L’histoire du chômeur parti chasser un oiseau exotique dans une jungle luxuriante de Moselle
Toutes les planches sont tirées d'Histoires Croûtes. (c) Les Requins Marteaux

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Culture

L’histoire du chômeur parti chasser un oiseau exotique dans une jungle luxuriante de Moselle

Le dessinateur Antoine Marchalot raconte des anecdotes qui n’ont aucun sens, et il le fait mieux que personne.

Cannes, Pulitzer, Gérardmer, Grammy, Oscar, César, Pritzker, Deauville, Sundance, NRJ Music Award, Goncourt, Femina, Renaudot, Goncourt des lycéens, Turner, Berlin, Venise, Victoire de la musique, Locarno, Victoire de la musique classique, Nobel de littérature, Louis-Delluc – et j'en passe des millions d'autres. Vous en avez quelque chose à foutre, vous, des prix artistiques ? Moi non.

Après des décennies d'entre-soi et de copinage éhonté, plus personne – hormis quelques journalistes, quelques Parisiens et quelques névrosés du classement, souvent les trois à la fois – ne s'intéresse vraiment aux détenteurs d'une Palme, d'un Ours ou d'une petite statuette composée d'objets métalliques compressés. Malgré mon désintérêt généralisé pour des évènements mondains qui permettent aux pique-assiettes de briller une fois par an, je ne peux m'empêcher de jeter un coup d'œil à la liste des nommés dans le cadre du festival d'Angoulême – sans doute parce que j'éprouve pour la BD une sorte de tendresse enfantine qui me fait oublier toute acerbité. C'est donc avec grand plaisir que j'ai appris que la plupart de mes lectures préférées de l'année y figuraient, à l'image des Histoires Croûtes d'Antoine Marchalot.

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Tout récent trentenaire, ce dessinateur nourri au sein du collectif lyonnais Arbitraire s'est fait remarquer aussi bien par Le Monde que par les Requins Marteaux ou encore le Professeur Cyclope. Sa ligne directrice ? Dans la forme, aucune, tant son dessin est hétérogène. Dans le fond, un rapport évident à l'absurde, au jeu de mots, à la blague que vos grands-parents ne comprennent pas. Aujourd'hui, via une édition menée par les susnommés Requins Marteaux, Antoine Marchalot accède à la liste plutôt prestigieuse de la sélection officielle du festival d'Angoulême – en compagnie de deux-trois types assez connus, genre Riad Sattouf, Daniel Clowes ou Simon Hanselmann. Pour célébrer ce que j'imagine être un grand moment dans la carrière d'un artiste, et parce que les Histoires Croûtes défoncent, j'ai discuté avec Antoine de son boulot et de son rapport au grotesque – tout en n'oubliant pas de vous filer un extrait du bouquin, que vous trouverez à la fin de l'interview.

Couverture d'"Histoires Croûtes" d'Antoine Marchalot. (c) Les Requins Marteaux

VICE : Bonjour Antoine. Pour commencer, parlons de ta nomination en compétition officielle à Angoulême. J'imagine qu'il est toujours agréable d'être reconnu par ses pairs, non ?
Antoine Marchalot : Oui bien sûr, ça fait hyper plaisir. Je ne m'y attendais pas. Comme ce sont des histoires qui datent déjà – pour certaines – de quelques années, j'étais moins dans l'expectative avec ce livre. Ces histoires avaient déjà été publiées, avaient déjà vécu. Je n'ai pas la même pression que quelqu'un qui vient de bûcher pendant quatre années dans une cabane et qui livre son bébé en pâture au monde extérieur. C'est d'autant plus une surprise, et je suis super content – même si j'aime pas trop la compète.

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Pourquoi as-tu choisi de publier aux Requins Marteaux des histoires déjà publiées dans Professeur Cyclope en format numérique ? Le papier te manquait-il ?
En fait, les Requins Marteaux sont venus me chercher. J'avais déjà fait mon premier bouquin avec eux et comme Casterman – partenaire du Professeur Cyclope – n'avait pas voulu de mes BD, on a fait ça avec eux.

Et oui, je dois avouer que le papier me manquait. Après, je ne suis pas un fétichiste du papier, je travaille d'ailleurs quasiment tout à l'ordi. Je n'ai pas besoin de sentir le contact chaud du papier sur mon épiderme. Mais bon, s'il faut avouer que le format numérique payant a plein d'avantages – réduction des coûts de fabrication, facilité d'accès sur Internet – il a cet inconvénient de peu exister dans la durée. Du coup, c'était l'occasion parfaite pour donner une seconde vie à mes histoires.

Même en version papier, on sent l'influence du numérique dans Histoires croûtes, avec son format rectangulaire très « tablette ». Les images sont d'ailleurs uniquement disposées au recto. C'était voulu ?
Oui, tout à fait. Ces histoires ont été imaginées pour être lues case par case. Au début, on a essayé – par habitude et par économie – de les remonter en « planches » de 6 ou 8 cases par page, mais c'était infernal : trop de texte, des compos aléatoires, des changements de scène en plein milieu d'une page. Bref, un bordel sans aucun sens.

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Je crois que ce sont les Requins Marteaux qui ont proposé de pousser le truc plus loin et de retrouver vraiment cette sensation de la lecture sur écran. Sauf que cette fois mes potes peuvent lire mes BD aux chiottes.

Comme souvent, je fais n'importe quoi et j'improvise – parfois pas dans cet ordre.

Certains disent que nombre de tes dessins – et notamment la couverture d'Histoires croûtes – sont fortement influencés par le surréalisme. Tu es d'accord avec ça ?
Ouais, bien sûr. J'aime bien ce côté bizarre kitsch des surréalistes à la Tanguy ou Dali. Peut-être aussi parce qu'un jour mon père m'a amené dans son appentis et m'a montré les toiles qu'il faisait quand il était jeune. Elles ressemblaient pas mal à ça, c'est ma manière de reprendre la boutique. Sinon, il fallait que je devienne ingénieur et c'était trop compliqué pour moi.

Après, mes influences visuelles ne s'arrêtent pas là. Il m'est difficile de les citer toutes avec précision. Je dirais peut-être Gary Panter pour la liberté de ton graphique. Sinon, je pourrais citer Elvis Studio – avec Helge Reumann & Xavier Robel – Joe Daly, Pierre La Police, Bertoyas, Ken Price, Philip Guston, Anouk Ricard, Anna Haifisch, Michael DeForge, etc. J'en oublie énormément, notamment ceux à qui je pique des trucs que j'ai vus sur Tumblr. En même temps, ça sert à ça Tumblr – t'as qu'à te faire un Myspace si tu ne veux pas qu'on te pique des trucs.

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Sinon, pourquoi représentes-tu des animaux ayant forme humaine et des Hommes aux visages non-humains ? Ça te vient de Tumblr ça aussi ?
Comme souvent, je fais n'importe quoi et j'improvise – parfois pas dans cet ordre.

Je pense que je possède une sorte de catalogue inconscient et évolutif de formes, dans lequel je pioche à chaque fois qu'il faut dessiner un personnage. Dedans, tu peux trouver des gros nez, pas de nez, des petits yeux rapprochés, des gros yeux, une tête de chien, une tête de vainqueur, une boule de cheveux, un menton en forme de petit morceau de viande, etc. En fait, je joue à Monsieur Patate – Monsieur Patate pourrie, dirons-nous.

Pour ce qui est de mon amour pour la déformation des mots, outre le ressort comique évident, ça me vient peut-être de mes BD de jeunesse avec Arbitraire.

Tu as cette capacité à mêler grotesque et tragique, humour et drame, sans que ça soit réellement perceptible – un peu comme Roland Topor, en fait. D'où te vient cette volonté d'évoquer le monde qui nous entoure par l'humour grinçant et bizarre ?
C'est dur à dire. J'ai envie de répondre que c'est comme ça que ça sort.

Il serait malhonnête de ma part de dire que mon but est de dénoncer le monde qui nous entoure, que j'aime représenter les travers de mes contemporains, que je me sers de l'humour comme d'une arme – blablabla. Non, ce que je sais faire – du moins, j'essaie – c'est raconter des histoires drôles. J'ai toujours fait que ça. Après, rire c'est souvent se moquer, alors j'essaye de me moquer utilement.

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C'est vrai qu'avec Leumonde.fr, j'ai l'occasion de parler de trucs plus ancrés dans le réel, des trucs de société plus concrets, de politique. Plus tu t'y intéresses, plus t'as envie d'en parler, parce qu'entre les fachos, les réacs, les néo-réacs, le film plastique transparent, y a de quoi faire. Alors je fais des blagues là-dessus.

Et d'où te vient cet amour pour la déformation des mots, type « le Ouesterne » ? En lisant Histoires croûtes – une autre déformation – j'ai pensé à un truc assez bête mais qui en dit beaucoup sur la spécificité de l'humour : comment pourrait-on adapter ce bouquin en anglais ? Tu y as déjà pensé ?
Oui, j'ai traduit en anglais et imprimé moi-même une bonne partie de mon premier livre, Une vie de famille agréable, parce que j'allais dans un festival aux États-Unis. Je pense que c'était un fiasco. À mon avis, tu y perds vachement si la traduction n'est pas réalisée par quelqu'un qui trouve un moyen de réécrire le texte afin de retrouver le ton idiot des dialogues de base.

Par contre, le livre a été traduit en espagnol, et je n'ai aucune façon de vérifier comment ça rend. Après, je fais hyper confiance à Estocafich et Don Guillermo, les jumeaux qui ont créé la maison d'édition MISMA. Ce sont eux qui ont fait la traduction vers l'espagnol. Ils ont déjà fait des super boulots de traduction vers le français – notamment avec Anna Haifisch et Simon Hanselmann.

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Pour ce qui est de mon amour pour la déformation des mots, outre le ressort comique évident, ça me vient peut-être de mes BD de jeunesse avec Arbitraire. Je sais que mon pote Pierre Ferrero est bien friand de ce genre de jeux.

En école d'art, j'étais incapable d'enchaîner deux dessins qui se ressemblaient. Ça m'a pas mal complexé pendant longtemps. J'avais l'impression de pas trouver « mon style ».

Fanzines, recueils d'histoires courtes, illustrations pour des médias plus traditionnels : tu touches à tout. S'agit-il d'un choix voulu – celui de t'attaquer à différents formats – ou subi – lié à des impératifs financiers classiques ?
Eh bien, certainement un peu des deux. Je me lasse très vite, en fait. Varier les formats me permet de varier les styles et donc de m'amuser sans cesse. En plus, ça me permet effectivement de pouvoir bouffer à tous les râteliers, alors je dis banco.

Tu n'hésites pas non plus à changer de style à l'intérieur même d'une œuvre.
Ça, je sais pas d'où ça vient. Déjà, en école d'art, j'étais incapable d'enchaîner deux dessins qui se ressemblaient. Ça m'a pas mal complexé pendant longtemps. J'avais l'impression de pas trouver « mon style ». Maintenant, je m'en fous et je m'amuse autant que je peux.

Après avoir publié des strips dans Une vie de famille agréable, tu passes à un recueil de nouvelles plus longues dans Histoires croûtes. Ça traduit une évolution ou c'est dû au hasard ? Tu avais déclaré à Radio Campus avoir plus de mal avec les formats longs…
Cette évolution n'était pas du tout voulue. Professeur Cyclope m'avait demandé de faire des histoires de 36 cases environ. Comme je suis sage, quand on me dit de faire quelque chose, je m'exécute.

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Cet exercice était assez douloureux au début, mais comme ça permet de défricher des territoires inexplorés, j'ai eu envie de le faire. Pour l'instant, je n'ai rien dans mes cartons qui ressemble de près ou de loin à une histoire longue, mais j'ai certainement envie d'essayer.

C'est noté, j'espère lire ça très bientôt. Merci encore, Antoine !

Pour commander Histoires croûtes, c'est par iciPour consulter un extrait du livre, c'est juste en dessous. 

Suivez Antoine Marchalot sur son site et sur Twitter.

Le festival d'Angoulême aura lieu du 26 au 29 janvier.

Romain est sur Twitter.