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Culture

On parle de la vie en région, de nudité et de dépendance avec l’équipe derrière Écartée

« Y a pas juste du quétaine pis du vulgaire dans cette pauvreté-là. »
Toutes les photos : Coop Vidéo, Les Films du 3 mars

Lawrence Côté-Collins présente cet automne son premier film, Écartée, qui mêle les genres et qui se joue entre la fiction et le documentaire. Mené par un fort jeu d'acteurs non professionnels et une solide réalisation, le long métrage fait un clin d'œil au cinéma direct et à l'œuvre de Robert Morin, qui a d'ailleurs agi comme conseiller à la scénarisation.

À Rouyn, dans le quartier de Destor, le couple marié que forment Scott (Ronald Cyr) et Jessie (Whitney Lafleur) accueille Anick (Marjolaine Beauchamp), une documentariste qui s'intéresse à la réinsertion sociale de Scott, un ex-détenu. Avec en vue panorama une autoroute, les trois habitent ensemble dans une maison reculée où la télévision est toujours allumée. Scott s'isole. Jessie et Anick se lovent.

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Pour mieux comprendre l'objet particulier qu'est Écartée, des discussions se sont organisées entre chacun des acteurs et la réalisatrice du film. Nous avons parlé de processus de création, de prison, de monde des régions, de nudité et de l'importance de mettre de l'avant un travail réalisé au féminin dans un milieu qui peut se faire trop masculin.

VICE : Quel a été ton processus de réflexion autour du film ?
Lawrence Côté-Collins : J'avais envie de parler de dépendance. De dépendance affective, aux drogues et à l'alcool. Je me suis demandé qui pouvait rester dans une maison aussi loin de tout, mais si proche de la route. Je me suis imaginé des personnages. L'idée d'un ex-détenu. Tous ces petits morceaux sont arrivés un à un. Je les ai brodés ensemble pour arriver à donner ce gros bouquet de patente là. J'ai pas eu une démarche de base très standard.

Comment vois-tu les bases de la dynamique du couple Scott-Jessie?
L.C.-C. : Le détenu choisit d'aller s'enfoncer dans le bois parce que, quand tu veux arrêter de consommer, de faire des conneries, la meilleure façon, c'est de se sauver. Il se sauve pour se mettre à l'abri de ses propres comportements. Jessie, elle est partie directement de chez sa mère pour aller vivre avec cet homme-là. Elle a marié son père absent, son père mort, qu'elle retrouve en Scott. Elle est en complète codépendance avec lui. C'est comme si les deux étaient dans une prison, mais ensemble.

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Comment as-tu développé le personnage de Jessie?
Whitney Lafleur : Ça a macéré tout seul. Ç'a été concrétisé par des séances d'essayage avec Lawrence. Je suis arrivée avec des vêtements usagés, des cochonneries de mon adolescence. D'abord, Jessie a eu un look. Après, sa psychologie est venue naturellement. Y a beaucoup de femmes que je connais dans ce personnage-là : de mon adolescence, de mes expériences dans les restos et dans les bars… Jessie, c'est le vrai monde. C'est la clientèle de la Cage aux sports quand j'avais 14, 16 ans à Rouyn. C'est les filles de McWatters que j'ai vues dans le bus au secondaire.

Scott, l'ex-prisonnier, c'est Ronald Cyr sans l'être ?
Ronald Cyr : Effectivement, j'ai été en prison, j'ai fait du pénitencier. Lawrence m'a dit : « Tu vas t'appeler Scott, tu vas rester à Rouyn, tu vas être marié. » Y a rien de vrai là-dedans. Le vrai vient quand je parle de pêche, quand je dis que je vais aux rencontres des alcooliques anonymes, quand je parle de mon temps passé en prison.

Comment as-tu vécu ta propre réinsertion après toutes ces années derrière les barreaux?
R.C. : C'est difficile, la réinsertion. Ça prend beaucoup d'aide. C'est dans le mouvement des alcooliques anonymes que j'ai trouvé tout le support dont j'avais besoin. On s'entraide. Ils savent que j'ai eu une vie très dure, très mouvementée. Ils savent que j'ai mes faiblesses. Ils m'aident beaucoup à passer au travers. Comme pour le travail, c'est des membres qui m'engagent. Ils ont des compagnies. Là, je travaille dans la rénovation des maisons de prestiges avec un membre. À part de ça, j'essaie de mener une belle vie, de rester éveillé.

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Jessie et Scott forment un couple aux limites du mauvais cliché que les Québécois sont nés pour un petit pain. Comment se placer en tant que spectateurs devant cette approche ?
Marjolaine Beauchamp : Je viens des régions, j'ai écrit une pièce qui parlait de ça. Y a pas juste du quétaine, pis du vulgaire dans cette pauvreté-là. Y a aussi beaucoup de lumière. C'est délicat. Ça pourrait être des gens de Taram, de Notre-Dame-Du-Laus, de Buckingham en Outaouais. Ça peut être plein d'endroits où les possibilités qui sont reflétées sont limitées, à moins que tu sois fucking curieux.

Avec l'avènement des médias sociaux, de moins en moins de gens originaires des régions se sentent seuls, ostracisés. Cette réalité-là existe pareil, mais pas en tant que règle générale. Y a beaucoup de nuance à apporter. Il faut faire attention quand on dépeint ça. Oui, ça pourrait heurter quelqu'un qui vient de l'Abitibi et qui prend le film au premier degré. Dans le fond, c'est l'universalité de cette espèce de truc là. On ne parle pas nécessairement des régions, mais on parle d'accès à l'éducation, à la culture. Ça pourrait se passer dans Hochelaga.

Des rapprochements se font entre Jessie et Anick. Un désir de représentativité par une approche queer ?
L.C.-C. Jessie a une curiosité de vouloir découvrir autre chose. Anick vient la brasser, la manipuler. Son désir, à Jessie, c'est de plaire. Son mode de communication, c'est la séduction. Elle se fait prendre au piège d'une certaine façon, mais pour elle ça devient un jeu.

Si je peux te dire la vérité, j'ai déjà été avec des femmes. Ce n'est pas un tabou. Ce n'est pas un secret. Je trouve que le regard des femmes sur les femmes n'est pas assez présent. Spontanément, quand j'ai écrit l'histoire, j'avais envie d'écrire ça. Je ne prétends pas que je suis lesbienne. Quand j'ai fait mon film, j'avais envie de montrer qu'une femme peut regarder une femme d'une certaine façon. Parce que je trouve qu'on regarde souvent une femme à travers l'œil des hommes au cinéma. J'avais vraiment envie de montrer un point de vue féminin. La femme sur la femme.

Jessie se met à nu, littéralement. Ta nudité a été abordée de quelle façon?
W.L. : J'étais 100 % à l'aise avec ça. Ça faisait dix ans, que je m'empêchais d'user de nudité dans mon travail parce qu'en tant que fille, j'avais besoin de me faire valoir autrement. Je ne voulais pas tomber dans le piège, dans le jugement ou dans le facile. J'ai toujours apprécié une œuvre avec une nudité bien utilisée. Je l'ai embrassé dans une approche féministe.

J'aimais l'idée de montrer un corps vrai au cinéma. On a un cinéma très complexant. La fille montrée sur écran, c'est la comédienne qui n'a pas le choix d'être belle si elle veut des rôles. Sinon, c'est la toutoune de service. Je trouve ça extrêmement rare qu'on montre la « norme » de cette manière-là. J'étais même un peu plus chubby au moment du tournage. Je trouvais ça encore mieux. Au niveau des scènes de sexe, c'était super important pour moi de sentir qu'elles étaient pertinentes. Pour moi le film n'a pas été vendu avec le cul, et c'est une des choses qui compte dans la démarche.

Et je veux juste ouvrir une parenthèse en terminant, je n'avais jamais pris part à une organisation aussi matriarcale de toute ma vie. Ce sont toutes des femmes qui prennent des décisions entre elles pour l'équipe du film. D'être là à la première, assise à une table avec une réalisatrice, une productrice, une distributrice, une relationniste. J'ai vraiment une équipe de femmes jusqu'au boute du boute. Je trouve ça vraiment extraordinaire. C'est cool aussi que ce soit normal et que ça ne soit pas mentionné. J'aime le fait que ça soit ça, la norme de ce projet.