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Le Christ est une femme qui vit à Chinatown

Eastern Lightning a des techniques de recrutement bien spécifiques au sein des communautés rurales en Chine : des apparitions soudaines de serpents recouverts d’inscriptions mystiques et d'étranges bâtons lumineux dissimulés dans les maisons censées...
Matt Shea
London, GB

La Jésus féminine, Lightning Deng (à gauche), et le fondateur de Eastern Lightning, Zhao Weishan. 

D’une certaine façon, Eastern Lightning (Lumière de l’Est) apparaît comme une organisation comique. Pour ceux qui l'ignorent, cette secte est guidée par la croyance que Jésus Christ s’est réincarné dans le corps d’une quadragénaire chinoise, Lightning Deng, qui vit dans le quartier de Chinatown, à New York. Eastern Lightning a des techniques de recrutement bien spécifiques au sein des communautés rurales en Chine : des apparitions soudaines de serpents recouverts d’inscriptions mystiques et d'étranges bâtons lumineux dissimulés dans les maisons censées prouver le retour de Jésus sur Terre (même si je ne suis pas sûr que la présence de Jésus parmi nous soit efficacement matérialisée par les trucs fluorescents qui servent à agrémenter une Tequila Sunrise).

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Des leaders chrétiens chinois mettent leurs fidèles en garde contre les méthodes de séduction employées par les femmes membres d'Eastern Lightning pour amener les hommes à adorer leur Jésus fait femme. Enfin, il y a le nom de la secte, qui évoque plus une boisson énergisante ou un groupe de reprises d'AC/DC qu’une secte. C’est sûrement pour ça que ces derniers temps, ils se font appeler « l’Église de Dieu Tout-Puissant ».

Nonobstant son côté comique, Eastern Lightning est tout ce qu’il y a de plus sérieux pour ses victimes. Cette secte est même plutôt terrifiante. Elle opère en infiltrant les églises clandestines (les églises chrétiennes classiques sont officiellement interdites en Chine), en intégrant la communauté afin d'en séduire, kidnapper, corrompre ou faire chanter les membres, qui se voient forcés de rejoindre la secte. Très organisée, Eastern Lightning compte plus d’un million de membres selon certaines estimations. Ses activités ne passent pas inaperçues ; le Parti communiste chinois (PCC) et Eastern Lightning se livrent, en toute discrétion, une guerre sans merci.

Quelques-uns des objets que les membres de Eastern Lighting cachent dans les maisons des personnes qu’ils souhaitent convertir.

À en croire Eastern Lighting, le Parti communiste chinois est l’incarnation de Satan – ils l'appellent le « Grand Dragon Rouge » –, et son influence signifie que la fin du monde est proche. Ça vous évoque sans doute une intrigue de jeu vidéo pété, mais dans un pays où la persécution des chrétiens s'accroît et où un nombre incalculable de chefs religieux sont emprisonnés ou « rééduqués par le travail », il n'est qu'à moitié surprenant que les discours religieux deviennent de plus en plus militants et virulents.

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Eastern Lighting est née dans les années 1990, date à laquelle son fondateur, Zhao Weishan, a fait la rencontre d’une femme à Zhengzhou, dans la province du Henan. La femme se faisait appeler « Lightning Deng » et avait écrit un livre, Lightning from the Orient (Lumière d’Orient), qui consistait en une sinisation des récits chrétiens. Les doutes persistent quant à savoir si les deux acolytes sont derrière toute l’histoire ou si Zhao instrumentalise Deng. On pense que le couple est actuellement réfugié dans le quartier new-yorkais de Chinatown pour « échapper aux persécutions religieuses ». De là, ils continuent de diffuser leur religion, à l’abri des représailles et de la colère du Grand Dragon Rouge. Eastern Lighting a été remarquée à San Francisco, où vit une importante communauté d’immigrés chinois.

Si la secte est restée relativement discrète dans son pays d’origine, elle a brièvement été sous les feux des projecteurs en décembre dernier, organisant des manifestations à travers toute la Chine au moment où l’Apocalypse maya devait avoir lieu. Wei Guangzheng, un architecte d’intérieur de 30 ans originaire de la province de Hebei, m’a raconté des histoires incroyables à propos de cette secte qui a commencé à s’implanter dans son quartier à la fin de l’année 2012.

« La plupart des membres vivent dans la campagne, sont peu éduqués et majoritairement sans emploi, a-t-il dit. Elles dansent ensemble, nues, planquées dans des caves – ce sont toutes des femmes – et allument de grands feux de joie. Quelques jours avant ‘‘l’apocalypse’’, un pasteur est venu chez nous lorsque ma mère s'y trouvait seule, en disant que la fin du monde approchait et qu’elle devait rejoindre Eastern Lighting si elle désirait être sauvée. Ma mère a répondu : ‘‘J’ai organisé une partie de mahjong avec des amis, je dois y aller. Je n’ai pas vraiment le temps de croire en Dieu, là.’’ Bien joué, Maman. »

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Des membres d'Eastern Lighting manifestent contre le Parti communiste chinois le 21 décembre 2012, pour coïncider avec la fin du calendrier maya.

Le Gouvernement a accentué ses efforts pour éradiquer la secte depuis les manifestations de décembre 2012, allant parfois jusqu'à soumettre des chrétiens à de violents interrogatoires en espérant débusquer des membres d'Eastern Lighting.

Dennis Balcombe, un pasteur américain de renom parti prêcher la bonne parole en Chine, a été libéré de son assignation à résidence quelques mois après son interpellation à l'occasion d’une opération de grande envergure sur les congrégations religieuses. Après avoir déterminé qu’il n’était pas membre d'Eastern Lighting, les autorités l’ont autorisé à partir. J’ai parlé de son expérience à Dennis, lui demandant notamment comment il avait vécu le fait d’être à la fois à la fois la cible du Gouvernement et de la secte :

« J’ai récemment été arrêté par le Bureau des affaires religieuses, après qu’un employé d’hôtel nous a dénoncés parce que nous avions tenu une conférence. Ils ont envoyé quelques dizaines de policiers pour savoir si nous étions ou pas des membres de Eastern Lightning, mais ils ont compris que ce n’était pas le cas et ils nous ont laissé partir. La paranoïa quant à Eastern Lighting n’a cessé de grossir suite à la prophétie maya du 21 décembre. Ils sont extrêmement violents et utilisent le sexe pour convertir les gens. J’ai entendu des histoires de chrétiens torturés, battus, à qui on ordonnait de tuer leurs enfants. Quand ils vous enlèvent, ils ne vous laissent pas sortir avant six mois, et pendant tout ce temps ils essaient de vous laver le cerveau. »

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Une représentation de la Parousie – le second avènement du Christ glorieux (cette fois en tant que femme chinoise) – tirée de la Bible de Eastern Lighting, Lightning from the Orient.

Quoiqu’il nous soit impossible de corroborer son témoignage, Dennis affirme que Eastern Lighting n’est pas seulement préoccupée par la religion, mais tire également profit de ses membres. « C'est comme une mafia. Ils ont déjà extorqué 100 millions de yuans (près de 12 millions d’euros), principalement à de pauvres paysans. Ils sont extrêmement bien entraînés. C’est comme un criminel qui infiltre votre église. Des leaders d'églises chrétiennes se sont vu offrir d'importantes sommes d’argent – parfois jusqu'à 150 000 yuans (18 500 €) – pour convertir leurs paroissiens. Le Gouvernement pense qu’ils reçoivent aussi de l’argent de l’étranger. »

Dennis m’a dit qu’en entraînant ses leaders via Skype, la secte avait réussi à s’étendre dans toute l’Asie, à implanter des bureaux à Hong-Kong, et qu'elle devenait « encore plus agressive qu’avant ». Il a récemment été confronté à quatre membres d'Eastern Lighting qui ont essayé de le convertir lors d'une conférence religieuse, à Hong Kong. Quand elles ont refusé de partir, Dennis a sorti son appareil photo pour montrer les clichés aux autorités, mais les femmes l'ont attaqué. Il a réussi à prendre un cliché et s’est enfui.

Selon Dennis Balcombe, un pasteur américain, ces femmes sont des adeptes d'Eastern Lighting qui l'attaquent durant une conférence à Hong Kong.

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En dehors des plaintes des communautés chrétiennes chinoises, les violences de la secte ne sont que rarement rapportées. Mais dans ces cercles, Eastern Lighting effraie. J’ai contacté le directeur de l’une des plus grandes communautés chrétiennes d'Asie mais il a refusé de me parler, de peur que la secte ne s'en prenne à lui. Il m’a dit que « beaucoup de Chinois pourraient commenter le sujet » mais qu’aucun n’accepterait d’être interviewé car « ce sont quasiment tous des chefs d’églises clandestines qui se cachent de la police ».

J’ai contacté un grand nombre d’anciens membres  dela secte, mais eux aussi ont refusé de dire quoi que ce soit, craignant que je ne sois en lien avec Eastern Lightning ou avec le Gouvernement. Plus je creusais, plus je réalisais que leur paranoïa était justifiée.

En 2002, Eastern Lightning a kidnappé 34 membres d’un réseau chrétien clandestin, le China Gospel Fellowship, et les a retenus prisonniers pendant deux mois. J’ai réussi à entrer en contact avec une missionnaire américaine, Hope Flinchbaugh, qui, lors d'un séjour en Chine, a rencontré un des leaders de la confrérie qui faisait partie des 34 personnes enlevées. Selon Flinchbaugh, les femmes de la secte ont séduit les pasteurs captifs et ont pris des photos compromettantes pour les faire chanter par la suite s’ils refusaient de se convertir.

Elle m’a appris qu'un pasteur avait été drogué et attaché pendant que deux femmes murmuraient dans ses oreilles des principes d'Eastern Lightning. Cela aurait duré toute une nuit. D’autres ont eu « les jambes brisées et les oreilles coupées ». Quand l’une des victimes a enfin réussi à s’échapper et à informer la police, tous les membres de la secte se seraient évanouis dans la nature sans laisser de traces.

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Aujourd'hui, la secte semble vouloir prendre ses distances avec sa réputation violente et a commencé à se construire une image plus positive. En se développant en dehors de la Chine, où elle n’est pas forcée de se cacher, Eastern Lightning a pu se montrer sous son meilleur jour, ouvrant des bureaux tout à fait légalement et continuant sa mission de conversion par le biais d'un site Internet flambant neuf ; dessus, on peut lire que ces histoires d'enlèvements sont en fait une action de propagande de la part du gouvernement chinois. « Le Gouvernement du Grand Dragon Rouge, dit le site, a utilisé toutes sortes de moyens cruels pour nous éradiquer dans le sang, répandant des rumeurs à travers tout le pays. Toute la Chine est devenue un lieu de terreur. » Ce même site web contient aussi une section appelée « Typical Cases of Punishement for Resisting the Almighty God » (Des cas typiques de punitions pour ceux qui refusent d’obéir au Dieu Tout-Puissant), qui comporte un récit sur Li X, une femme de 55 ans originaire de la ville de Ruzhou, et dont « le vagin a saigné et a craché de la chair pourrie » quand elle a supposément empêché les membres d'Eastern Lightning de prêcher dans son village. L’histoire se termine ainsi : « Quand son cercueil a été mis en terre, un éclair est soudainement descendu du ciel et s’est abattu sur la tombe comme un dragon enragé. »

Un homme non identifié a été kidnappé par Eastern Lightning. La partie supérieure de son oreille a été coupée – c'est le même traitement qu'auraient subi les 34 personnes kidnappées en 2002.

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J’ai contacté leurs bureaux à Hong Kong et à Macao. Tous les deux ont nié les faits qui leur sont reprochés et ont pris leurs distances par rapport au groupe qui œuvre sur le continent. Le porte-parole du bureau de Macao m’a dit avoir « entendu des histoires, mais je ne crois pas qu’elles aient un lien quelconque avec nos fidèles. Notre Église se concentre sur des principes universels comme la foi et l’amour de son prochain. C’est pourquoi je ne pense pas qu’un de nos fidèles ferait du mal à quelqu’un d’autre. Vous savez d’où viennent toutes ces histoires ? Du Gouvernement. Et que fait le gouvernement chinois en ce moment ? Il ne dit pas toujours la vérité sur tout. Notre foi implique que nous soyons justes et bons, nous ne pourrions pas blesser qui que ce soit. »

Un membre de l’Église de Hong Kong m’a dit : « Tout cela se passe en Chine, nous sommes à Hong Kong, donc nous n’entendons pas parler de ce qui se passe là-bas. Ce sont juste des histoires qui pourraient venir de n’importe où. Ces d’histoires ne sont que des rumeurs, on ne peut pas vraiment les commenter. »

Puisque Eastern Lightning s'apparente à Marlo Stanfield dans le game plus que complexe des messies chinois – la secte organise des rassemblements au dernier moment, utilise des noms de code et des téléphones portables enregistrés sous des faux noms, refuse de répondre aux questions de la police, fuit à la vue des forces de l’ordre, etc. –, il n'est pas surprenant que le Gouvernement échoue si lamentablement à les arrêter. Les plans d’évasion d'Eastern Lightning sont même détaillés dans un document appelé « Les mesures à prendre contre les espions du Grand Dragon Rouge ».

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Que mijotent exactement les espions du Grand Dragon Rouge ? En 2002, un document confidentiel du Gouvernement chinois a filtré et a été remis au Congrès américain par une ONG chrétienne américaine. Le document contenait un discours de Bi Rongsheng, le vice-directeur des Affaires religieuses du Bureau de la sécurité publique de la province de Heilongjiang. Dans ce document, le fonctionnaire chinois fait par de son inquiétude grandissante quant à Eastern Lightning, et évoque la nécessité, pour le gouvernement chinois, de « travailler plus et de parler moins pour réduire la secte au silence ».

Il poursuit : « Notre travail d’espionnage n’a pas réussi à atteindre le cœur de l'organisation et n'a permis de faire aucune découverte capitale, ce qui nous place sur la défensive. » Il s’inquiète aussi que cela ne « dérange définitivement les esprits des gens et ne mette en danger le règne du Parti ».

Il affirme le besoin urgent de « mettre en place de nouvelles forces secrètes et d’envoyer des agents infiltrés » et insiste sur le fait qu’« un procès public n’est pas approprié dans le cas de cette secte ». Il dit même craindre que certains membres de Eastern Lightning n'« aient déjà infiltré les organes du Parti ».

La Bible de Eastern Lightning (à droite)

L'histoire nous montre que le Parti communiste chinois a des raisons de s’inquiéter des mouvements apocalyptiques : la révolte des Taiping, au XIXème siècle, a déclenché une guerre civile et fait plus de 20 millions de morts. Mais le problème n’est pas si simple. Eastern Lightning est peut-être coupable de torture, de kidnapping, de sédition, d’extorsion de fonds à grande échelle et, dans certains cas, de meurtres. Mais le Parti l’est tout autant.

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Quand la Chine a décidé que le mouvement spirituel Falun Gong était un dangereux exutoire pour le mécontentement social qui grondait, en 1999, le Gouvernement a lancé une campagne de propagande gigantesque dans tout le pays pour les discréditer. Grâce à des méthodes illégales, il arrête les pratiquants et les oblige à se convertir, les condamne à des travaux forcés, leur fait subir des tortures menant parfois à la mort et des membres hauts placés tremperaient dans un trafic d’organes.

Comparé au mouvement pacifiste Falun Gong, la secte Eastern Lightning semble bien plus cruelle – et plus discrète. Mais étant donné l'état dans lequel se trouve le Falun Gong aujourd'hui, ces caractéristiques pourraient être sa force un pays où la persécution des chrétiens a augmenté de 125 % rien qu'en 2012.

Sous le feu des projecteurs avec son énigmatique femme Jésus chinoise et sa rhétorique haineuse envers le Grand Dragon Rouge, Eastern Lightning se bat et se révolte contre un Gouvernement tout aussi violent et véreux. Même si cela n’excuse ni leurs actions ni leur doctrine absurde, ça complique encore plus la situation. Tant que la Chine ne sera pas plus ouverte sur les pratiques religieuses, il est probable que la secte continuera de pousser vers les extrêmes les chrétiens du pays. Le Parti communiste chinois ferait bien de se souvenir de ce vieil adage avant qu’il ne soit trop tard : « Quand le peuple arrête de croire en Dieu, il ne croit pas en rien, il croit en tout. »

Toutes les images sont issues d’une vidéo diffusée gratuitement par le Bureau de sécurité publique chinois et destinée à avertir les pasteurs chrétiens en Chine du danger que représente Eastern Lightning. Vidéo utilisée avec l’aimable autorisation du pasteur Dennis Balcombe.

Traduction et compte rendu par Lui Cheng et Jack Barry.

Suivez Matt sur Twitter : @Matt_A_Shea

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