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Les Graffitis des enfants soldats libériens

Assassinats, viols et assassinats encore : les dessins morbides des combattants en bas âge d'Afrique de l'Ouest.

Toutes les photos sont de Tim Hetherington.

Les enfants soldats du Liberia ont propulsé le street-art à un tout autre niveau. Tim Hetherington*, lauréat du World Press Photo en 2007, a pris ces photos terrifiantes pendant le bain de sang que fut la Seconde guerre civile dans le pays en 20 ans, qui s'est déroulée entre 2000 et 2003. Ces gribouillis enfantins où l'on devine diverses scènes de viols, attaques, kidnappings et autres horreurs sont infiniment sinistres. Néanmoins, tout devient proprement déprimant lorsqu'on tombe sur une photo montrant l'infâme mention Room of Pain inscrite à la va-vite sur la porte d'un placard délabré. Tim nous a parlé du Liberia, des enfants soldats et de la scène graffiti libérienne.

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VICE : Que se passait-il au Liberia au moment où vous avez pris ces photos ?
Tim Hetherington : Le Liberia a connu une première guerre civile pendant les années 1990, jusqu'à ce qu'une figure de ce conflit, Charles Taylor, prenne le pouvoir en 1997. En 2000, un groupe opposant armé, le LURD, a à son tour remis en question la légitimité du gouvernement et le pays s'est de nouveau retrouvé à feu et à sang. En août 2003, Taylor a été contraint de fuir le pays et les Nations Unies ont alors lancé une opération de maintien de la paix. À ce moment-là, le Liberia était en ruines : il n'y avait plus de gouvernement, plus d'eau courante ni d'électricité, et plusieurs régions du pays étaient prises en otage par divers groupes indépendants d'hommes armés.

Avez-vous vu les personnes à l'origine de ces dessins ?
En 2003, je suivais les opposants du LURD dans leur évolution à travers le pays, jusqu'à leur assaut final sur Monrovia, la capitale. Les villes où avaient lieu les affrontements étaient systématiquement recouvertes de graffitis exécutés par des combattants – j'ai parfois assisté à cela. En plus de faire des dessins, certains écrivaient leur nom sur les maisons pour montrer qu'à partir de maintenant, elles leur appartenaient. Une fois la guerre terminée, il m'est arrivé de retomber sur ce genre de dessin, sans pour autant voir qui les produisait. Quand il y avait un nom ou un surnom, il était même possible de tracer la route du combattant à travers le pays.

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Sait-on s'il s'agissait d'enfants ou juste d'adultes pris d'une inspiration artistique soudaine ?
La guerre civile au Liberia est tristement célèbre pour ses enfants soldats. Lorsque Charles Taylor combattait dans les années 1990, il avait à ses côtés une unité spéciale, la SBU, pour « Small Boys Unit ». C'était en général des enfants kidnappés ou dont les parents étaient morts, et qui considéraient Taylor comme leur « papy ». Une fois, Taylor a dit d'eux : « on les arme pour leur éviter des ennuis ». Tout le monde sait que les enfants font de bons soldats : ils sont petits et n'ont pas peur. Ils n'ont ni cette responsabilité ni cette connaissance du monde qui vous ferait hésiter lorsqu'il s'agit de tuer ou d'être cruel. La plupart des factions rebelles s'en sont servis, souvent en les droguant au préalable.


Trailer de « Beasts of No Nation », disponible sur Netflix


Ces dessins ont-ils été faits dans des bâtiments dans lesquels vivaient ces « artistes » ?
On ne peut pas vraiment appeler les personnes à l'origine de ces dessins des « artistes » ; il s'agit plutôt de simples combattants qui avaient pris possession d'une zone en ville ou d'un village. Quand un groupe armé arrivait quelque part, il s'octroyait immédiatement le droit de tuer, violer et piller. Cette pratique était considérée comme une forme de compensation à leur engagement dans la guerre, qui ne leur apportait pas de quoi subvenir à leurs besoins – ils ne touchaient pas le moindre salaire. Ils arrivaient dans une maison et se l'appropriaient. Elle devenait la leur, ils écrivaient leur nom dessus, et s'ils trouvaient de quoi dessiner, ils recouvraient les murs avec.

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Avez-vous connu des situations particulièrement tendues pendant votre séjour là-bas en tant que photographe de guerre ?
Le Liberia a connu une période très sombre pendant la guerre civile. Beaucoup de personnes ont vécu dans la terreur et le bilan est estimé à environ 200 000 morts. Il n'y avait aucun système de loi ou de justice, seulement des hommes armés, qui ont tout mis à sac. J'ai vécu là-bas lors de moments terribles, mais j'y suis aussi resté pour voir ce pays s'affranchir peu à peu de l'entreprise criminelle qu'il était devenu. Toute personne ayant vécu là-bas pendant cette guerre y a été témoin de scènes infernales.

*Le photographe Tim Hetherington est décédé en 2011 en Libye, alors qu'il travaillait sur un reportage. Toutes nos pensées vont à sa famille.

Le film « Beasts of No Nation » de Cary Fukunaga et qui traite des enfants soldats en Afrique de l'Ouest, est disponible sur NetflixNetflix.