En cavale avec Jacques Mesrine
Une coupure de presse de La Nouvelle République.

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Crime

En cavale avec Jacques Mesrine

L’histoire des deux garagistes qui ont côtoyé l’ennemi public numéro 1 pendant six mois sans le savoir – jusqu’à ce que la police vienne frapper à leur porte.

Une porte vitrée orange se détache de la façade grise du bâtiment dont le dernier rafraîchissement doit remonter à plusieurs mois. Cet ancien garage automobile est situé dans une des rues donnant directement accès au château d'Amboise, à deux pas de la tombe de Léonard de Vinci et à quelques centaines de mètres du château du Clos Lucé. Composé de deux étages, la bâtisse laisse entrevoir dans sa partie inférieure, par le biais d'un portail métallique coulissant, les relents d'un temps où les mains et les fronts noircis s'affairaient sur les moteurs capricieux. Au fond, la lumière jaunie des néons se faufile entre les vieilles voitures, les outils, les jantes rouillées et les calendriers libidineux avant de venir effleurer de ses dernières forces le sol en terre battue.

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Fernand Martin-Dumagny, 82 ans, dépanneur automobile à la retraite et son frère Dominique, 71 ans, qui fait toujours tourner la boutique, se souviennent encore parfaitement de l'époque où ils fréquentaient l'un des hommes les plus recherchés de France. « Avec les dépannages, on croisait des gens comme lui tout le temps ! Ça m'est arrivé plusieurs fois de bosser avec un type que je retrouvais ensuite dans le journal, en pleine rubrique faits divers », en rigole encore l'aîné.

Malgré une forte médiatisation de son parcours et de ses actions criminelles, Fernand n'aura jamais eu l'ombre d'un soupçon sur l'homme barbu qui venait régulièrement lui rendre visite. Cet homme, c'est Jacques Mesrine. En 1979, il passe régulièrement au garage pour discuter un peu, faire changer un arbre de transmission ou effectuer lui-même quelques petites réparations. Presque quarante ans plus tard, les deux frères reviennent sur la rencontre de ce client en apparence comme les autres.


Tout commence en juin 1979, lorsque Fernand est appelé pour aller remorquer deux femmes embourbées en pleine forêt. Nous sommes en début de semaine, il est environ 9 heures du matin et quelques kilomètres à peine le séparent des deux automobilistes bloquées sur place depuis la veille au soir. En s'approchant de leur voiture, une Lada, il se rend compte qu'elles ont mis leurs manteaux de fourrure sous les roues, dans l'espoir de se sortir de ce bourbier. « Elles m'ont dit qu'elles avaient eu peur toute la nuit à cause du cri des chouettes ! », se souvient Fernand. Il lui faudra plusieurs tentatives pour parvenir à libérer la voiture avec sa dépanneuse. « Elle était pleine de boue, et j'ai tellement patiné qu'il y en avait partout. Après avoir dégagé la voiture, je leur ai proposé de venir au garage pour la laver. » Dans un premier temps, les deux femmes prennent la direction de Mosnes, à une dizaine de kilomètres d'Amboise, afin de rassurer leurs maris.

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Sans le savoir, Fernand vient de faire la connaissance de Sylvia Jeanjacquot, la compagne de Mesrine. L'autre femme est mariée à Michel Schayewski, l'un de ses derniers compagnons de route. Celles qui se présentent comme des journalistes de mode reviennent au garage en fin de matinée, afin de faire nettoyer leur véhicule. Fernand en profite pour les emmener voir la chouette apprivoisée qui vit en liberté chez ses parents. « Vu qu'elles avaient été terrifiées par le cri des chouettes, je leur ai proposé de venir voir de plus près à quoi ça ressemblait. » Schayewski, « le grand blond » comme il l'appelle, passe au garage l'après-midi même. Dans les mois qui suivent, il se rend sur place presque tous les jours. « Il arrivait en milieu de matinée, repartait vers 12 h 30 et revenait vers les 14 heures » se souvient Fernand. « Jamais on s'est étendu sur autre chose que l'automobile – il était vraiment à fond là-dessus. »

L'intérieur du garage de Fernand et Dominique Martin-Dumagny. Toutes les photos sont de l'auteur

Quelques jours après le dépannage, Mesrine apparaît pour la première fois dans l'encadrement de la porte du garage familial. Cela fait un peu plus d'an qu'il est en cavale après son évasion de la prison de la Santé, le 8 mai 1978. Il parle mécanique, modèles de voiture, regarde les mécaniciens travailler et finit par passer tous les samedis matin, toujours accompagné de celui qui pourrait être Charlie Bauer. « Il ne venait jamais avec sa femme. À chaque fois, ils restaient trois ou quatre heures. Ils ne se sont jamais présentés. Je n'ai jamais été leur demander ce qu'ils faisaient, et ils ne me l'auraient certainement pas dit ! » Dans son livre Ma vie avec Mesrine, sorti en 2011, Jeanjacquot raconte que « Michel avait une grande maison du côté d'Amboise, où nous sommes rapidement invités pour le week-end. Il se fait passer pour un homme d'affaires auprès des voisins. Dans le bureau, ils préparent leurs braquages. » Le « grand blond » croise régulièrement les gendarmes – et il a beau être en cavale, il ne s'empêche jamais de garder sa Renault 30 juste en face de chez eux. D'après Fernand, « il n'a jamais été emmerdé ».

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Quant à Mesrine, il ne se prive pas non plus d'aller régulièrement jouer aux cartes avec le boulanger de Rilly-sur-Loire et quelques habitués, au calme dans une petite auberge. C'est toute la volatilité du personnage qui se révèle une fois de plus. Capable le matin de jouer un client lambda, de se fondre dans le paysage, de ne pas éveiller les soupçons – et d'être le geôlier d'un ancien banquier octogénaire l'après-midi. Car c'est durant cette même période qu'il procède, avec Michel Schayewski, à l'enlèvement d'Henri Lelièvre, le 21 juin 1979.

Le jour du dépannage, les pseudo-journalistes ont expliqué à Fernand qu'elles s'étaient perdues en allant « chercher des cigarettes ». Ce n'est qu'a posteriori, en entendant parler du rapt par la Police Judiciaire d'Orléans, qu'il fait le rapprochement. Il les soupçonne plutôt de s'être égarées en allant ou revenant du Breuil, situé à une quinzaine de kilomètres au nord de Blois. Lelièvre y a été séquestré pendant plusieurs semaines, et ses geôliers avaient sans doute besoin d'un ravitaillement. « J'aurais dû me douter qu'à minuit, on ne peut pas trouver de cigarettes dans une forêt ! » Dominique ajoute même un détail surprenant : un des véhicules qui aurait servi pendant l'opération Lelièvre – une estafette – aurait été fourni « par la personne qui s'occupait de leur location, et qui était par ailleurs informateur à la gendarmerie d'Amboise. » Fernand en remet une petite couche en précisant que le type aurait fait partie du Service d'Action Civique. Lelièvre sera relâché le 28 juillet 1979, après que son fils Michel ait directement négocié avec les ravisseurs pour la remise de rançon – qu'on estime à six millions de francs. En octobre 1979, Jacques Mesrine et sa femme décident de partir en vacances. « Ils m'ont dit qu'ils s'absentaient pendant huit jours », se souvient Fernand. C'est à ce moment-là qu'ils demandent aux deux frères de venir chercher un moteur de Renault 30, chez eux à Mosnes afin de le vendre. Le frère cadet se souvient encore du prix. « C'était 1 000 francs, et elle m'a dit qu'on partagerait la somme une fois que je l'aurais vendu. C'est après que c'est parti en vrac à Paris – et je ne l'ai jamais revu. »

Environ une semaine après l'opération-spectacle de la Porte de Clignancourt, le 2 novembre 1979, une voiture s'arrête devant le garage familial. Pour Fernand et sa famille, « c'est le début des emmerdes ». Dominique évoque trois individus à la recherche d'un moteur d'occasion, et plus précisément d'un moteur de Renault 30. Ça tombe bien, il en a justement un stock. « Ils me disent que ça les intéresse et me demande s'ils peuvent me l'acheter. On va dans le bureau et là ils me sortent leurs cartes de policiers ! » La police judiciaire d'Orléans passe trois jours à inspecter le garage, questionner les salariés et montrer des photos sur lesquelles personne ne reconnaît le roi du déguisement. « Ils m'ont fait voir pas mal de photos, nous, on l'a connu barbu, donc après… En tout cas, ils n'ont pas du tout apprécié que je dise qu'il était gentil. » Dominique va jusqu'à parler de rapports tendus avec les policiers. Décrit comme quelqu'un de gentil, poli, forcément ce n'est pas ce que la police s'attendait à entendre. « En même temps, ce n'était pas écrit sur son front. Il payait parfois avant ou du moins donnait acompte, je ne vois pourquoi j'aurais eu quelque chose contre lui. »

Une fois les numéros de série vérifiés, les débats s'apaisent et les doutes s'évaporent car la voiture, dont la carrosserie ne sera jamais retrouvée, a été achetée légalement par Mesrine et ses complices. Malgré la découverte de la réelle identité de ceux qu'ils qualifiaient presque de copains, les propriétaires du garage restent sur leurs premières impressions. À aucun moment, Fernand n'a été soupçonneux à l'égard de Mesrine et son entourage. Ce qu'il pouvait voir, lire et entendre de Mesrine dans les médias avant de découvrir le pot aux roses ne le dérangeait pas plus que ça – et le fait de l'avoir connu l'amuse toujours un peu. Peu de temps après sa mort, ils graveront même le nom de « la vedette » sur les rails renforçant la pente d'accès au garage. « Je n'ai pas à le juger », conclut Dominique.