FYI.

This story is over 5 years old.

LE NUMÉRO HISTOIRE

Circuit electric

J’ai égaré l’hémisphère gauche de mon cerveau ce mois-ci mais j’ai virtuellement retrouvé une âme de colosse sumérien, et j’ai compensé en redécouvrant les vertus de l’afrobeat et de ses avatars contemporains.

Mi Ami en session afro-punk fiévreuse, les Invisible Conga People au naturel et les computer-noise-nerds Hecker et Haswell aussi sexy qu’une canne a pêche.

J’ai égaré l’hémisphère gauche de mon cerveau ce mois-ci mais j’ai virtuellement retrouvé une âme de colosse sumérien, et j’ai compensé en redécouvrant les vertus de l’afrobeat et de ses avatars contemporains. C’est ce feeling moderne primitif qui ressort dans la musique de Mi Ami, dont le maxi African Rhythms fait la part belle aux percussions primitives, aux braillements d’hyènes en rut et à des basses aux pulsions dub striées de guitares tronçonneuses. La singularité du trio, né sur les cendres du groupe avant-punk Black Eyes, provient de sa capacité à assimiler dans une formation rock les éléments constitutifs de l’afrobeat, de la techno et du dub, sans jamais passer par la case computer. Je suis tombé sur une interview du groupe qui admettait s’être lassé de l’impro free-noise et s’être pris de passion au début des années 2000 pour la scène techno de Detroit (Robert Hood, Theo Parrish, Dopplereffekt, UR… tu connais les classiques) autant que pour le dub, le krautrock, la musique de Gamelan ou le jazz africain, sans pourtant avoir envie de se coltiner une vie de producteur isolé dans son studio. Du coup, Mi Ami crée une sorte de dance music invertie, toujours rock dans la gestuelle et l’énergie déployée, mais curieusement proche d’une proto-electro dans le rendu sonore, donnant presque l’impression d’entendre Liquid Liquid jammer avec les Boredoms à la poursuite du spectre de King Tubby survolant l’Ethiopie dans le vaisseau spatial des Silver Apples. Vivement que les DJs suivent et que ce deep groove à l’énergie purement organique donne des ailes d’oie sauvage aux clubbers sans ornières. Et qu’on arrête de nous bourrer le mou avec la dernière sensation bloghouse-ghetto-fluo du moment. Réveille-toi, camarade, la vie est ailleurs. Moins rentre-dedans, mais tout aussi exceptionnel, Invisible Conga People vient de sortir un fabuleux EP sur Italians Do It Better, le label de l’italo-gourou Mike Simonetti qui héberge Chromatics, Glass Candy, Professor Genius et consorts. Ce duo krauthouse est constitué de Justin Simon, un New-Yorkais qui a longtemps vécu au Japon, et Eric Tsai, un Japonais qui séjourne à New York. Eux aussi ont remisé l’ordinateur au placard pour s’atteler à un arsenal de synthétiseurs vintage et de machines faites maison débordant de circuits modifiés. De ces structures minimalistes émergent par intermittence un chant langoureux ou un riff de guitare répétitif, comme un élément rythmique qui se fond dans l’ensemble. Cette musique est une alchimie inexplicable, elle ne ressemble à rien de connu tout en rappelant un tas de choses de manière quasi subliminale, un mélange de Can, de Phew, de Black Dice, de house en apesanteur et de volupté hypnotique à la Arthur Russell. Il y a quelque chose d’à la fois gracieux et fragile dans cette mécanique lancinante, où le beat 4/4 vient se lover subtilement dans les timbres harmoniques des machines, avec un sens de l’essentialité propre à la culture asiatique. En japonais, on appelle cela shibui, une esthétique qui repose sur l’élégance et la retenue, sans effets ostentatoires. Justin Simon a par ailleurs produit deux albums et un maxi sur DFA sous le nom We Acediasts (avec un chanteur japonais de 19 ans qui officie désormais dans un groupe de jam LSD-patchouli sans fin à la Grateful Dead), et Eric Tsai s’occupe de son côté du label Mesh-Key, qui réédite d’obscurs bijoux psychédéliques japonais et sort les disques de… We Acediasts. On est entre amis, quoi. Comme l’Histoire (ah, comme j’aime ce grand H pompeux) n’en finit pas d’être redécouverte et que le krautrock et la disco sont un peu les tartes à la crème du moment (exquises, cela dit), autant remettre les pendules à l’heure et aller droit au but: eMego vient de sortir des remixes de la musique d’Aguirre, le film grandiose de Werner Herzog où Klaus Kinski pète les plombs en plein cœur de l’Amazonie. Signé Popol Vuh, ce soundtrack new age légendaire est revisité sur ce mini LP par des terreurs de la musique électronique d’avant-garde: à ma droite, Florian Hecker et Russell Haswell, grands manitous de l’extreme computer music—traduire par magma noise acide, qui déracine les arbres et fait saigner les tympans. À ma gauche, le Finlandais Mika Vainio, moitié de Pan Sonic et plus grande descente de vodka du monde. De la musique contemplative du film, Haswell et Hecker n’ont conservé que les clusters menaçants, un long crescendo de synthèse granulaire torpillé par des couinements électroniques abstraits, ce qui fait à peu près le même effet que de mettre la tête dans une ruche pendant huit minutes. Mika Vainio a quant à lui privilégié l’ampleur lyrique et c’est d’une beauté vertigineuse. À écouter de préférence au sommet d’une montagne, avec l’Univers à ses pieds et le panorama d’un Eden exotique qui s’étend à perte de vue, en pensant à Klaus Dinger, le batteur de Neu!, qui s’est éteint le mois dernier. EVA REVOX
Mi Ami—African Rhythms (White Denim)
Invisible Conga People—Weird Pains (Italians Do It Better)
Popol Vuh—Aguirre remixes (eMego)