J'ai passé quinze jours paumé dans la jungle de Bornéo
L'auteur, avec ses sauveteurs

FYI.

This story is over 5 years old.

survie

J'ai passé quinze jours paumé dans la jungle de Bornéo

L'Australien Andrew Gaskell a failli perdre la vie dans le parc national de Gunung Mulu, en Malaisie. Il nous raconte une partie de son expérience.

Cet article a été rédigé par l'équipe de VICE Australie, en se basant sur les propos d'Andrew Gaskell.

J'ai été réveillé par une morsure quelque part sur le pied. Tout en essayant de trouver ma lampe torche, j'ai touché le sol et y ai senti une multitude de fourmis. « Cassez-vous », ai-je marmonné en essayant de les balayer d'un revers de la main. Je souhaitais dormir, et rien d'autre.

Du bout des doigts, j'ai trouvé une petite pierre, parfaite pour me défendre. J'ai commencé à écraser les fourmis une à une, avant qu'elles ne puissent me mordre à nouveau. Ma lampe torche, aux piles presque vides, s'allumait et s'éteignait avec régularité, illuminant par flash la tuerie qui se déroulait sur le sol. Lorsque la dernière des bestioles a été écrasée, j'ai mis la lampe torche de côté et j'ai essayé de retrouver une position confortable pour m'endormir. Les écorchures le long de ma jambe rendaient toute recherche de confort inutile, mais ce n'était rien comparé à la douleur lancinante dans mes pieds. J'avais marché dans plusieurs petits ruisseaux rocailleux (il est plus rapide de passer par les ruisseaux que de se frayer un chemin à travers les arbres) et mes bottes, à force de frottements, m'avaient laissé la chair à vif sur les côtés des pieds. Les blessures s'étaient infectées et, désormais, c'était gonflé, douloureux. Et ça puait. La seule solution pour oublier tout ça était de retomber dans les bras de Morphée, de repartir voyager dans mon subconscient.

Publicité

Le parc national vu du sommet du Mont Mulu

Je suis parti en Malaisie en août 2016 après avoir perdu mon job en Australie. Je n'ai pas été viré : un jour, mon patron est arrivé dans mon bureau et m'a dit que tout était fini. L'entreprise d'ingénierie qui m'embauchait depuis trois ans et demi, cette même entreprise pour laquelle j'avais déménagé dans le Queensland, fermait ses portes. Et, dit comme ça, on a peut-être l'impression que ça m'a énervé, mais pas du tout : ça m'a libéré. Au lieu de me chercher un nouveau boulot, j'ai décidé de prendre du recul, histoire de réévaluer mes priorités et de décider qui j'étais et ce que je voulais faire de ma vie.

Du coup, j'ai réservé un billet pour la Malaisie et je me suis retrouvé à faire de la randonnée pendant près de trois mois dans l'État de Sarawak avant d'atteindre le parc national de Gunung Mulu. Le Sarawak est un vrai melting-pot. Dans la région, on trouve des Malais – majoritairement musulmans – différents groupes de Chinois et beaucoup de Dayaks, des tribus indigènes possédant chacune un passé et une culture qui leur est propre. Les Dayaks vivent en général loin des villes, dans des zones rurales, et ils ont leur propre langue, leurs habits traditionnels et leur nourriture.

Mon amour pour ces tribus et les paysages m'a poussé à visiter le parc national : je voulais gravir le Mont Mulu, dont le sommet culmine à 2 400 mètres. J'avais l'intention de faire cette randonnée en une journée – conforté par mon expérience de randonneur chevronné en Australie. En gros, je suis parti trop confiant alors que j'aurais dû être prudent et bien mieux préparé.

Publicité

Le premier jour, vers le milieu de l'après-midi, j'ai atteint le dernier camp de base. Comme une grosse pluie tropicale obscurcissait les sentiers, j'ai décidé de passer la nuit dans une cabane en bois et de terminer mon ascension le lendemain. J'ai fini mes réserves de nourriture et me suis endormi rapidement.

L'auteur au sommet du Mont Mulu

À l'aube, je suis parti en direction du sommet. J'y suis arrivé assez facilement, et après avoir pris quelques photos, j'ai voulu rentrer : c'est là que les ennuis ont commencé.

Alors qu'il ne me restait plus que quelques kilomètres à parcourir, je me suis trompé de chemin. Plusieurs ruisseaux se croisaient sur le sentier et, malgré tous mes efforts, je n'ai pas réussi à retrouver la route du camp. Je n'ai pas paniqué lorsque la nuit est tombée, parce que je savais que j'allais retrouver le sentier facilement. Ou, du moins, c'est ce que je croyais. Au lieu d'attendre la lumière du jour, je suis parti dans la nuit à travers la jungle, en essayant de trouver un moyen d'en sortir. Je savais que j'étais proche du but, si proche ! Mais tout ce que j'ai fait, en réalité, c'est me paumer encore plus et perdre tous mes repères.

Au point du jour, je savais que j'étais complètement perdu mais je restais confiant. Pourtant, très vite, le troisième jour s'est écoulé, puis le quatrième et, avant d'avoir eu le temps de dire « ouf », j'ai perdu le fil et j'ai arrêté de compter.

L'auteur, lors de son sauvetage. Photo via RTM Sarawak

Pendant tout ce temps, j'ai très peu mangé. Les premiers jours, j'ai avalé quelques fruits que je ne connaissais pas, au goût aigre et franchement désagréable. Plus tard, j'ai trouvé des fruits ronds et jaunes, de la taille d'une grosse cerise, protégés par une sorte d'enveloppe épineuse. Je me suis forcé à mâchouiller la chair et j'ai fait passer le goût amer avec une grande rasade d'eau que je venais de récupérer dans une des petites rivières. Je croisais les doigts, espérant que les fruits soient comestibles. Peu de temps après, j'ai trouvé un fruit semblable, un peu plus gros et plus sombre : il était tout aussi mauvais. Plusieurs jours plus tard, j'ai repéré une fougère locale, appelée paku pakis, que je savais être comestible – les populations locales du Sarawak me l'avaient confirmé lorsque je leur avais rendu visite. J'ai mangé des poignées entières de fougères, en étant conscient du fait que je dépensais plus d'énergie que je n'en gagnais.

Publicité

J'ai escaladé différentes montagnes pour essayer de me repérer. Ensuite, j'ai tenté de trouver l'ouest grâce au soleil. Dans mes souvenirs, la rivière principale était de ce côté. Je comptais la suivre en direction du sud, car c'était là que se trouvait l'accueil du parc. Cependant, la canopée dissimulait le soleil la plupart du temps, et le paysage consistait en un enchevêtrement incessant de montagnes et de ruisseaux. En raison de tout cela, il m'était impossible de garder une direction constante.

J'ai erré, j'ai grimpé, j'ai dormi et j'ai mangé ce que j'ai pu. Je pensais aux gens que j'avais laissés derrière moi pour partir à l'aventure, aux risques inutiles que j'avais pris. Mais pas une seule fois je n'ai succombé à l'énervement. À la place, j'ai utilisé mon énergie de manière positive, en cherchant un moyen de m'en sortir.

Le pied de l'auteur après son sauvetage

Après l'attaque de fourmis dans la nuit, le soleil s'est levé, accompagné de son habituel chœur de cigales et d'oiseaux. J'ai récupéré mes chaussettes encore trempées et j'ai gratté doucement l'argile qui était collée à mes pieds jaunis. J'ai retourné mes chaussettes et les ai délicatement enfilées, avant de remettre mes bottes. Je me suis mis debout avec difficulté – je me sentais bien plus faible que les jours précédents – puis j'ai passé une nouvelle journée à trébucher entre les buissons, les ronces et les arbres gigantesques.

Au bout de quelques heures, je me suis arrêté. Un son familier emplissait l'air : était-ce une voix ? Une voix humaine ? C'est là que je l'ai vu, au loin : le sentier. À ce moment-là, j'étais sûr d'entendre des voix. Et pas juste « des voix », mais des conversations en anglais, des gens qui se plaignaient de la chaleur ! Mon rythme cardiaque s'est considérablement accéléré, et j'ai pris la direction du chemin. J'allais sortir d'ici et tout allait bien se passer.

Sauf qu'en fait, non. Alors que je me rapprochais du « sentier », je me suis aperçu que ce n'était qu'un arbre renversé. Pensant que les touristes pouvaient encore m'entendre, j'ai crié : « À l'aide ! » Pas de réponse. « À L'AIIIIIIIDE ! » Pourquoi ils ne répondent pas, ces cons ? Ils ne se rendent pas compte que je suis en danger ? J'ai recommencé : « PITIÉ ! » Et puis, au bout d'un moment, ce n'était plus qu'un long et pathétique « pitié ».

Mais personne ne m'a répondu. Je n'avais pas retrouvé le chemin et il n'y avait personne autour de moi. J'avais halluciné et j'étais toujours perdu. C'est à ce moment précis que je me suis dit que j'allais mourir ici, dans la jungle.

Pour en apprendre plus sur l'histoire d'Andrew, vous pouvez aller sur son blog.

Andrew est en train d'écrire un livre relatant son expérience.