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société

Don de sperme : ces types qui mentent juste pour coucher

Mais ils oublient souvent que leur rapport sexuel donnera (probablement) naissance à un enfant.
Téléphone portable d'une demandeuse
Illustration:  Cute Brute pour VICE FR

On peut appeler ça la face cachée du don de sperme illégal. Et elle fait froid dans le dos. Alors que la France s’agite sur la question de la Procréation médicalement assistée (PMA) pour toutes, un autre débat ressurgit : l’attente interminable des couples souhaitant un don de sperme. Pour 3 500 demandes de PMA par an en France, l’Agence de biomédecine ne compte que… 400 donneurs. Aujourd’hui, un couple hétérosexuel infertile patiente environ un an et demi afin de bénéficier d’un don. L’ouverture à la PMA aux couples de même sexe ne devrait qu’allonger ce délai. « Il faudra trouver les moyens d’aller chercher un tout autre type de donneurs et nous sommes incapables de définir la future durée d’attente », s’inquiète Nathalie Rives, présidente de la fédération des Centres d’étude et de conservation des oeufs et du sperme (CECOS), qui gèrent les stocks de nos gamètes en France.

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Cette pénurie a créé, malgré elle, un marché parallèle du don de sperme. Et ce marché est en pleine expansion. Dans ce milieu, à l’inverse des centres « officiels », personne n’est censé être anonyme. Parmi les demandeuses, on trouve principalement des femmes et des couples de femmes – nous avions discuté d'ailleurs avec certaines d'entre elles il y a quelques semaines. Les donneurs y proposent leur méthode d’insémination : elle peut être artisanale (à l’aide d’une pipette à Doliprane), semi-artisanale (méthode du last-minute : la pénétration a lieu juste avant l’éjaculation), ou naturelle (rapport sexuel en bonne et due forme). Le marché du don de sperme parallèle est bien plus ancien qu’on ne le croit. Avant, les demandeuses faisaient appel à un ami de la famille ou au valet de chambre. La grande différence aujourd’hui, c’est que les gens ne se connaissent pas forcément. L’explosion de ce phénomène sur les réseaux sociaux a permis le rapprochement anonyme de parfaits inconnus. La plupart des groupes Facebook sur le sujet sont nés il y a trois ou quatre ans.

Ainsi, certains donneurs profitent de la détresse de femmes seules pour imposer, à chaque don, la méthode naturelle. « Entre demandeuses, ils sont vite identifiés », note Sarah Dumont, auteure de Super-géniteurs : enquête sur le don de sperme sauvage en France. « Elles communiquent beaucoup sur les forums et les groupes Facebook, et avertissent les autres si tel ou tel donneur exige des photos de leurs corps avant le don, par exemple ».

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Pour en avoir le cœur net, j’ai épluché les sites de coparentalité et autres groupes Facebook de don de sperme où se rencontrent donneurs « naturels » et demandeuses. Mes journées ont donc été consacrées à écumer les tréfonds de forums tels que Doctissimo (le plus classique) Insemination naturelle ou artisanale (le plus précis) ou encore donneurnaturel.net (qui a d’ailleurs fini par me bannir). En fouillant un peu ces plateformes interlopes, je suis tombé sur des annonces de demandeuses s’étant fait berner ou dénonçant les profils malveillants de certains donneurs. Exemple avec Hestia34, une célibataire de 35 ans, qui raconte sa mésaventure sur Doctissimo :

Commentaire de demandeuse

J’ai également pu récupérer des captures d’écran de conversations glaçantes et sans équivoque entre donneurs mal intentionnés et demandeuses. Sur les forums, on remarque vite les « pervers », comme les qualifient les demandeuses : ils se présentent peu, n’ont pas toujours de photo de profil (ou les empruntent à des mannequins La Redoute ou Kiabi en ligne), postent des messages courts, mais fréquents. Ils répondent à tout, tout le temps, et guettent la moindre demande postée dans l’heure. Contactés, ces donneurs signalés par les autres internautes sont restés méfiants et n’ont pas donné suite.

Conversation Facebook

Francis David administre une dizaine de groupes Facebook de don de sperme depuis 2011. Il aurait, par ailleurs, selon ses propres statistiques, donné naissance à 48 enfants via le don de sperme. Si ses groupes stagnent aux alentours de 500 membres, c’est que leur gérant supprime tous les jours des profils de « faux donneurs », venus s’inscrire uniquement dans un but sexuel ou pécunier. Aucun chiffre précis n’existe sur la question. Mais Francis estime la proportion de ces « parasites » à près de 80% des donneurs venant s’inscrire sur ses groupes. Tout de même… « À force, je les reconnais », note-t-il, un brin résigné. « Lorsque les demandeuses se rendent compte des réelles intentions du donneur, elles m’envoient les captures d’écran des conversations en privé. Je les vire tout de suite ! Malheureusement, ils font du tort à ceux qui sont honnêtes ».

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Conversation Facebook

Ces donneurs malhonnêtes profitent d’un alignement de planètes assez favorable. D’abord, un vide juridique les protège : si, en France, l’insémination artificielle par sperme frais provenant d’un don est un délit (pouvant exposer les contrevenants à 30 000 euros d’amende et deux ans de prison), la loi parle de don artisanal, et non naturel. Il s’agit donc toujours, pour le législateur, d’un rapport sexuel entre deux personnes consentantes. Maître Brigitte Bogucki, avocate spécialiste en droit de la famille, détail ce vide juridique : « Donner son sperme dans un petit bocal ou coucher revient au même. C’est un marché de dupes ! Aux yeux de la justice, la méthode “naturelle” relève de l'aventure d’un soir. Il n’y aura pas différence devant un tribunal. Certes, les modalités de prélèvement du sperme changent, mais un donneur met une femme enceinte. »

Les paramètres en jeu sont pourtant bien plus complexes. Car ces donneurs jouent sur un argument massue : la méthode naturelle fonctionne beaucoup mieux que la méthode artisanale, ou même semi-naturelle. Lassées de l’inefficacité des inséminations pratiquées en clinique, ou des multiples essais infructueux à domicile, certaines demandeuses finissent par craquer et accepter un rapport sexuel, contre leur volonté de départ. Francis estime, à la louche, que le taux de chances de tomber enceinte est de 30% pour les dons avec pipette, 70% via la méthode semi-naturelle et 90% avec la méthode naturelle. En réalité, les chances de succès de la méthode artisanale avoisineraient plutôt les 10 à 15% – chiffres donnés par le professeur Israël Nisand, gynécologue obstétricien à Strasbourg, spécialiste de la PM). En position de force, les donneurs en profitent pour réaliser leur plus grand fantasme de « patriarche » donnant la vie ou avoir des rapports sexuels non protégés. Ou encore, pour les moins exigeants, avoir des rapports sexuels tout court.

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Message groupe Facebook

Exemple de donneur suspect repéré sur un groupe Facebook.

Ces donneurs malveillants ne doivent pas faire oublier les plus honnêtes. Selon Sarah Dumont, ceux-ci sont principalement animés par deux types de sentiments : « Ceux que l’on appelle les donneurs spontanés offrent leur semence comme leur sang et ont leur carte de donneur d’organe. D’autres peuvent être qualifiés de donneurs “relationnels” : ils sont davantage sensibilisés à la cause par leurs proches ou souffrent de ne pas pouvoir devenir parent. » Les donneurs assoiffés de sexe, eux, sont obligés de maintenir un flou quant à leurs motivations. Comme l’explique Francis David, ils attendent souvent la dernière minute pour clarifier leurs attentes. Et font pression quand les demandeuses, en pleine période d’ovulation, ont fait le trajet et sont remplies d’espoir. « Certains en profitent pour exiger un rapport sexuel au dernier moment, contrairement à ce qui avait été convenu », précise-t-il.

Pourtant, ces rapports ne sont pas sans risques. Les associations homoparentales et les administrateurs des groupes Facebook conseillent fortement le dépistage des principales infections comme le VIH, la chlamydia, les hépatites B et C et la syphilis. Ces tests doivent dater de moins de trois mois. Dans les CECOS, banques de sperme officielles, les examens médicaux pratiqués sont bien plus poussés. Les infections sexuellement transmissibles sont traquées. Et plutôt deux fois qu’une : d’abord au moment du bilan du donneur, puis six mois après le don. Les donneurs cherchant seulement à coucher de façon non protégée ignorent parfois les risques médicaux. Ou ne prennent pas leurs précautions.

Autre oubli fréquent : leur rapport sexuel donnera (probablement) naissance à un enfant. « Le père peut reconnaître un enfant jusqu’à son testament. Il suffit d’une simple ligne écrite. Ces hommes s’engagent à donner sur un instant T, mais en trente ans, il peut se passer plein de choses. Imaginons que le père donne à l'âge de 20 ans et devienne stérile à 30 : il souhaitera peut-être faire reconnaître son enfant, même s’il l’a eu par don. Imaginons également que la mère, qui souhaitait à 20 ans avoir un bébé toute seule, se retrouve à la rue dix ans plus tard. Si elle a besoin de nourrir son enfant, elle pourra exiger une reconnaissance de la part du père, qui devra verser une pension alimentaire » précise Me Brigitte Bogucki. Légalement, ces donneurs pourront officiellement être reconnus comme pères. Ça fait beaucoup de conséquences inattendues pour des mecs malsains qui veulent juste tirer un coup.

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