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LE NUMÉRO DES AVANT-POSTES DU CRIME DE MASSE

Les Tunisiens de la Fontaine au Roi

Il y a un peu plus d'un mois, on est allés discuter avec quelques migrants tunisiens devant le gymnase de la Fontaine au Roi, dans le 11e arrondissement parisien. Ils vivent ici

Le gymnase de la Fontaine au Roi, dans le quartier de Belleville, appartient à la mairie du 11e arrondissement. Deux fois par semaine, des employés municipaux menacent ses occupants d’expulsion sous prétexte qu’ils sont trop crades et « pas assez organisés ».

Il y a un peu plus d’un mois, on est allés discuter avec quelques migrants tunisiens devant le gymnase de la Fontaine au Roi, dans le 11e arrondissement parisien. Ils vivent ici depuis le 7 mai, date à laquelle ils se sont fait virer de leur ancien refuge, un immeuble insalubre près de la station Bolivar. Avant cela, ils étaient restés deux mois dans le parc de la Villette, puis, pour les plus chanceux, dans les locaux du CIP-IDF, l’association de soutien aux intermittents du spectacle et autres précaires. Comme plus personne n’a l’air de s’intéresser à leur cas et qu’aucun média n’a été en mesure de prendre des photos d’eux et de leur maison qui est en réalité un terrain de basket, on a voulu savoir ce qu’ils étaient devenus.

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Malgré l’ambiance pour le moins maussade de l’endroit (des bastons éclatent tous les jours dans l’enceinte du gymnase, parfois sans raison), les conditions de vie insupportables et l’omerta locale qui sévit (interdiction formelle de parler aux médias et de prendre des photos de l’intérieur du gymnase), on n’a pas eu trop de mal à interagir avec eux. Pour la plupart ils sont avenants, s’ennuient beaucoup et sont venus à Paris pour une seule raison : trouver du boulot histoire de gagner l’argent qu’il n’y a pas en Tunisie.

Une cantine bleue posée à droite de la porte du gymnase fait office de garde-manger, deux tables et ce qui ressemble à deux portes dégondées clôturent le périmètre de deux mètres sur deux. C’est dehors, autour de la « cuisine » que sont rassemblés une dizaine de Tunisiens, d’autres sont accoudés contre un mur ou assis sur un canapé en faux cuir bordeaux. Autour du gymnase de la Fontaine au Roi, dans le quartier de Belleville, ils sont plusieurs à traîner, discuter, fumer des clopes, attendre de bouffer et essayer d’oublier le fait qu’il n’y a pas grand-chose d’autre à foutre.

On a mis trois plombes à prendre cette photo. Après s’être fait insulter une bonne dizaine de fois, notre photographe a été en mesure d’immortaliser ce moment d’ennui.

Les 300 migrants qui vivent ici, pour la plupart venus en France après les révoltes printanières, sont expulsables. Personne n’est encore venu les virer mais « ça ne saurait tarder » selon un Tunisien qui vit à Paris depuis vingt-deux ans. Il est venu rendre visite à ses compatriotes qui ont quitté leur pays il y a environ quatre mois pour trouver du boulot en Europe. Le type en question enchaîne sur les problèmes d’immigration en France, et son discours est niqué : « Le seul vrai parti en France c’est le Front national parce qu’il sait dire “oui” ou “non”. S’il était au pouvoir il renverrait tous ces gens chez eux dans des charters. En même temps, si ça ne tenait qu’à moi, ils auraient tous des papiers. » Le mec s’interrompt à l’arrivée d’une « délégation de la mairie » (soit deux personnes, un grand mec bedonnant et une meuf). Apparemment, « ils sont là pour le ménage ». La mairie de Paris a constaté plusieurs fois que le gymnase était crasseux et, en conséquence, des responsables ont été nommés parmi ceux qui dorment sur place.

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Depuis leur arrivée en France il y a presque quatre mois, les Tunisiens sont emmerdés (ou parfois, pris en charge) par les associations, les flics et les gens du coin. En discutant avec eux on se demande s’il faut mettre l’approximation de leurs propos sur le compte de leur mauvais français ou s’ils ont appris à se méfier, à répéter un discours-type qui consiste à dire qu’ils ne font pas d’histoires et qu’ils se lèvent à six heures pour chercher du travail. Les diverses associations s’occupent de l’organisation, mais surtout de la communication du gymnase. Il est strictement interdit de prendre des photos.

Parmi ceux qui sont là ce midi, il est difficile de savoir qui « habite » dans le gymnase et qui « passe voir un ami ». Ils sont près de 300 à vivre dans le gymnase mais seuls 120 y passent la nuit. Les autres squattent encore du côté de la Villette ou chez des amis. Un mec aux cheveux mi-longs, un sac sur le dos, vit sur place depuis trois semaines. Pour lui, « la France c’est de la merde », même s’il fait partie de ceux qui ont réussi à trouver un boulot. En fait, il travaille dans une boulangerie depuis un mois mais il n’a toujours pas été payé. La vie au gymnase avec les autres migrants ? « Ça va », même s’ils n’ont pas assez à manger : « Un jour oui, un jour non. » L’État français ne leur fournit rien ; ce sont les associations et la mosquée du coin qui tour à tour distribuent les repas. La nourriture est attrapée par poignées par ceux qui s’imposent pour avoir à bouffer. La distribution de repas facilite notamment l’expulsion des migrants par la mairie (même s’ils n’ont pas le droit de cuisiner à l’intérieur) parce que cet afflux constant de bouffe gratuite attire tous les crevards du coin. Ça fout un énorme bordel parce qu’évidemment, plus il y a de monde, moins il y a à manger. Et finalement, tout le monde se fout sur la gueule.

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Une jolie façon de nous dire : « Cassez-vous. » Curieusement, notre présence ne semblait déranger que les associations et les employés des « staffs » qui encadraient les immigrés tunisiens.

Alors qu’on est en train de discuter, des curieux se rapprochent pour former un cercle autour de nous. Certains marmonnent des phrases en arabe à l’attention du mec qui me parle, je ne comprends rien à ce qu’ils disent mais je ne peux pas m’empêcher de me rappeler que la dernière fois que l’un d’eux a « trop » parlé à un journaliste, les autres lui ont foutu des coups de latte dans la gueule pour qu’il arrête de raconter sa vie. Un type sort du gymnase et essaye de mettre des claques à un autre type. « C’est comme ça tout le temps », me dit mon interlocuteur. Il semble que la baston a éclaté parce qu’un des mecs voulait rentrer dans le gymnase et l’autre lui disait que ça n’allait pas être possible. Voilà. L’incident n’a pas l’air d’avoir diverti ou fait rire ces mecs qui se font pourtant clairement chier la plupart du temps.

Bien sûr, ils sont tous très seuls. Ils ne se connaissent pas et ne se battent pas ensemble pour la même cause. En fait, la plupart se détestent cordialement. Le fait qu’ils partagent le sol d’un gymnase la nuit et leurs repas la journée tend à créer un minimum d’esprit communautaire, mais ça s’arrête là. « Tous ceux qui sont ici resteraient en Tunisie s’ils le pouvaient. Mais il n’y a pas de travail. »

Une odeur de sauce tomate commence à se manifester dans le coin cuisine. « C’est des macaronis à l’harissa. Un plat tunisien », m’apprend Rafik, un type qui vit aussi au gymnase. En janvier 2011, à l’âge de 32 ans, il a quitté le sud de la Tunisie, laissant femme et enfants derrière lui. Il est passé par l’île italienne de Lampedusa, comme tous les autres. En Italie, on lui a délivré les fameux papiers provisoires, valables six mois, mais au bout de deux mois, Rafik n’avait toujours pas trouvé de travail. Il a donc passé la frontière et est resté quelque temps à Nice à la recherche de la même chose, du blé et un toit. Là-bas, les contrôles sont plus fréquents qu’à Paris ; « La police vient sur les chantiers vérifier que tout le monde est en règle, c’est pas facile de trouver quelque chose. » Il est donc parti pour la capitale où il cherche un boulot de plombier sans trop comprendre pourquoi il ne trouve pas. « Il n’y a pas beaucoup de Français comme toi ici. Pour moi, Paris c’est comme Djerba. Aucun travailleur de Djerba n’est tunisien, on n’y trouve que des étrangers. »

Vers 13h30, les cinq volontaires chargés du repas versent l’équivalent d’une dizaine de sachets de coquillettes dans une casserole d’eau frémissante. Rafik nous propose de rester avec eux pour le déjeuner ; au lieu de ça, on salue l’assemblée dans un silence de mort, tandis qu’une gigantesque plâtrée de sauce épicée mijote sur un réchaud, entre une table en plastique et deux matelas gonflables.