« OK Computer » et la mort de l'industrie musicale
Photo : Goldberg/Wikimedia

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Culture

« OK Computer » et la mort de l'industrie musicale

Radiohead est peut-être le dernier grand groupe produit par l'industrie du disque du 20e siècle, celle que les gens regrettent quand ils disent que tout a changé avec l'arrivée de Napster.

Ben oui, toi. OK Computer a vingt ans. Ça fait drôle de le dire, mais c'est ça qui est ça – pis non, ça ne nous rajeunit pas. Comme à peu près n'importe quel autre mélomane de ma génération, j'accorde une importance symbolique démesurée au troisième album de Radiohead : ça fait probablement des années que je ne l'ai pas écouté et je m'en souviens encore sincèrement par coeur, parce que je l'ai littéralement fait tourner en boucle dans mon Discman pendant au moins une année, quand j'étais en Secondaire 2.

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À bien y penser, Radiohead est peut-être le dernier grand groupe produit par l'industrie du disque du vingtième siècle – celle que les gens regrettent quand ils disent que tout a changé avec l'arrivée de Napster, celle dont on évoque les chiffres de vente faramineux quand on dit que ça va don' mal en ce moment l'industrie musicale. C'est vrai qu'il ne s'en fait plus vraiment, des groupes de même; ça nous donne presque envie d'être nostalgique, pendant une minute, de l'âge d'or glorieux des major labels qui faisaient plein d'argent à vendre des disques…

Mais OK Computer, au fond, est aussi un symbole de la décrépitude du modèle qui en a permis l'émergence. Dans un article publié par Pitchfork pour célébrer le vingtième anniversaire du disque, le critique Barry Walters nous apprend que Parlophone envoyait les copies promotionnelles d' OK Computer scellées dans un cassettophone (mon autocorrect ne reconnaît même plus ce mot-là, je pense qu'ils l'ont officiellement enlevé du dictionnaire) pour faire comprendre aux rédacteurs que ça, c'était le genre de disque qu'il fallait écouter du début à la fin.

Radiohead, autrement dit, était le genre de band dont une compagnie comme Parlophone ne savait pas trop quoi faire – et qui venait de leur donner un disque avec un single de six minutes à promouvoir pis kin toi arrange-toi avec ça. Mais bon, ça l'air que quelqu'un chez Parlophone croyait en ce disque-là; assez, en tout cas, pour penser qu'il faudrait trouver un moyen de forcer les critiques de disque à l'écouter jusqu'à la fin. C'est beau pareil, la confiance.

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Ça fait drôle de dire ça quand on pense que trois ans plus tard, le même groupe allait sortir Kid A. Si l'un des plus grands classiques de l'ère alternative était considéré comme un invendable par les gens qui essayaient de le vendre, je ne veux même pas savoir ce que ce même monde-là s'est dit quand Radiohead leur est arrivé avec un maudit disque pas de guitares. « Va falloir faire croire au monde qu'ils l'ont enregistré sur Mars, celui-là. » C'est à peu près ça qui s'est passé et, à la surprise générale, ça a quand même marché.

C'est absolument vrai d'affirmer que l'industrie musicale « traditionnelle » a permis à des groupes ambitieux d'exister. On peut même spéculer et pourquoi pas avancer que, sans l'appui d'une grosse machine comme celle-là, ces groupes-là n'auraient pas pu exister. Pas à cette échelle-là, en tout cas. Mais on ne va pas se mentir, non plus : cette même industrie a toujours entretenu une relation ambigüe, méfiante et sceptique à l'égard de l'audace et de la créativité. Des groupes comme Radiohead (ou Nirvana ou Beck ou Sonic Youth, à cette époque-là) ont toujours eu à exister envers et contre tous à l'intérieur de ce système-là; et même si c'est vrai que créer sous la contrainte peut s'avérer inspirant, il ne faut pas faire comme si la structure qui créait les contraintes était la source de l'inspiration en question.

Tout ça pour dire que même si la liste relativement impressionnante d'albums qui fêtent leur vingtième anniversaire en 2017 nous rappelle que 1997 a été une bonne année pour la musique – peut-être pas du calibre de 1967 ou de 1977, mais quand même –, ça ne veut pas non plus dire qu'il faut virer réactionnaire et se mettre à s'ennuyer du bon vieux temps où les majors poussaient des bands comme Radiohead et Blur (qui, soit dit en passant, devait aussi faire suer tout le monde avec son album éponyme de britpop pas britpop pantoute qui canalisait Pavement et l'indie américain) sous prétexte que c'était mieux que maintenant.

OK Computer fête donc ses vingt ans et on peut dire qu'à sa manière, l'album a anticipé et précipité la chute de l'industrie qui l'a engendré. Même si l'histoire de la musique l'a aujourd'hui assimilé, même si en rétrospective c'est très clairement l'album de classic rock moderne de Radiohead, OK Computer reste un album subversif. C'est du moins dans ces termes-là que ça demeure le plus pertinent d'en parler, d'après moi. Sinon ça ne prendra pas de temps qu'on va juste sonner comme une gang de vieux pets nostalgiques pis on veut pas ça eh boy non on veut pas ça.