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Pourquoi la série Zelda a changé le visage du jeu vidéo, il y a 30 ans

L’historien du jeu vidéo, Nathan Altice, nous aide à comprendre pourquoi la Légende de Zelda a marqué si profondément notre génération.

Sortez votre ocarina et passez un coup de chiffon sur votre bouclier d'Hyrule : The Legend of Zelda a fêté ses trente ans hier.

Le 21 février 1986, Nintendo a lancé le premier jeu de sa série phare, Zelda no Densetsu :The Hyrule Fantasy, pour le Famicom Disk System. Un an et demi plus tard, la version américaine du jeu, The Legend of Zelda, était adaptée pour NES (Nintendo Entertainment System). Le succès fut immédiat, et aujourd'hui encore la série reste l'une des franchises les plus célèbres et les plus appréciées de l'histoire du jeu vidéo.

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Il pourrait sembler que, à moins de faire une visite au Temple du Temps, le petit Link en 8-bit ait bien changé depuis ses débuts. Si vous êtes un fan inconditionnel de Zelda, arrêtez de ruminer quelques minutes en évoquant les derniers épisodes de la série. Du prochain jeu Zelda pour Wii U en passant par le parc à thème Hyrule, l'esprit original de la série, s'il existe, a certes revêtu des habits inattendus.

Pour comprendre en quoi consistait cet esprit original et ce qui a fait son succès, je me suis adressée au chercheur en game studies, Nathan Altice, auteur de l'ouvrage I AM ERROR: The Nintendo Family Computer/Entertainment System Platform (MIT Press, 2015), qui étudie entre autres le contexte dans lequel Zelda a émergé.

Selon Altice, ce qui a différencié immédiatement Zelda des autres jeux disponibles à l'époque a été le choix de son support : Nintendo a décidé de l'adapter pour un système de lecture par disque (Famicom), qui disposait de plus de mémoire que les supports traditionnels. Cela a permis, par la suite, d'étoffer la complexité du jeu à un point qui ne s'était jamais vu jusqu'alors.

Famicom disk system. Image: Evan-Amos

« L'innovation technique la plus importante que pouvait se permettre un jeu comme Zelda était de passer à un support disque, » explique Altice. « Ajouter un périphérique hardware au Famicom a permis à Nintendo de multiplier par quatre la mémoire disponible pour ses jeux, et surtout, de permettre la réécriture de disque. Il en est sorti un monde très vaste peuplé de nombreux ennemis, objets, un monde plein de possibilités. »

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Le périphérique du Famicom a également permis à Nintendo de développer une fonction qui allait devenir essentielle au jeu vidéo : la sauvegarde. Trente ans plus tard, il nous semble tout à fait naturel de pouvoir jouer à un jeu pendant des jours, des mois ou même des années en le reprenant chaque fois là où on l'avait laissé, c'est-à-dire au point de sauvegarde. Pourtant, il a fallu attendre La Légende de Zelda pour que les éditeurs de jeux développent la fonction sauvegarde, qui a transformé radicalement la structure des jeux pour consoles, ainsi que l'expérience du joueur.

La disquette « nous a débarrassé du format de la session de jeu unique inspiré par l'économie du jeu d'arcade, nous amenant vers ce nouveau format à base de parties multiples et d'exploration d'univers qui fera le triomphe de la console de salon, » explique Altice. « Super Mario Bros., soigneusement remplis de fonctions et d'éléments secrets par les game designers, encourageait déjà à recommencer le jeu encore et encore. Il a posé les bases d'un style que Zelda, lui, a sublimé. Même les animations d'introduction montrent la différence : Super Mario Bros. s'ouvre sur une demo dans le style arcade qui montre de quelle façon bouge le personnage ; Zelda, lui, fait apparaître un titre sur un fond bucolique sans rien laisser paraître de ce qui attend le joueur. »

Évidemment, Nintendo a dû surmonter de nombreux défis techniques avant de pouvoir offrir sa vision idéale du jeu dans The Legend of Zelda, à savoir une aventure complexe dans un monde ouvert. Par exemple, l'entreprise a dû composer avec les Quick Disks fabriqués par Mitsumi : ceux-ci fournissaient la mémoire nécessaire, mais étaient plus lents à traiter les données que les cartouches pour ROM.

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Il a également fallu une longue réflexion pour organiser le jeu de telle manière que les joueurs ne se sentent pas frustrés par les temps de chargement très longs inhérents au format de disque choisi.

« Nintendo a dû décider avec soin du placement des écrans de chargement dans le jeu. Il ne fallait surtout pas hacher l'expérience du joueur, » précise Altice. « L'idée de les réserver aux transitions entre le monde extérieur et le monde souterrain était particulièrement pertinente. Dans la version disquette de Zelda, le chargement se faisait pendant l'écran noir de transition marquant la montée ou la descente des marches du donjon. Ainsi, Link pouvait naviguer entre les deux mondes sans que sa progression ne soit jamais ralentie par un écran de chargement en bonne et due forme. Cela ajoutait à la sensation d'immensité de l'univers, une sensation trop rare sur les consoles de salon. »

« Pour comprendre à quel point c'est important, regardez un jeu comme Relics: Dark Fortress ; la gestion de l'espace disque est catastrophique, » ajoute-t-il.

À partir de là, Nintendo a dû adapter l'édition Famicom à l'édition NES américaine de 1987 qui utilisait des cartouches plutôt que des disquettes. La fonction sauvegarde a été maintenue grâce à l'utilisation d'une batterie et d'une mémoire vive statique. Enfin, la mémoire de la console a été étendue grâce à la mise au point du premier système de gestion de mémoire de Nintendo, le MMC1.

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« La puce MMC1 (qui apparaît sur de nombreux jeux pour NES, comme Metroid et Kid Icarus) a permis de développer une technique dite de bank switching, qui permettait de 'faire apparaître' plus de mémoire en transférant des morceaux de mémoire, des 'banques' sur les parties inactives du support lorsque le jeu n'en avait plus besoin, » explique Altice. « Le MMC1 a permis aux cartouches de supporter des graphiques plus variés, et de transférer des données sur la NES plus rapidement que sur Famicom. »

Toutes des innovations technologiques ont permis d'obtenir une expérience de jeu qui semblait radicalement différente de tout ce qui se faisait auparavant. Ajoutez à cela les emprunts à des mythes et des tropes narratifs issus de cultures différentes, aux environnements raffinés influencés par l'enfance de Shigeru Miyamoto dans les forêts japonaises, et vous obtenez un jeu qui aura profondément marqué l'imagination du grand public.

Une cartouche NES de Legend of Zelda plaquée en or. Image: Dave or Atox

« Le jeu s'est construit comme un roman, avec une forme et une technique extrêmement réfléchies, magistrales, » ajoute Altice. « Son design ouvert, très mystérieux au premier abord, a ajouté à cette atmosphère fascinante qui caractérise les jeux Zelda. Les joueurs y pénètrent comme dans un mythe ancien. Cet effet a été repris, plus tard, par des jeux comme Dark Souls ou The Binding of Isaac. »

« Mais la popularité sans pareille de Zelda vient aussi de son histoire ; ses premiers fans, une génération entière de gamins qui sont désormais adultes, continuent à entretenir l'enthousiasme pour cet univers qui a tant façonné leur jeunesse, » poursuit-il. « Nintendo est devenu un maître dans l'art de recycler et réinventer sa propre histoire ; ils profitent de la nostalgie des joueurs, qu'ils renforcent à chaque nouvelle édition du jeu. »

En parlant de nostalgie, nous pouvons lever un verre, ou une fiole de potion, en l'honneur du 30e anniversaire de The Legend of Zelda. Selon les mots immortels de Sheik dans Ocarina of Time : « Le flot du temps est cruel… il s'écoule différemment en fonction des personnes, mais personne ne peut rien y faire. »

« Une chose qui ne change pas avec le temps n'est déjà plus qu'un souvenir d'autrefois. »