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Sports

Mais qu'est-ce qu'ils ont ces fadas avec leurs kilomètres verticaux ?

La discipline consiste à grimper 1000m de dénivelé le plus vite possible à skis de randonnée l'hiver et en courant l'été. Décryptage d'un phénomène en pleine croissance.
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On se croirait à un carnaval sur neige. Malgré la fraîcheur inhérente à cette fin mars, il y a même des vahinés au milieu des bagnards, des tortues ninja et d'autres zguegs sur skis. Ça chambre, ça rigole pas mal au pied des pistes du Praz, en bas de la station huppée de Courchevel. On ne dirait pas que ces 500 personnes s'apprêtent à en chier comme rarement. Spatules équipées de peaux de phoques (pour ne pas glisser) aux pieds, tous sont inscrits à la dernière Verticale Race de ski-alpinisme de la saison sur le tracé de Courch', créée voilà quatre ans. Une course d'un peu moins de trois kilomètres, mais avec 500 mètres de dénivelé positif, à grimper donc. Assez pour brûler les cuisses et les poumons des meilleurs en un peu plus de vingt minutes et jusqu'à une heure et demie de picotements à remonter les pistes pour les autres. Un truc de bourrin pourtant attractif. « Même dans le mauvais temps, il y a de plus en plus de monde, année après année », remarque l'auteur du meilleur temps de la saison, Mathéo Jacquemoud.

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Cet été, la station savoyarde a remis ça à plusieurs reprises pour les coureurs à pied et les adeptes de trail sur son parcours intégral, avec 1000 mètres d'altitude à grimper. Le véritable kilomètre vertical, KV dans le jargon. Et dans les Alpes comme dans les Pyrénées, Courchevel est désormais loin d'être la seule de ces épreuves. Quasiment inexistante à la fin de la dernière décennie, la discipline connaît une croissance un peu folle. Un peu plus au sud, en Isère, Yvon Scremin a mis en place en 2009 une des premières épreuves dans l'Hexagone, inspirée de la mythique course de Fully, en Suisse. « Il n'a pas été facile de trouver 1000m de dénivelé, sans replat, mais mon regard s'est porté sur le Grand Serre, quasiment en face de chez moi, une bête herbeuse, pas belle, mais idéale », raconte ce dernier. Passé de 150 à 300 participants l'année passée, il en attend désormais 500 en octobre prochain. Nombre de pratiquants en augmentation, nombre d'épreuves sur la même pente, le phénomène des kilomètres verticaux pousse à grande vitesse. « On surfe sur une vague qui n'est pas prête de s'arrêter, estime Hervé Franchino, de Courchevel Sport Alpinisme. C'est un sport certes dur, mais accessible si on est bien préparé. »

Sur le plan hivernal, les Vertical Races sont apparues à la fin des années 90, avant d'être reconnues comme une discipline à part entière du ski-alpinisme, et représentent aujourd'hui plus de la moitié des courses de ce sport. Si l'attirance grandit, la nouveauté n'est pas non plus totale. « Il y a 20 ans, on en parlait déjà, mais ça ne prenait pas d'envergure », recadre Jean-Marc Garcia, responsable pour sa part de la discipline pour la Fédération française d'athlétisme (FFA). Son collègue de la FFA, responsable des courses hors-stades, Jean-Jacques Godard complète : « Les coureurs sont demandeurs de choses nouvelles ». Pour leur quatrième édition, les championnats de France de KV d'été ont eu lieu à Manigod (Haute-Savoie) le dimanche 16 juillet. Preuve du sérieux de ce phénomène croissant, le dénivelé du parcours de la commune des Aravis a même été certifié par un géomètre expert. Des stations estampillées "trail" sont également apparues, et avec elles des parcours de kilomètres verticaux balisés à l'année, autant pour grimper en basket, qu'en skis de randonnée l'hiver, à l'image de celui de Courchevel, première station dotée d'un tel équipement en 2012.

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Côté sportif, la bataille a fait rage à Manigod. « Ici, j'ai un record à défendre et un titre à conserver », nous avait confié Jean-François Philipot, vainqueur l'an dernier à Aulus, en Ariège. Pas manqué, nouveau titre et nouveau record. L'année passée, ce dernier avait couru pas moins de 26 KV, toutes saisons confondues. Venu au trail sur le tard, Jean-François a vite préféré la puissance brute de ces vives grimpettes aux hallucinations des ultra-distances. Certes bien plus court, l'effort n'en est pas moindre. « Il faut se donner à fond, le cardio monte vite très haut, au début j'avais beaucoup de mal à gérer, mais j'aime bien l'idée de faire un sommet et d'arriver le plus vite en haut, en gérant tranquillement sa descente », justifie ce Haut-Savoyard. Un effort « brut et intense », « bref et violent », dixit Jean-Marc Garcia de la FFA. Finalement, les pratiquants ne seraient-ils pas tout simplement un peu sado-maso ? « Tu es quasiment à bloc tout le temps, et c'est pour ça que des fois tu peux trouver ça plus dur qu'un 50 km, concède Mathéo Jacquemoud. Comme c'est en contre-la-montre, tu ne peux pas te cacher ni tricher. Dans la tête, si tu n'as pas envie de te faire un peu mal, ça ne sert à rien. »

Jean-François Philipot lors du championnat de France 2016. Photo Facebook Generation Trail.

Au-delà des brûlures dans les cuisses et des picotements dans les poumons, l'attirance des coureurs ne vient pas seulement de la gratifiante douleur recherchée. Dans le trail, les KV sont de plus en plus prisés pour l'absence de traumatisme. « En courant, je n'aime pas trop la descente, sauf quand c'est très technique, alors ne faire que la montée me correspond mieux », illustre Jacquemoud, skieur-alpiniste qui a déjà tout gagné. Nombre de coureurs aux genoux ou chevilles douloureux. D'autant que le KV permet de profiter un peu plus du paysage au moment de redescendre à la cool. « A Manigod, la montagne qui vous accompagne offre un spectacle extraordinaire, il n'y a pas que le défi non plus », estime Jean-Marc Garcia. La proximité de la nature, le panorama fou… Autant d'attraits supplémentaires.

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Pour les habitués du haut du panier, l'épreuve est même devenue une sorte de séance d'entraînement. Un moment pour s'évaluer. « Avec ton chrono, tu vois vite si tu as les cannes, valide Jacquemoud. Puis tu te prends au jeu, et tu veux toujours améliorer ton temps. En trail comme en ski-alpinisme, ça permet aussi de gagner en vélocité, en puissance, en rythme, ou en maintien de ta Vo2 max… C'est une très bonne séance et l'avantage, c'est que le lendemain, tu peux enchaîner tranquillement. » La courte durée de l'effort permet ainsi le renouvellement. D'autant que s'il est impossible de tricher, le KV nécessite aussi une certaine intelligence.

Mathéo Jacquemoud lors d'un Plum KV Courchevel. Photo Courchevel Sport Alpinisme

Preuve qu'ils sont joueurs autant que bourrins, les premiers s'amusent à rechercher le "negativ split" sur leurs épreuves, c'est-à-dire grimper plus rapidement la seconde partie que la première. Facile à dire… Moins à réussir. « Pour ma première participation au KV de Chandolin (en Suisse), j'étais parti dans les pas de Kilian Jornet et j'avais explosé dans la deuxième partie, alors l'année suivante, j'ai couru une minute moins vite sur la première moitié, trois de moins dans la seconde », se souvient Jean-François Philipot. Savoir rester dans la tête de course sans trop se brûler les pattes, une clé dure à enregistrer mais tellement révélatrice de la connaissance de soi.

S'il ne peut être abordé sans préparation, le kilomètre vertical comme la Vertical Race nécessitent nettement moins de sacrifices qu'un ultra-trail ou qu'une longue-distance de ski-alpinisme. Plus abordable, le KV est aussi plus facile d'organisation. Un moyen de développer ces sports en plein essor que sont le trail et le ski de randonnée. « Ça fait bouger le ski-alpinisme, ce sport dur et solitaire à l'origine qui est en train de se démocratiser, se réjouit Mathéo Jacquemoud. Les gens recherchent la liberté qu'ils n'ont plus forcément en ville ou dans leur vie. Le côté un peu aventure de ce sport attire. » Voilà une porte d'entrée vers le ski-alpinisme et le trail en quelque sorte. « Dans l'esprit, la Vertical Race n'est pas la plus fidèle au ski-alpi comme elle se déroule en station et qu'il n'y a pas de manipulations (enlever les peaux de phoque pour les descentes par exemple), pourtant, c'est un moyen de faire connaître », avalise Olivier Mansiot, conseiller technique national de la Fédération française de montagne et d'escalade en charge du ski-alpi.

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Un vrai atout. Le fer de lance, même, de ce sport. Une véritable star pour porter le KV encore plus haut. Du haut de ses 612 000 followers sur Facebook en attendant d'aller chercher le record de vitesse sur l'ascension de l'Everest, Kilian Jornet a déjà globalement tout gagné dans ces deux sports. « L'an dernier, on a réussi à le faire venir à la Verticale du Grand Serre (VGS) par un contact chez Salomon, son team, raconte Yvon Scremin. Et sur les forums spécialisés, on a clairement vu l'impact qu'a eu sa venue. » Pour continuer de grandir, la VGS veut jouer sur sa vitesse. Fort d'un fort pourcentage et d'une distance des plus courtes (pour le même dénivelé) de 1,8 kilomètre, l'organisation communique déjà sur le meilleur temps de France.

Killian Jornet lors de la Verticale du Grand Serre 2015. Photo Facebook Verticale du Grand Serre.

En attendant le record du monde, pour le moment réalisé en 29'42 sur les pentes de 1,9 km de long de Fully, en Suisse. « Mais si on a un forte densité, on fera mieux, le parcours a le potentiel, se persuade Yvon Scremin. L'an dernier, Kilian Jornet a donné des idées en terminant à 43 secondes (30'25) alors qu'il avait fait 30 000 mètres de dénivelé positif à l'entraînement les jours précédents ! » Pour attirer les meilleurs, la course disputée début octobre peut compter sur le soutien d'une marque, Yogi Tea, qui met en place une prime de record du monde à 2000 euros. Au fort potentiel médiatique, le KV a bien de quoi devenir un petit business.

Chapeautée par différentes organisations et labels dont la FFA et les Skyrunning séries, la discipline, côté trail, est en pleine structuration. Le débat actuel (en trail et pas en ski-alpi où la pente régule automatiquement la montée) concerne justement la longueur parcourue pour gravir ce kilomètre de hauteur. « J'aime ces épreuves quand elles font moins de 2,5 km, après ce n'est plus du KV mais de la course de montagne à mes yeux, tranche Mathéo Jacquemoud. Si tu vas plus vite en courant qu'en marchant, tu atteins la limite d'un KV. » A la volonté de toucher un milieu plus populaire, en réalisant notamment un challenge combiné hiver-été, Hervé Franchino dispose lui d'un parcours de 5 km de long à Courchevel. « Certaines courses sont tellement raides que ce n'est plus du trail, coupe-t-il. Les mecs ont des bâtons, marchent de haut en bas, si on n'a pas de norme, ça finira en escalade. »

La FFA en a conscience. « En tant que Fédération, on s'attache d'abord à la mission confiée par le ministère, à savoir ne pas avoir de matériel – comme les bâtons et les casques – et ne pas utiliser les mains pour grimper, clarifie Jean-Marc Garcia. Ce pourquoi on a fixé notre reconnaissance entre 3,4 et 5,4 kilomètres. » Un critère devenu obligatoire pour recevoir les championnats de France, pas pour faire vivre son épreuve. « Moi je préfère quand c'est court et raide, mais à mon avis ce n'est juste pas la même chose que de courir tout le long pendant 5 kilomètres », relance Yvon Scremin, en Isère. A l'avenir, les KV pourraient-ils ainsi se diviser en deux familles ? Dans son développement, la discussion arrive juste. « Comme la discipline est arrivée anarchiquement, c'est normal que cela prenne un peu de temps pour se réguler », reprend Franchino. Plein de nouvelles idées, Courchevel Sport Alpinisme espère maintenant doubler le nombre de ses participants. Challenge, défi, légèreté, le KV a la pèche. Hiver comme été.