Les villages isolés de la campagne finlandaise

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Les villages isolés de la campagne finlandaise

Cinq photographes ont tiré le portrait des adolescents chétifs et des sapins centenaires du Kainuu.

En 1835, le linguiste finlandais Elias Lönnrot publiait le Kalevala, une épopée composée de poèmes folkloriques. En Finlande, le Kalevala est considéré comme l'une des œuvres littéraires les plus importantes de tous les temps. En gros, ce livre est à la Finlande ce que l'Iliade est au reste du monde.

Cinq photographes se sont rendus dans la région de Kainuu, au nord du pays, où le Kalevala a vu le jour, afin d'aborder la mythologie de l'ouvrage à travers la photographie. J'ai appelé l'un d'entre eux, Aapo, pour qu'il me parle du projet.

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VICE : Salut Aapo. Peux-tu me dire pourquoi tu t'es intéressé au Kalevala ?
Aapo Huhta : Le Kalevala est un peu la version finnoise de la mythologie grecque. Il s'agit d'un recueil d'histoires folkloriques. Elles parlent du commencement du monde, de choses comme ça. C'est le travail d'un seul homme qui a collecté toutes ces histoires ici, au Kainuu ; et notre projet vise un peu à retracer son récit. Aujourd'hui, les choses évoluent différemment entre la ville et la campagne. À Helsinki, la vie est assez bien réglée, routinière ; mais à la campagne, la vie va un peu à l'envers, d'une certaine manière. On voulait mettre ça en images, en gardant à l'esprit ce folklore. Pour autant, ce n'est pas un travail documentaire. On montre plutôt la conscience collective des habitants de la région, tout en laissant la liberté à chacun d'interpréter à sa manière le lieu où il vit.

Photo : Maria Gallen-Kallela

Enseigne-t-on cette mythologie aux enfants à l'école ?
Oui, tout le monde en entend parler à l'école. Mais les gens ne la connaissent plus très bien aujourd'hui. Par exemple, je connaissais quelques histoires folkloriques quand j'étais jeune, mais c'est grâce à ce projet que j'en ai appris le plus.

Que se passe-t-il dans le Kainuu en ce moment ?
Les gens quittent peu à peu la campagne, que ce soit en Finlande ou en Suède. Il n'y a plus beaucoup de jeunes qui y vivent. Les personnes plus âgées restent, mais malheureusement, l'offre de services sociaux est en baisse.

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Photo : Helen Korpak

Pourtant, on voit beaucoup de jeunes dans vos photos.
Oui, il y en a. C'est Helen qui s'est le plus intéressée aux jeunes. Encore une fois, les perspectives des jeunes d'Helsinki sont complètement différentes de celles des jeunes qui vivent dans le nord du pays. Ils ont par exemple un rapport complètement différent à la culture mondialisée. Helen a pris quelques photos de choses en rapport avec Los Angeles, le rap ou la culture pop. Ce sont des choses très éloignées de la réalité au Kainuu – elles sont pourtant bien présentes.

Dans une des photos d'Helen, on voit un homme habillé avec une veste aux couleurs du drapeau sudiste. C'est quelque chose d'habituel au Kainuu ?
Je ne sais pas si c'est courant, mais je dirais que ça a à voir avec le fait de vivre une vie similaire à celles des habitants du sud des États-Unis. Il faudrait que je demande à Helen pour cette photo, mais ça doit être en référence à la symbolique de la campagne, qu'elle soit finlandaise ou américaine.

Photo : Aapo Huhta

Qui est cet homme dans la baignoire ?
J'ai demandé aux gens de me parler des figures importantes de la région, des personnes que tout le monde connaît. On m'a parlé de personnes âgées qui vivaient seules dans des maisons en bois, sans accès aux services sociaux. Je suis finalement allé toquer à la porte de cet homme-là. Comme il n'ouvrait pas, je suis allé voir les voisins qui m'ont donné son numéro de téléphone. Je l'ai appelé, il m'a accueilli et m'a montré sa maison. Il avait construit un sauna et cette baignoire lui-même, dans son garage. Je lui ai donc demandé si cela le dérangeait que je le photographie dedans. Il y avait quelque chose de profondément finlandais dans cette scène. C'est peut-être la baignoire en bois, mais c'est sûrement aussi le fait qu'il y paraissait extrêmement seul.

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Vous savez comment les gens que vous avez pris en photo se perçoivent eux-mêmes ? Je pense par exemple à cette femme dans son lit.
En général, les gens que j'ai rencontrés étaient heureux d'avoir de la visite. Ce n'est pas souvent que des inconnus viennent dans leurs villages pour leur poser des questions sur leur vie ; du coup, ils étaient tous très accueillants. Cette femme est en fait mariée à l'homme de la baignoire. J'ai bu de nombreux cafés avec eux ! Je pense qu'ils savent que leurs vies peuvent paraître difficiles et un peu simples pour quelqu'un qui vient de l'extérieur. Les réseaux sociaux, les trucs dans le genre, ce ne sont pas des choses qui leur sont familières. J'ai rencontré un homme qui coupait du bois pour pouvoir allumer le feu dans sa cuisine, et qui avait un mode de vie complètement différent du mien.

Quelles conclusions as-tu tiré en ce qui concerne la mythologie ? Que reste-t-il du passé ?
Je crois qu'il ressort des photos un mode de vie typiquement finnois ou scandinave. Tu as entendu parler de la mine de Talvivaara ?

Photo : Juuso Westerlund

Oui, mais tu peux nous expliquer plus précisément ce qui s'y est passé ?
Dans les histoires folkloriques, on retrouve souvent le Sampo, un artefact qui produit des biens et apporte la richesse à ceux qui le possèdent. Dans les contes, tout le monde le veut, et pour mettre fin à la folie qui s'empare des gens, ses possesseurs le détruisent. Un des photographes du projet, Juuso, a voulu prendre la mine du Talvivaara parce qu'il trouve qu'il s'agit d'une sorte de version contemporaine de l'histoire du Sampo. Cette mine pose de nombreux problèmes, notamment environnementaux ; en un sens, elle porte en elle-même sa propre perte. C'est un bon exemple de ce que nous voulions faire, apporter une perspective contemporaine à la mythologie. La mine de Talvivaara a quelque chose en commun avec le Sampo.

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Ça fait un moment que les problèmes liées à la mine de Talvivaara sont évoqués. Elle se trouve dans la région ?
Oui. Nous voulions éviter d'avoir une approche journalistique, par exemple en prenant des photos d'oiseaux morts au bord du lac près de la mine. Ce que Juuso a choisi de faire, c'est de prendre de superbe photos des environs de Talvivaara pendant l'hiver.

Tout le projet tourne autour de cette volonté de jouer avec les traditions et de les adapter. J'aime beaucoup l'approche de Juuso car elle nous a permis de parler du sujet de la mine sans adopter un point de vue simpliste. Helen a aussi pris cette ado, Petra, en photo. Dans le Kalevala, un des personnages principaux, Aino, est une jeune fille qui se fait tourner autour par les hommes plus vieux. Il faut jouer avec ces histoires folkloriques dans une approche adaptée à la Finlande contemporaine.

Découvrez plus de photos à cette adresse.

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