Abolissons l'argent, les impôts et la propriété pour fonder une techno-utopie

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Abolissons l'argent, les impôts et la propriété pour fonder une techno-utopie

Jacque Fresco, qui vient d'avoir 100 ans, rêve d'un futur idéal depuis ses 13 ans.

Jacque Fresco, architecte et futuriste, s'exprime par paraboles. S'il s'embourbe un peu trop longuement dans une histoire ou s'il digresse trop, sa compagne Roxanne Meadows, 40 ans, en revient aux faits pour le remettre dans le droit chemin de sa pensée. Fresco a eu 100 ans récemment, et il est certainement le plus vieux futuriste du monde - et l'un des plus connus. Son oeuvre majeure, c'est le Venus Project, un centre de 85.000 mètres carrés situés en Floride et constitué de bâtiments en forme de dômes que Roxanne et lui ont bâtis de leurs mains sur une période de plus de 35 ans. C'est dans ce sanctuaire, qui est également un centre de recherches, que Fresco organise toujours des séminaires chaque semaine, lesquels incluent une visite de dix bâtiments - dont certains abritent des centaines de modèles de villes du futur - qui montrent un monde futur où l'égalité et la technologie prévalent.

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J'ai rencontré Fresco ce mois-ci au Venus Project, et tout a commencé par l'impôt sur le revenu - quelque chose que je déteste profondément et que j'espère voir un jour disparaître. Fresco n'aime pas les impôts, lui non plus. En faisant des recherches en ligne sur les impôts, je suis tombé par hasard sur les oeuvres monumentales de Fresco : plus de 80 années d'essais, de conférences filmées, de livres, de documentaires, de modèles et de dessins architecturaux. La plupart de ses travaux tournent autour de son principe philosophique majeur : une économie basée sur les ressources, où les impôts, la propriété privée et l'argent auraient totalement disparu.

Dit comme ça, cela peut sembler fantaisiste ; mais plus je lisais les travaux et les idées de Fresco, et plus j'étais intrigué. J'ai vite compris que j'avais affaire à un homme doté d'une véritable vision, de surcroît assez proche de la mienne. Ma rencontre avec Fresco et Meadows s'est faite au meilleur des moments. Alors que j'approchais de la fin de ma campagne présidentielle (Zoltan Istvan est candidat du Parti Transhumaniste à l'élection présidentielle américaine, NDLR), je souhaitais donner une teinte plus futuriste au programme en 20 points du Parti Transhumaniste - en faisant de la prospective sur 50 ou 100 ans, plutôt que sur 10 ou 20 ans comme je le fais généralement.

Roxanne Meadows dévoile ses plans pour une ville du futur. Image: Zoltan Istvan

Au cours des vingt prochaines années, je pense que l'automatisation va détruire presque tous les emplois, et je doute que le capitalisme puisse y survivre. C'est pour cela que je propose de commencer dès maintenant à supprimer les impôts et mettre en place un revenu de base universel - qui se substituerait à l'État-providence, à la Sécurité sociale, et à tous les services de santé. Sans cela, je pense que les inégalités vont croître de façon dramatique, et que notre système de protection sociale sera plus embrouillé que jamais. Quand les robots auront pris tous nos emplois, je vois une guerre civile éclater - et même une révolution - si les entreprises et le gouvernement confisquent trop les ressources.

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Pour moi, l'aspect le plus important du futur, c'est tout simplement d'y parvenir sans trop d'encombres ; et je crains que si nous ne donnons rien aux gens sans emploi, notre société basculera dans la violence et le chaos. La dernière chose dont l'Amérique - et la communauté scientifique - ait besoin, c'est une guerre civile.

Certains experts pensent qu'une forme de communisme luxueux et totalement automatisé est la seule solution, et l'idée semble faire son chemin. En gros, elle consiste à dire que les humains devraient se laisser dorloter par la technologie, et que pour y parvenir, le communisme doit devenir le système économique dominant. Fresco n'est pas convaincu.

Il pense que si nous parvenions simplement à abolir l'argent et la propriété privée, la plupart des problèmes de l'humanité disparaîtraient. Et pour lui, seule une économie basée sur les ressources - une idée qu'il peaufine depuis l'âge de 13 ans - permettrait d'y parvenir.

Le Venus Project peut être décrit comme une sorte d'Eden futuriste. Image: Zoltan Istvan

Tentons de décrire cette fameuse économie basée sur les ressources : dans le futur, les robots feront tout le travail (y compris en créant de nouveaux robots et en réparant ceux qui ne fonctionneront plus). Imaginez maintenant que le monde soit un peu comme une vaste bibliothèque publique, où vous pouvez emprunter n'importe quel livre mais jamais le posséder. Fresco veut que tout fonctionne ainsi, qu'il s'agisse de produits alimentaires, de technologie, d'essence ou d'alcool. Il souhaite que tout soit libre et nous soit fourni par des robots, des logiciels et des automates.

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Le système imaginé par Fresco dépasse les cadres du capitalisme et du communisme, qui selon lui sont des systèmes économiques basés sur la rareté. Fresco rêve d'un système fondé sur l'abondance. Il pense que les ressources de notre planète pourraient largement suffire à l'humanité - et je suis d'accord avec lui. À vrai dire, mon projet de revenu de base universel repose sur le fait d'employer les ressources non-exploitées du gouvernement américain ; la moitié des terres de nos 11 États les plus occidentaux appartient au gouvernement, ce qui représente des billions de dollars de manque à gagner.

L'auteur (à droite) avec Fresco et Meadows. Image: Jennifer Huse

Bien que centenaire, Fresco a toujours l'esprit bien aiguisé. Il parle certes lentement, mais il est tout à fait capable de défendre son idée majeure. En l'écoutant, on sent immédiatement qu'on a affaire à un homme très spirituel. D'ailleurs, sa rhétorique a quelque chose de presque religieux. Il pense que l'argent est la racine du mal.

"Quand je rencontre un chrétien, dit Fresco, je lui demande : pourquoi la propriété privée devrait-elle exister sur Terre alors qu'elle n'existe pas au Paradis ?"

Mais Fresco n'est pas croyant. Comme moi, il est un athée convaincu. Et comme moi et des millions d'autres personnes, il pense que tous les problèmes peuvent être résolus grâce à la raison et à la méthode scientifique.

Il y a quelque chose d'ironique à ce que les idées de Fresco rappellent celles du Christ. Il défend un système ouvert dans lequel tout serait gratuit et équitable. Il défend même l'abolition des frontières, une idée que je soutiens également dans la mesure où notre monde est de plus en plus interconnecté et où les pays sont toujours plus proches les uns des autres - en dépit du Brexit.

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La question cruciale a été posée à Roxanne par un entrepreneur, à l'occasion d'une visite du Venus Project : "Tout cela est très intéressant. Mais comment passerons-nous concrètement à cette nouvelle société et à ce nouveau mode de vie ?"

Une économie basée sur les ressources, dans laquelle, un jour, plus personne ne travaillera et chacun aura tout ce qu'il désire, ressemble bien à une sorte de Paradis sur Terre.

Meadows lui a répondu : "Il nous faut tout d'abord bâtir une ville, une seule, pour montrer au monde entier comment cela pourrait fonctionner. Si nous parvenions à construire une ville futuriste et à montrer à tout le monde à quel point ce système est vertueux, alors le monde entier voudrait s'y mettre."

La Finlande expérimente depuis peu le revenu de base universel. Et sur tous les continents, on trouve des communautés qui s'essaient à d'autres formes alternatives de gouvernement, comme par exemple la communauté Mareki sur l'île de Vanuatu, qui n'utilise pas l'argent et a aboli la propriété privée - tout appartient à la communauté. Et par ailleurs, le Seasteading Institue, dont je suis l'un des ambassadeurs, tente de créer la première nation vraiment libertarienne.

Il est donc possible de créer de nouvelles formes de gouvernement, de nouvelles sociétés, de nouvelles villes. Fresco - qui a récemment reçu une distinction de la part des Nations Unies - a conçu de nombreux modèles pour sa toute première ville expérimentale.

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Et même si les robots et la technologie ne sont pas encore vraiment au niveau, Meadows croit que cette ville pourrait naître et fonctionner dès aujourd'hui.

L'architecture futuriste du Venus Project. Image: Zoltan Istvan

Elle m'a expliqué que "cette ville ne dépend pas de nos prédictions en matière d'automatisation. La plupart de ses aspects majeurs peuvent être mis en place dès maintenant, même si elle ne sera pas totalement automatisée."

De plus, les coûts d'une telle ville pourraient être assez réduits. Jennifer Huse, chef du digital du Venus Project, m'a expliqué que "la ville imaginée par Fresco coûterait moins cher à construire que n'importe quelle autre ville, puisqu'il suffit de concevoir un huitième de la ville - et de le dupliquer ensuite."

Les projets architecturaux de Fresco sont connus pour se connecter facilement les uns aux autres et être issus du même moule, ce qui les rend plus faciles et moins chers à créer.

Personnellement, je suis pour une telle ville. Imaginez à quel point il serait merveilleux et excitant de la visiter. Personne ne peut dire pour l'instant si une telle ville marcherait - et bien sûr, pour qu'une économie basée sur les ressources fonctionne vraiment, il faudrait que le monde entier s'y mette. Je crois néanmoins à la force de l'exemple et de l'initiative.

Il y a quelque chose de pourri dans notre monde et dans la façon dont nous nous traitons les uns les autres. Nous tolérons et subissons les guerres, les crimes, l'esclavage et la pauvreté depuis trop longtemps. Les idées de Fresco sont un bol d'air frais et souhaitent l'égalité et la prospérité pour tous - tout en nous promettant une vie plus excitante. Une économie basée sur les ressources, dans laquelle, un jour, plus personne ne travaillera et chacun aura tout ce qu'il désire, ressemble bien à une sorte de Paradis sur Terre.