pense que ce texte n'est pas adapté. Ensuite, en tant que citoyen. Il est bien clair que je refuse de participer à une société qui serait défendue comme souhaiterait le faire Monsieur le Procureur. Enfin, en tant que catholique, car je suis affligé » – Hervé Denis, avocat de Nathalie

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Son argumentation, pour les deux autres prévenus, va dans le même sens. Pour Tarik, il pense que le jeune homme a agi parce qu'il était en adoration devant son grand frère. Souleymane, quant à lui, aurait cautionné de manière ambiguë les agissements de son ami.

Ainsi, au terme d'une heure de réquisition, le magistrat demande un an de prison pour Tarik, dont six mois de sursis, dix-huit mois de détention pour Nathalie avec mandat de dépôt – c'est-à-dire une incarcération immédiate dès la décision du tribunal – et, pour Souleymane dont le casier judiciaire est déjà chargé, trois ans de prison avec mandat de dépôt.

Les trois avocats prennent la parole à 2 h 30. David Apelbaum, pour Souleymane, parle en premier : « Bien sûr que maintenant, ils disent qu'ils auraient pu s'en douter, et qu'ils s'en veulent. Sur le coup, ils ne l'ont pas vu, ils n'y ont pas cru, parce que c'est difficile de se dire que quelqu'un qu'on aime est en train de devenir un monstre. »

L'avocat cite ensuite toutes les jurisprudences qu'il a pu réunir. Il démontre qu'à chaque fois qu'un individu a été condamné dans des circonstances similaires, c'est parce qu'il avait envoyé de l'argent en Syrie à un individu déjà radicalisé, pour que l'argent serve à un but terroriste. Ainsi, au procureur qui avait indiqué en début d'audience que ce procès n'était pas une première – que, dans le Val-de-Marne, un père de djihadiste avait été condamné pour avoir envoyé de l'argent à son fils –, l'avocat rétorque qu'il s'agissait en réalité d'un père qui avait envoyé 10 000 euros en Syrie, précisément pour que son fils achète une kalachnikov.

Derrière lui, Matthieu Juglar, pour Tarik, souligne également que l'argent a été envoyé bien avant que Bellabas ne rejoigne l'État islamique, à un moment où il aurait très bien pu changer d'avis – et encore eut-il fallu que son avis soit déjà forgé à ce moment-là, ce que rien ne prouve.

À 3 h 15, Hervé Denis, l'avocat de Nathalie, prend la parole en dernier. « Je suis ici à trois titres. Tout d'abord, en tant qu'avocat, juriste, car je pense que ce texte n'est pas adapté. Ensuite, en tant que citoyen. Il est bien clair que je refuse de participer à une société qui serait défendue comme souhaiterait le faire Monsieur le Procureur. Enfin, en tant que catholique, car je suis affligé. Dans les trois cas, ce qui fait de moi ce que je suis se révolte profondément. J'irais même jusqu'à dire que j'en ai honte. »

Plus badin, il poursuit en regardant le procureur : « Quand je vous vois, Monsieur le Procureur, je ne peux pas m'empêcher d'être fasciné par votre imagination, votre capacité à créer toute une histoire à partir de rien, en réunissant des petits éléments à droite et à gauche et en les additionnant. » Au sujet de la démonstration proposée par le magistrat, il ajoute : « En fait, vous n'êtes plus procureur, vous êtes psychanalyste. Psychanalyste et romancier. Puisque vous semblez croire que Nathalie est une grande comédienne, vous devriez vous associer et monter des spectacles ensemble. »

Plus sérieux, il reprend : « Est-ce que vous avez la moindre idée de ce qu'a coûté cette procédure ? Dix mois de surveillance pour aboutir à quoi ? Cette personne ne représente aucun danger, aucun risque, et maintenant vous voudriez l'envoyer en prison, ce qui coûterait encore plus au contribuable. »

Pourquoi ? Selon l'avocat : « Pour l'exemple, parce qu'elle ne sera pas la première, elle ne sera pas la deuxième, elle sera le début d'une très longue série. » Pour l'avocat, il s'agit simplement de taper au-delà des djihadistes, sur toute leur famille, par pur esprit de vengeance.

« En tant que citoyen, vous avez dépensé mon argent pour rien. J'en ai marre que mes impôts passent là-dedans. Si vous ajoutez un malheur à un autre malheur, si vous condamnez cette femme, même pour le principe, je crains que nous ne soyons fort mal. »

Avant de lever l'audience, la présidente du tribunal laisse une dernière fois la parole à Nathalie : « J'ai encore et toujours confiance en la justice. Monsieur le Procureur, vous avez basé toute votre enquête sur le témoignage de Mme Marchal, quelqu'un qui a la haine contre moi. »

Il est quatre heures du matin quand l'audience est finalement levée. La décision du tribunal sera rendue le 28 septembre.

Emmanuel est sur Twitter.