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LE NUMÉRO MORTS DE RIRE

Une Comédie

Je vais vous parler du milieu de la comédie mais ce ne sera pas drôle. Vous êtes déçus ? Je m’en branle. Réfléchissez à ça deux minutes : vous pensiez vraiment tomber sur un article rigolo, un bal...

Je vais vous parler du milieu de la comédie mais ce ne sera pas drôle. Vous êtes déçus ? Je m’en branle. Réfléchissez à ça deux minutes : vous pensiez vraiment tomber sur un article rigolo, un bal joyeux où un journaliste de Vienne ou de San Francisco vous aurait servi du thé et des biscuits tout en vous disant que votre tee-shirt vous va alors que c’est faux ? C’est vraiment ce à quoi vous vous attendiez ? Vous chialez ? Est-ce que vous êtes en train de chialer ? Allez, avouez-le, bande de glands. Bon, je vais être obligé de me calmer sur les insultes parce que je sais que si je continue, vous allez pisser dans vos slims. Je suis désolé, ce n’est pas une bonne manière de commencer un article. Le truc, c’est que je suis embarrassé. Embarrassé de vous dire ce que je ressens vraiment, et pour ce faire, c’est bien plus facile de vous hurler dessus. Je suis plutôt un mec gentil, ­j’accorde beaucoup d’importance à ce que vous pensez de moi mais j’ai un paquet de mécanismes de défense pour le cacher qui incluent le fait de hurler. Et puis merde, regardez où en en est à présent, vous et moi. Qui es-tu, lecteur adoré ? Tu t’appelles probablement Julie, tu t’intéresses à « l’humour » et c’est pourquoi tu as économisé tes deniers pour acheter le numéro spécial « Comédie » par Rob Delaney. Crois-le ou non, le rédacteur en chef a proposé de mettre en sous-titre : « Arrêtez tout ce que vous faites immédiatement, réfugiez-vous dans une salle de lecture en albâtre pour dévorer ce numéro, véritable chef-d’œuvre compilant des textes canoniques, joyau de plaisirs lumineux porté par le Très Haut et le Très Saint, notre Seigneur et Sauveur Rob Delaney. » Oh putain, je pense que je devrais aussi arrêter avec ce type d’intro… J’essaie juste de me rendre crédible et je n’y arrive pas trop. Troisième tentative : dire la vérité, parce que je crois que ça peut être utile à des lectrices comme Julie qui sont vraiment intéressées par le monde de l’humour. Quand un magazine fait un numéro « Comédie », il s’agit souvent de quelques pages de photos d’humoristes célèbres (ou d’acteurs comiques, qui ne sont pas du tout acteurs) qui portent invariablement des vêtements super chers. Les photos sont cadrées de manière toute pourrie, le tout sans aucun humour. J’aimerais servir d’antidote à ce genre de merdes. Donc, si vous le permettez, je vais changer de ton et parler de sujets qui sembleront d’abord un peu sombres, mais qui se révéleront, en fin de compte, pas si épouvantables que ça. En tant qu’humoriste, je parle de mon métier tout le temps, tous les jours, avec des comédiens et même des non-comédiens. Il y a cette croyance populaire dans la comédie et ailleurs selon laquelle les humoristes feraient des blagues pour soigner la douleur qu’ils ressentent, et que la dépression, comme la consommation d’alcool et de drogue, serait une épidémie dans le milieu. Est-ce que c’est vrai ? Dans mon cas, oui. Un des premiers trucs que je fais chaque matin, c’est de prendre une tonne d’antidépresseurs : Lexapro et Cymbalta. Juste avant ou juste après, je poste ma première blague du jour sur Twitter. Je prends ces médicaments parce que je dois gérer une dépression sévère et contrôler des envies suicidaires. J’en ai pour des années. Durant les huit dernières, j’ai failli y passer deux fois : une fois avant que je devienne comédien professionnel, et une autre après. Je poste des blagues sur Twitter parce que faire rire les gens, ça me fait me sentir bien. Je pourrais aller plus loin et dire que ça me fait littéralement décoller. Et ­j’aime cet effet. J’aime vraiment beaucoup ça. Avant, je me défonçais à l’alcool ou à la drogue et j’étais plutôt content de le faire, jusqu’à ce que je ne sois plus drôle du tout. Il y a neuf ans, je me suis tellement défoncé le cerveau que j’ai fait un blackout. J’ai pris une voiture – pas la mienne, ç’aurait été con – et j’ai foncé dans l’Office de l’eau et de l’électricité de Los Angeles. Personne d’autre que moi n’a été impliqué dans l’accident mais je ne le savais pas jusqu’à ce que les policiers me le disent. Quand j’ai compris que ma consommation de stupéfiants aurait pu être responsable de la mort d’autrui, j’ai arrêté. Le fait d’être en prison ET en fauteuil m’a aidé à prendre conscience de la gravité du problème. J’attendais de me faire opérer pour mes deux bras cassés et mes genoux ouverts jusqu’à l’os ; quand les policiers me sortaient de ma cellule, il ­m’arrivait de glisser du fauteuil. Mes bras ne me protégeaient plus d’une chute et mes genoux étaient dysfonctionnels, du coup je m’écrasais par terre lamentablement. Ma blouse d’hôpital s’ouvrait, offrant mes couilles et ma bite à la vue de tous les gens de la prison. Une personne entreprenante aurait ainsi pu avoir un accès privilégié à mon anus et si vous avez déjà été en prison, lu un livre ou vu un film sur la prison, vous savez que vous avez vraiment, vraiment intérêt à garder toutes ces belles parties de votre corps pour vous. C’est quand j’étais vautré sur le sol de ma cellule, avant que les gardiens ne me replacent sur le fauteuil tout en couvrant mes parties qui n’étaient plus tellement intimes que je me suis dit : « OK, il serait temps de changer de style de vie. » Comme vous le voyez, je suis tout à fait capable d’embrasser le stéréotype du comédien déprimé et alcoolique. J’ai demandé un traitement lourd pour les deux problèmes, et je sais que si je ne les respecte pas, je vais mourir. Et je n’ai pas envie de mourir. Bien que mon cerveau m’ait souvent dit : « Tu devrais mourir » et m’ait fait entrevoir toutes les morts potentielles qui m’attendaient, j’ai choisi de ne pas l’écouter et de me prendre en main. Non seulement parce que je n’ai pas envie de mourir, mais aussi parce que je suis sobre aujourd’hui. Je prends mes antidépresseurs. Puis, j’ai aussi envie d’être heureux. J’en demande beaucoup, hein ? J’ai commencé à être heureux le jour où j’ai vraiment commencé à travailler en tant que comédien. Je ne passais plus mon temps à me vautrer dans mes problèmes et à ruminer sur mon malheur en le crachant à la face du monde. J’ai géré le truc en allant de l’avant : j’ai écrit et j’ai joué dans des sketchs destinés au public le plus vaste possible. Et comme faire rire les gens m’envoie à chaque fois une énorme montée de sérotonine dans le cerveau, j’essaie de faire rire ce public le plus possible, je m’acharne. Et depuis que je vais mieux, je suis encore plus drôle. Un des mythes que j’aimerais faire disparaître avec une batte de baseball, c’est l’idée qu’il faudrait être « torturé » pour être drôle. J’ai entendu un humoriste dire à un autre de ne PAS aller en thérapie quand il traversait des crises de panique chaque lendemain de cuite parce que « c’est dans l’angoisse que se trouvent les meilleures blagues ». Quel trou de balle. D’abord, une thérapie n’est pas un tour de magie. Si t’es chelou, tu en sortiras tout aussi chelou. Voici un exemple : je suis un hétéro marié de 33 ans. Un de mes rituels du matin que je n’ai pas évoqué concerne un de mes biens matériels les plus chers : un calendrier avec dessus un chat pour chaque jour de l’année. C’est un truc de dingue. Des gens de partout dans le monde envoient des photos de leur chat à cette association qui en choisit 365 et qui en fait un calendrier. Et il y a aussi des photos d’amateurs ! Exactement comme j’aime le porno amateur avec de vraies femmes qui ont de la cellulite et des grosses touffes et qui kiffent leur corps, j’aime aussi les photos de vrais chats qui se retrouvent dans de vraies situations drôles ! Je déteste les chats de race consanguins aux poils brillants qui posent dans des studios stériles où AUCUN chat au monde ne pourrait être heureux. Bref. Chaque matin, avant qu’on ne parte travailler, ma femme et moi, je prends le calendrier et j’admire une dernière fois le chat de la veille. Puis, retenant mon souffle, j’arrache la page et je découvre le NOUVEAU chat caché dessous ! Parfois, si c’est une photo particulièrement mignonne ou drôle, ça me fait presque jouir. Comme celle avec le gros chat orange qui serre dans ses pattes un petit chaton noir adopté. À ce moment-là, je n’arrive plus à me contenir, ça me rend tellement heureux ! Pourquoi je vous parle de ça ? Parce que je voulais vous démontrer que je ne vais pas bien du tout alors que j’ai été en cure pendant dix ans sans interruption. Tous les mardis, je parle avec ma psy et on bosse pour que j’aille mieux. Je suis toujours fou, peu importe comment vous définissez la folie. Mais la thérapie, plus le fait de ne plus boire, plus prendre mes médocs tous les jours, me fait poser un pied devant l’autre et me donne des idées de blagues, ce qui me rend (et j’espère, rend les autres) heureux. La thérapie t’aide à avancer, à écrire des trucs et à les jouer. Être un artiste torturé ? Je ne vois pas l’intérêt. La vie, comme tous les connards le savent déjà, nous torture de temps en temps. Ça ne sert à rien de trouver ça plaisant, et je peux vous assurer que tout le monde se fout de vos problèmes. Je ne dis pas ça d’une manière mesquine ; ce que je veux dire c’est que si vous pensez que vous êtes le seul à souffrir et que vous le dites aux autres, vous êtes ridicule. Si ma morve ne vous intéresse pas, écoutez ce qu’en disent Maria Bamford ou Louis CK. Ces deux comédiens ont parlé magnifiquement bien de leurs souffrances et se sont inspirés de leurs expériences pour nourrir leur carrière de comique, choisissant l’humour pour parler des expériences horribles qu’ils avaient traversées ; ils sont aussi allés en thérapie, soit dit en passant. Ils ont compris que la vie était parfois un voyage au ralenti dans un abattoir, remplie de douleurs et de déceptions, et qu’elle pouvait se terminer par un cancer de l’estomac ou un crash d’avion. Avec l’humour, ils ont transformé cette merde en or et tenté de vivre leur vie de manière légèrement plus douce. Si j’ai l’air de prêcher la bonne parole, c’est justement parce que je suis en train de le faire. La bonne grosse comédie, ça me fait bander et j’aime bien le montrer. Et je prends tout autant de plaisir à admirer ta grosse érection ou, dans le cas des filles, vos tétons qui pointent et vos chattes odorantes et mouillées. Je veux qu’on se retrouve dans un champ et qu’on s’émerveille devant les appareils génitaux des uns et des autres pour enfin réaliser que sans ces humoristes qui transforment l’horreur du monde en rires sonores et merveilleux, nos vies seraient encore plus nulles qu’elles ne le sont chaque putain de jour que Dieu fait.