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LE NUMÉRO CLOWN

Circuit electric

Ça paraît idiot dit comme ça, mais je me suis récemment retrouvé à déambuler dans le Jardin des Plantes en plein été indien et c’était une expérience absolument magique.

Conrad Schnitzler : sept ans de malheur et un demi-siècle de génie musical dans l’ombre des krautrock stars ; Dean Meredith des White Light Circus, très Sea, Sex & Sun(glasses) sur la photo centrale ; Nurse With Wound, aka Steve Stapleton, testant un nouveau sextoy enduit de LSD ; La pochette top classe, signée La Boca Design, du dernier EP de White Light Circus.

Ça paraît idiot dit comme ça, mais je me suis récemment retrouvé à déambuler dans le Jardin des Plantes en plein été indien et c’était une expérience absolument magique. Cet invraisemblable éden botanique recèle des plantes hallucinantes, des fleurs d’une beauté irréelle et surtout une ménagerie où je n’avais pas mis les pieds depuis ma plus tendre enfance. Y sont préservées des espèces en voie de disparition dont j’ignorais même l’existence : des lapins géants avec un corps de renard, des chouettes duveteuses aux airs d’alien de Roswell, des volatiles ronds et plats comme des hiéroglyphes, des bisons à nez épaté de la taille d’un mammouth, des grenouilles fluo qui distillent un poison mortel… Non, ce n’est pas l’île du Docteur Moreau, mais bel et bien une enclave de verdure des années 1920 en plein Paris. À l’oreille, c’est un dépaysant mélange de caquètements polyphoniques, de hurlements d’hominidés et de braiements d’ânes en rut. C’est ce genre de bestiaire exotique que j’avais tendance à visualiser d’ordinaire en écoutant Nurse With Wound. Le dernier album en date, Huffin’ Rag Blues, moins dark qu’à l’accoutumée mais tout aussi branque, est rempli d’inserts easy listening qui dérapent vers un swing lounge vénéneux comme de la datura, avec la voix lascive de Freida Abtan qui susurre des romances maléfiques. Avec des titres comme « The Funktion of the Hairy Egg », « Ketamineaphonia » ou « Beetle Crawls Across My Back » (un vieux morceau que j’avais chopé il y a une quinzaine d’années sur une compil hommage à Hofmann, l’inventeur du LSD, et que j’écoutais en boucle en flippant de rester scotché), tu peux dire au revoir à tout repère rationnel et t’engouffrer avec un rictus pervers dans une ambiance fifties surréaliste à la David Lynch. Un fortune cookie m’a dit un jour que sans imaginaire, « la logique est à peine plus utile qu’un épouvantail dressé dans un désert de sable ». Pour prolonger cette gymnastique des neurones, mais avec tout le reste du corps qui bouge à l’unisson, je ne saurais que trop recommander les dernières sorties de DC Recordings, l’un de mes labels fétiches qui vire de plus en plus néo-psyché, le folklore babos en moins. Entre le dernier EP de White Light Circus, qui revisite avec Break the Circuit l’electrofunk early 80’s à coups de vocoder et de bleeps vrillés, et la dernière signature en date Twinkranes, succulente resucée avant-groove des Silver Apples à la sauce dublinoise, voilà de quoi surfer dans la Black Galaxy pour quelques heures. On devrait inventer le mot krautploitation, c’est un syndrome qui colle à la peau de pas mal de groupes actuels. D’ailleurs, ça commence un peu à me gonfler tous ces petits culs de blancs bien peignés qui ne jurent que par Can et Neu!. Eh, les gars, pourquoi vous obstiner à pomper une musique qui a été produite avec cent fois plus d’imagination il y a près de quarante ans ? Pour s’en convaincre, il suffit d’écouter la sélection de tracks de Conrad Schnitzler (1979-1988) réédités par Dompteur Mooner sur son label Erkrankung Durch Musique. Ancien élève de Beuys, Conrad Schnitzler est l’une des figures-clés du krautrock : il fut membre de groupes révolutionnaires comme Tangerine Dream, Kluster ou CON et a sorti plus d’une centaine de disques. Sa musique, radicalement d’avant-garde, anticipa à la fois Kraftwerk, la musique industrielle et toute l’electro expérimentale d’aujourd’hui. Ce génie avait juste cinquante ans d’avance sur son temps ! Whatever We Want, le label new-yorkais tellement culte que leurs prod introuvables me filent à tous les coups entre les doigts, n’avait pas donné signe de vie depuis quelques mois, et vlam, voilà qu’une cascade de maxis, englués dans un funk salace, déferlent sur mes platines. C’est fyèrté-plézir, comme on dit en créole. Au programme : Dr. Dunks, Bobbie Marie et surtout The Laughing Light of Plenty, alias Eddie Ruscha et Thomas Bullock. Thomas est un chic type, c’est lui qui gère le label comme il l’entend (c’est-à-dire avec une attitude de branleur stratégique, produisant des disques à 700 exemplaires qui s’arrachent ensuite sur Ebay). Quand il ne s’occupe pas d’écumer les clubs avec Rub ‘n’ Tug ou de gratouiller du blues-rock baléarique avec DJ Harvey – le godfather de la disco sarcastique –, ce vétéran du Wicked Crew écluse du rhum au soleil et compose en studio de fabuleuses excursions disco psychédéliques. « The Rose » est un trip épique plein de breaks inattendus surplombés par une voix Madchester-style et un moog en roue libre qui me colle des montées de bodyheat et me met la libido dans le rouge. Imagine un Syd Barrett revenu en grande forme du Royaume des Ombres avec un mojo régénéré. Incontestablement l’un des singles de l’année, mais accroche-toi pour le trouver ! Sur la face B, « Mother for You » fait plutôt songer à un croisement entre Harry Belafonte et Kid Creole jammant sous acide dans un boui-boui caribéen. Comme disent les Anglo-Saxons, un must have, avec plein de points d’exclamation derrière. NURSE WITH WOUND – Huffin’ Rag Blues (Dirter Promotions)
WHITE LIGHT CIRCUS – Break the Circuit (DC Recordings)
CONRAD SCHNITZLER – Electronic Avantgarde! (Erkrankung Durch Musique)
LAUGHING LIGHT OF PLENTY – The Rose (Whatever We Want)