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FRANCE

D'où vient le « parrain » corse arrêté à la Défense ?

Jean-Luc Germani, présenté ce vendredi comme le bandit le plus recherché du pays , ou comme le dernier des parrains corses, a été arrêté jeudi en fin de journée en région parisienne.
Photo via Flickr

Jean-Luc Germani, présenté ce vendredi comme le bandit le plus recherché du pays , ou comme le dernier des parrains corses , a été arrêté jeudi en fin de journée en région parisienne par la police.

Dans une déclaration plus tard dans la soirée, Bernard Cazeneuve, le ministre de l'Intérieur français a indiqué qu'il se félicitait de « La détermination, la persévérance et la parfaite coordination des services de police qui ont permis de porter ce coup décisif au grand banditisme. » Cette arrestation met en effet fin à une longue cavale de trois ans pour, sinon un parrain, du moins une figure de premier plan dont la silhouette a dessiné tout un pan du crime organisé français de ces dernières décennies.

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Sa silhouette a changé pendant ces années de fuite. Une source proche de l'enquête a indiqué à l'AFP que les officiers qui l'ont arrêté dans une voiture dans le quartier d'affaires de la Défense, en région parisienne, ne l'ont reconnu que grâce au coup d'oeil aiguisé de l'un d'entre eux. « L'enquêteur l'a reconnu, malgré ses cheveux longs, la casquette et les lunettes qu'il portait. » Grossi et grimé, l'homme a reconnu son identité, celle d'un homme en fuite depuis juin 2011.

Âgé de 49 ans, Germani est présenté comme un pilier du crime organisé, statut qui lui vient notamment de sa proximité passée avec Richard Casanova, ancien ponte de la « Brise de mer ». Ce gang a été l'un des plus influents dans le grand banditisme français, à partir des années 1980, période à laquelle il supplante les anciens de la French Connection, autre gang immortalisé en 1971 par William Friedkin et son film The French Connection. La French Connection, appelée aussi la « filière corse » associait entre autres des milieux marseillais et new-yorkais dans un réseau de trafic d'héroïne via la France vers les États-Unis dans les années 1960 et 1970.

Le gang de la Brise de mer lui succède comme organisation criminelle corse d'importance et règne jusqu'à la fin des années 2000 quand une lutte fratricide a raison du groupe. C'est dans ce contexte que Richard Casanova est assassiné, en 2008. Le mentor de Germani était notamment soupçonné d'avoir été la tête pensante d'un des plus gros casses de l'histoire : le braquage de la banque UBS de Genève en 1990.

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Des sources judiciaires ont alors soupçonné Germani d'avoir ensuite, par fidélité au clan Casanova, engagé une série d'actions visant à la fois à le venger, mais aussi à lui redonner le pouvoir. Après sa mort, on retrouve plusieurs cadavres de membres du gang de la Brise de mer et en janvier 2011, Germani et ses hommes prennent le contrôle d'un cercle de jeu parisien, le Cercle Wagram, jusque là tenu par un autre clan corse. Soupçonné d'être la tirelire de la mafia corse, le lieu aurait servi à blanchir l'argent de la Brise de mer. La police intervient plus tard dans l'année, manque Germani à plusieurs reprises. L'homme disparait, on le dit réfugié en Afrique, en Italie ou en Corse. Il est condamné en octobre 2014 à six ans de prison et 100 000 euros d'amende dans l'affaire Wagram. Plus tôt, en septembre, la police a mis fin à la cavale de son associé et homme de main Stéphane Luciani, arrêté à Bastia en Corse.

Thierry Colombié est spécialiste du crime organisé, auteur notamment du livre La mort du juge Michel (juge d'instruction assassiné à Marseille en 1981) et La French Connection.

« Jean-Luc Germani est un personnage qui a la réputation d'être très violent, un meurtrier, » dit-il. « Aujourd'hui le fait qu'il soit en prison soulage très probablement des gens qui étaient des cibles pour lui. Ce n'est pas quelqu'un qui est dangereux pour la société civile. C'est un individu qui a pris un peu d'envergure au sein d'un groupe, les Bergers-braqueurs de Venzolasca (Haute-Corse). Pour des raisons historiques, ces gens-là se sont joints à la Brise de mer dans les années 1980-1990. Ils ont travaillé comme nettoyeurs ou racketteurs. »

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Le portrait que fait Colombié de Germani est certes celui d'un bandit qui est particulièrement intéressant parce qu'il incarne toute une histoire de la pègre Corse, mais le chercheur insiste sur le fait que les gros titres de la presse sont à côté de la plaque quand ils font de Germani un « parrain ». Tout d'abord parce que la structure même de la mafia corse, collège de familles qui se réunissent de façon non pyramidale, ne correspond pas au système « à l'italienne, de mafias comme la Cosa Nostra. » Ensuite parce que le profil de Germani, ne colle pas avec les activités classiques du parrain.

« Un parrain, c'est quelqu'un qui est installé depuis longtemps, » explique Colombié. Comme Germani, « Il a pu passer par le grand banditisme, mais une fois qu'il a amassé un pécule suffisamment important, il le réinvestit dans l'industrie du jeu. Il veut ensuite devenir un élément incontournable dans une ville, dans une région, sur les plans politiques, financiers ou sportifs. » Colombié note que Germani n'a pas opéré ce virage.

« Un parrain a une puissance financière et militaire très importante, qui lui permet de ne pas avoir de sang sur les mains, » continue-t-il. « Si l'on parle de meurtre, il délègue les tâches. Il n'a pas les mains sales. Comme on dit, c'est quelqu'un qui a des touches, un contact avec la sphère politico administrative, ce qui renforce sa discrétion et fait qu'il n'a pas besoin de partir en cavale, parce qu'il n'est pas inquiété. »

Après son interpellation, Jean-Luc Germani a été placé en garde à vue et devait être incarcéré.

Photo via Flickr

Mélodie Bouchaud a participé à la rédaction de cet article.

Suivez Etienne Rouillon sur Twitter @rouillonetienne