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Interviews

Le Jour où mon avion a été détourné

Michael J. Thexton raconte comment il a survécu au détournement du vol Pan Am 73 en 1986.

Le 29 mars, les gens ont été horrifiés en apprenant qu'un avion EgyptAir avait été détourné. Mais depuis, cet événement a suscité de nombreuses blagues. Le pirate de l'air en question, Seif Eldin Mustafa, a détourné l'avion vers Chypre en disant au pilote qu'il portait une ceinture explosive. Il a ensuite fait plusieurs requêtes aussi étranges qu'incohérentes. Quand il s'est finalement rendu (après avoir pris le temps de poser pour une photo avec un autre passager), il a été révélé que sa ceinture était fausse. Des représentants chypriotes et égyptiens ont déclaré que Mustafa était un individu instable, tandis que les internautes l'ont tourné en dérision sur les réseaux sociaux.

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Si cet événement a fait marrer beaucoup de personnes, la réalité d'un détournement d'avion est encore plus terrifiante qu'on ne peut l'imaginer. Pour en savoir plus sur ce que l'on peut penser dans une telle situation, on a contacté Michael J. Thexton, qui a survécu au détournement du vol Pan Am 73 en 1986.

Au cours de ce tragique événement, quatre membres du Fatah-Conseil Révolutionnaire se sont déguisés en agents de sécurité. Ils ont fait irruption dans un Boeing 747-121 en escale à Karachi, qui devait faire un voyage entre Bombay et New York. Les pilotes ont réussi à s'échapper, mais les pirates ont pris 361 passagers et 19 employés en otage pendant 16 heures. De son côté, Thexton a passé 12 heures sous la menace d'une arme, jusqu'à ce que les terroristes se mettent à ouvrir le feu sur la foule. Le bilan s'élève à 21 morts et 120 blessés. Thexton lui-même ne s'était pas rendu compte à quel point l'événement serait meurtrier – il ignorait complètement ce qu'il allait se passer. On lui a parlé de cette incertitude et il nous a raconté comment il avait vécu ce détournement.

VICE : Quand avez-vous réalisé que vous étiez en danger ?
Michael J. Thexton : Je n'avais même pas eu le temps de m'asseoir. Je venais de poser mon sac sur mon siège, quand j'ai vu un homme en train de se battre avec un membre de l'équipage. Il avait un pistolet dans la main. Je n'ai pas réagi tout de suite – j'étais tellement surpris que je me suis contenté de le fixer. J'ai entendu un bruit qui provenait de la porte par laquelle je venais d'entrer. Un homme en uniforme est arrivé avec un gros fusil. J'ai cru que c'était un agent de sécurité venu maîtriser l'homme que j'avais vu tout à l'heure. [Puis] quelqu'un a dit : « C'est un détournement, les mains en l'air. » Nous ne savions absolument pas ce qui nous attendait. C'était un sentiment d'incertitude terrible.

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Il y a eu d'autres détournements d'avion avant celui-ci – aviez-vous une image mentale ou une référence quelconque pour comprendre ce qu'il vous arrivait ?
Au début, je n'ai pas arrêté de me répéter : Les gens finissent toujours par s'en sortir. À l'époque, je n'avais jamais entendu parler d'un détournement où tous les passagers avaient été tués. Nous étions coincés au sol, dans un pays chaleureux et relativement bien organisé. Donc je me suis dit que ça allait bien se passer.

L'équipage a été très héroïque. Comment ont-ils réussi à vous faire rester calme ?
Tous ont fait preuve d'une grande dévotion – ils ont été incroyables. Jamais de trémolo dans la voix. Ils disaient des choses comme : « Mesdames et messieurs, merci de rester assis, où vous vous ferez tirez dessus », avec le même ton qu'on emploierait pour avertir les passagers que l'avion est en passe d'atterrir. Je crois que ça a achevé de convaincre chaque passager que tout le monde s'en sortirait.

Qu'en est-il des pirates ? Comment leur comportement a-t-il influencé votre manière d'agir ?
Au tout début, ils étaient manifestement très nerveux. Ils venaient de prendre un avion d'assaut et ne savaient clairement pas comment ça allait se passer. Tous les passagers des trois cabines situées au fond de l'avion étaient surveillés par deux des pirates. C'était avant le 11-Septembre – ils n'avaient pas besoin d'être plus. Je pense que nous étions tous persuadés qu'il y aurait plus de pirates – je me suis même mis en tête l'idée que l'un d'eux se trouvait juste derrière moi. Je ne sais pas du tout comment ça se déroulerait aujourd'hui, parce que quelqu'un essaierait probablement de résister.

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Photo par Kraipit Phanvut via Getty

Avez-vous envisagé de le faire ?
Non, pas vraiment. J'étais avec beaucoup de gens, et j'avais l'impression que ce ne serait pas nécessaire. Je m'étais dit que quelqu'un pourrait finir par être blessé, mais que je m'en sortirais. On se sent plus en sécurité quand on est en groupe. Mais quand ils m'ont isolé, je ne pouvais plus faire grand-chose. Je n'étais pas armé et j'étais terrifié.

J'y ai beaucoup repensé depuis le 11-Septembre. Je pense que si c'était arrivé plus tard, j'aurais essayé de les attaquer – et je suis certain que d'autres gens l'auraient fait aussi. Quand on est persuadé que la mort est proche, c'est tout ce qu'il nous reste à faire. Mais ce jour-là, je me suis senti impuissant.

Au bout de combien de temps vous ont-ils isolé ? Quand avez-vous commencé à craindre pour votre vie ?
Au début du détournement,j'ai regardé les deux personnes qui étaient assises à côté de moi. On aurait dit des Américains, et je me rappelle avoir eu une pensée assez brutale : Ils passeront avant moi. Les Américains sont moins appréciés que les Anglais. Je crois qu'à ce stade, chacun essaie de voir qui se trouve dans une position moins enviable que la sienne. C'est une caractéristique humaine très déplaisante.

Cela faisait à peu près trois heures que l'on nous retenait. Le leader a choisi un homme qui était assis côté couloir. C'était un Indien, mais il avait un passeport américain. Le pirate lui a tiré dessus et l'a jeté dehors pour nous prouver qu'il était sérieux. Le pire, c'est que je n'ai rien vu – j'étais en train de vaquer à mes propres affaires et je n'ai même pas entendu le tir.

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Ensuite, ils ont annoncé qu'ils allaient nous prendre nos passeports. Si j'avais eu un peu de recul, je m'en serai débarrassé. Mais j'étais tellement sous leur emprise que j'ai donné mon passeport [à l'hôtesse de l'air] en pensant qu'il y aurait surtout des passeports américains. L'hôtesse, qui était indienne, a pensé à la même chose que moi. Avec beaucoup de courage, elle a caché tous les passeports américains qu'elle avait récoltés. Quand elle est revenue avec un sac rempli de passeports, les seuls passeports américains qui s'y trouvaient appartenaient à des Indiens et des Pakistanais. Elle a réussi à les persuader qu'ils n'étaient pas leurs ennemis. Ensuite, ils ont appelé mon nom. Je n'arrivais pas à comprendre pourquoi ils m'avaient choisi.

Ils ne vous ont pas directement dit ce qu'ils voulaient, mais vous avez vite compris qu'ils avaient un motif politique et qu'ils visaient les Américains. Qu'est-ce qui vous a fait penser ça ?
Quand je les ai vus débarquer, je me suis dit que c'était peut-être des Pakistanais en train de mener une révolution. J'avais lu un magazine avant mon départ, et ça parlait de Benazir Bhutto, qui venait d'être autorisée à revenir au Pakistan et avait lancé un mouvement d'opposition contre un gouvernement proche de la dictature. Ça corroborait partiellement ma thèse – si c'était une revendication propre aux Pakistanais, ils ne s'attarderaient pas trop sur les étrangers.

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C'est bien plus tard que j'ai été appelé à l'avant de l'avion. Le leader s'est assis en face de moi et m'a dit : « Les Américains et les Israéliens ont volé mon pays », et c'est là que j'ai compris qu'ils étaient palestiniens.

Vous avez été mis à l'écart quatre heures après le début du détournement – lequel s'est étalé sur 16 heures. Comment se sont passées les 12 heures suivantes ?
J'étais agenouillé devant l'entrée de l'avion pendant que l'un des pirates faisait part de ses revendications. J'ai récité des prières dans ma tête et j'ai pensé à tous les gens que je laisserais derrière moi. J'ai réalisé que je ne voulais pas mourir en étant terrifié ou en colère. J'étais déterminé – je ne voulais pas ressentir de la colère ou de la peur envers les pirates. Après ça, la situation me paraissait moins terrifiante. J'étais sûr qu'ils allaient finir par me tirer dessus, mais je ne voulais pas les haïr pour autant. Je ne voulais pas qu'ils changent la personne que j'étais.

Le détournement s'est achevé de manière très violente. Comment vous en êtes-vous sorti ?
Pendant ces 12 heures, il s'est passé beaucoup de choses. Je me suis contenté de rester assis la plupart du temps. Je me suis même mis à piquer du nez [quand ils m'ont finalement ramené à la cabine]. J'ai senti qu'il faisait plus sombre et plus chaud, et j'ai pensé qu'il y avait un souci d'électricité. Je suis resté assis en me disant Je suis de retour avec les autres passagers, maintenant. Je peux m'en sortir. La tension était pourtant palpable : il faisait de plus en plus noir, et les pirates ont tous pris position dans l'avion.

Et puis les lumières se sont complètement éteintes et j'ai entendu un coup de feu. Je me suis accroupi au sol. On a entendu des rafales de tirs automatiques à quelques mètres, à l'avant. Puis la même chose, à l'arrière. On avait presque l'impression que ça venait d'ailleurs, ça paraissait très loin de nous. Ils ont vidé [leurs chargeurs] sur les passagers.

Puis j'ai eu l'impression que ça se calmait. Ce qui me paraît étrange, parce que ce n'était pas le cas. Des gens étaient en train de mourir à ce moment-là. J'ai finalement aperçu une porte ouverte située à l'extrémité de l'avion [par laquelle je suis sorti]. Le toboggan d'évacuation n'avait pas encore été sorti, mais je n'avais aucune envie de revenir dans l'avion. J'ai glissé de l'aile jusqu'au sol, ce qui fait quand même une petite distance. Mais j'étais déterminé à descendre.

Vous avez prêté plus d'attention aux détournements après ça ?
Oui. Et d'autres événements tout aussi dramatiques ont tendance à m'affecter beaucoup plus.

Comment gérez-vous cela ?
Ce que nous avons vécu n'est pas comparable au 11-Septembre. Tous ces événements sont affreux, mais d'une manière complètement différente. Je pense à toutes ces pauvres personnes et à quel point leur situation était pire que la mienne. C'est souvent pire pour les personnes qui se trouvent un peu à l'extérieur de tout ça – on s'inquiète de plein de choses. Au moins, on sait ce qu'il se passe quand on est à l'intérieur.