Cet article a été initialement publié sur Waypoint.Cela peut sembler étrange, voire absurde : des taulards tatoués s'adonnant aux joies des jeux de rôle. Pourtant, aux États-Unis, un paquet d'anciens détenus et de gardiens de prison toujours en exercice vous le diront : jouer à Donjons et Dragons (D&D) n'a rien d'une exception derrière les barreaux. Selon Micah Davis, ancien détenu et maître de donjon au sein d'une prison texane, « une table dédiée existait dans notre salle de détente. Il y avait une table pour la fraternité aryenne, une table pour les mafieux mexicains, une table pour les Noirs, et une table pour jouer à Donjons et Dragons. Ça en dit long. »
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Si certains étaient des joueurs de Donjons et Dragons invétérés avant même d'être incarcérés, d'autres n'avaient jamais entendu parler du jeu de rôle avant de finir derrière les barreaux. Pourtant, la possibilité de se réfugier dans un univers où cohabitent des êtres fantastiques a permis à bon nombre de néophytes de s'évader pendant de longues heures d'une routine avilissante.D&D a tellement convaincu les détenus que certaines prisons ont mis en place des règles régulant le jeu. Si vous avez le malheur de finir un jour dans la prison d'État de l'Idaho, voici les règles auxquelles vous serez confronté :
Même lorsque les jeux sont autorisés, dans les faits, ils peuvent se révéler complexes à mettre en place – surtout quand les dés sont interdits, ce qui est le cas dans la plupart des prisons, désireuses de prévenir l'apparition de cercles de jeux.Évidemment, l'inventivité humaine ne s'en laisse pas compter. L'inventivité et, dans un tel cas de figure, l'ennui. Afin de contourner toutes ces interdictions, de nombreuses inventions ont vu le jour – des dés alternatifs, des « roulettes », le tout à partir de batteries de téléphone ou encore de trombones.Les activités suivantes sont interdites. Tout contrevenant s'expose à des poursuites disciplinaires.
– Jeux de hasard ou d'argent
– La fabrication de dés, dominos, jeux d'échecs, cartes, ou n'importe quel autre jeu
– Les jeux de rôle (exemple : Donjons et Dragons)
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LES DÉS FAIT MAISON
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Si un dé créé à partir d'un simple papier cartonné peut avoir du mal à rouler à cause de sa légèreté, les solutions existent : du sel de table, du détergent, ou encore du sable.Un ancien détenu d'une prison de l'Ohio, qui se fait appeler « Pariahdog119 » sur Reddit, nous décrit le procédé : « Il vous faut plusieurs choses : un patron de dé, du papier cartonné assez fin (une boîte de crackers peut faire l'affaire), du sable fin (plus c'est fin, mieux c'est – évitez la saleté), de la colle, un peu de peinture, et du vernis (que vous chopez grâce aux détenus qui bossent dans un atelier). Après ça, vous découpez le papier cartonné en utilisant le patron. Vous peignez et ajoutez les numéros. Vous pliez et collez en laissant une face ouverte. Vous laissez sécher, puis vous remplissez le dé avec du sable. Vous vous assurez qu'il est plein. Vous fermez et collez. Vous ajoutez plusieurs couches de vernis pour sceller le dé et protéger les couleurs. Surtout, évitez de lancer brusquement le dé – il exploserait. Faites le rouler doucement. »De nombreuses autres techniques et matériaux existent, du savon à l'aspirine en passant par un déodorant. « Le plus difficile est de se souvenir où placer les numéros, sur quelle face », selon Gabriel R., ancien détenu d'une prison sise en Pennsylvanie.
Derrière les barreaux, Gabriel a fabriqué un dé à partir de l'une des ressources les plus accessibles en prison : le papier toilette. « Vous n'avez pas besoin de colle, juste de papier toilette, résume-t-il. En fait, il suffit de le plier à de nombreuses reprises et de le compresser, puis de l'humidifier et enfin de le positionner dans un recoin, comme un rebord de fenêtre. Il faut simplement recommencer ça à de nombreuses reprises : humidifier certaines faces, puis caler le tout dans un coin. Au final, vous avez un dé presque parfait. »
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De ses années de prison, May ne se souvient pas avoir assisté à une quelconque embrouille à cause d'un simple dé : « Franchement, on n'a jamais emmerdé personne à cause d'un dé. Le seul truc, c'est qu'au cours des fouilles, les gardiens balançaient tout ce qui n'avait rien à faire dans la cellule, et les dés en faisaient partie. Ça arrivait une fois par semaine, ou par mois, ou quand quelqu'un faisait une overdose. »« Pariahdog119 » vous donne un conseil plus global : « Si vous finissez un jour en prison, et que l'administration interdit Donjons et Dragons, dites aux gardiens que vous jouez à Pathfinder. Ils sont généralement stupides et ne savent pas que c'est peu ou prou la même chose. Surtout, ne jouez jamais avec un dé à six faces – si vous avez besoin d'un tel dé, construisez-en un avec 12 faces, et écrivez chaque chiffre deux fois. »
ROULETTES
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Sur la photo ci-dessous, vous pouvez admirer comment Bryan Hibbard, ancien détenu dans une prison de Floride, a réussi à fabriquer sa propre roulette à partir d'une pile et d'un trombone. « Vous pouvez acheter des piles si vous avez de quoi payer », rappelle-t-il.
Anciennement incarcéré dans une prison militaire américaine située en Corée, Thommy « Uewneeq » Irvine explique comment il a réussi à créer une roulette unique à partir de gobelets en polystyrène. « Nous utilisions deux gobelets, résume-t-il. Sur l'un d'eux, nous inscrivions cinq séries de chiffres sur l'ensemble de la circonférence du gobelet – tout en bas, nous allions de 1 à 4, puis plus haut de 1 à 6, puis de 1 à 8, de 1 à 10 et enfin de 1 à 20. Après cela, nous percions des petits trous dans l'autre gobelet, et insérions le premier gobelet dans celui-là. En fin de compte, le maître de donjon tournait le gobelet extérieur jusqu'à ce que le joueur dise stop, puis alignait les petites fenêtres sur les chiffres. »
CARTES À JOUER
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Après, vous pouvez également vous contenter de la bonne vieille méthode en écrivant sur des petits bouts de papier des chiffres de 1 à 20.
CARTES, FIGURINES, FEUILLES DE PERSONNAGES
Micah, lui, raconte que les feuilles de personnages étaient intégralement rédigées à la main, comme le prouve la photo ci-dessous, mettant en avant un contrat rédigé par un certain « Hate » dans le cadre d'une partie de Pathfinder. « Le pauvre a dû recopier ce truc 10 fois », se souvient Micah.Jeremy George, ancien gardien dans une prison texane, est de ceux qui étaient capables de comprendre qu'un tel courrier n'avait rien à voir avec un pacte avec le Diable – ou avec une lettre cryptée. Joueur invétéré, il a même dû défendre certains détenus face à quelques matons peu au fait des us et coutumes de D&D. « Un jour, durant un confinement dans les cellules, alors que l'on fouillait les affaires des détenus, un gardien haut placé a trouvé une carte hyper détaillée. De suite, il s'est dit qu'il s'agissait d'une carte pour s'évader – j'ai rapidement compris que je devais intervenir et lui ai expliqué qu'il s'agissait d'une banale carte de D&D. Après ça, il m'a traité de nerd pendant pas mal de temps. »
En observant les détenus en pleine partie, Jeremy a compris que pour eux, il ne s'agissait pas seulement de passer le temps, mais surtout d'apprendre à travailler en équipe, à construire un personnage. « Je suis toujours persuadé que les jeux peuvent aider à la réinsertion, à combattre le développement des troubles psychiatriques que l'on note un peu partout aux États-Unis. » De fait, il a toujours tenu à encourager les détenus-joueurs. « Je m'arrêtais et prenais le temps d'expliquer à mes collègues ce qui se tramait. Les jeux m'ont également permis d'être respecté par les détenus. Ils savaient que je jouais, et me demandaient parfois de leur expliquer les dernières nouveautés. »Suivez Muira sur Twitter.